La croix sur le coeur, la tête sous les drapeaux

Noël Pedreira est capitaine aumônier catholique de l’armée suisse depuis douze ans © Réformés / Pierre Bohrer / Noël Pedreira est capitaine aumônier catholique de l’armée suisse depuis douze ans © Réformés / Pierre Bohrer
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Noël Pedreira est capitaine aumônier catholique de l’armée suisse depuis douze ans © Réformés / Pierre Bohrer
Noël Pedreira est capitaine aumônier catholique de l’armée suisse depuis douze ans © Réformés / Pierre Bohrer

La croix sur le coeur, la tête sous les drapeaux

Témoignage
L’aumônerie d’armée offre un espace d’écoute et de conseils pour tous les militaires qui s’interrogent sur le sens de la vie, au-delà des confessions. Noël Pedreira, capitaine aumônier catholique, nous fait découvrir sa mission.

Sur le quai de la gare de Thoune, le ballet des pendulaires est à son apogée. On distingue à peine les quelques bérets rouges et blousons kaki qui sortent des rangs. Direction Uttigenstrasse 19. L’imposante bâtisse qui abrite, entre autres, les sièges de l’aumônerie et du service psycho-pédagogique de l’armée suisse a vue sur l’Aar. Sur le perron, deux hommes. L’un en chemise à manches courtes, l’autre en pantalon jaune. C’est le printemps, même à l’armée.

Le chef de l’aumônerie de l’armée suisse, Stefan Junger et son adjoint, Noël Pedreira, nous attendent de pied ferme, le sourire aux lèvres. «Vous ne pourrez pas dire qu’à l’armée nous ne travaillons pas après 17h», plaisante le chef, dont l’accent alémanique ne laisse aucun doute sur ses origines. Le ton est donné. Les deux capitaines affectionnent l’humour et brisent nos a priori sur l’institution militaire. Nous apprenons que l’uniforme n’est de mise qu’au contact des militaires.

A la suite des deux gradés, nous gravissons les étages jusqu’à leur bureau. Un tank miniature sous verre nous rappelle que, derrière les sourires, la défense du pays reste une a aire de vie et de mort. Noël Pedreira enfile un vêtement kaki, séance photo oblige. C’est en uniforme que ce Jurassien catholique, ancien agent pastoral, engagé à 90 % par l’armée, nous explique la mission des théologiens en tenue de camouflage.

Reconnaître la souffrance

Les recrues n’ont plus que quelques jours à tirer de leurs dix-huit semaines de formation militaire de base et les aumôniers interviennent essentiellement sur demandes. Entre les urgences, les entretiens individuels, les interventions planifiées dans le cadre des écoles de recrues et des troupes opérationnelles et les interventions «à bien plaire», les aumôniers ont accompli 1869 jours de service en 2017.

Sous le béret de l’aumônier, on trouve des pasteurs, des prêtres, des diacres et des agents pastoraux catholiques romains et catholiques chrétiens, tous théologiens et miliciens. Ils partagent leur engagement entre les lieux de stationnement de la troupe et la pastorale. De fait, il est attendu des aumôniers qu’ils accomplissent au moins 10 jours de service militaire par année. Le nombre des jours dépend de la demande des troupes et de l’espace laissé par leur ministère pastoral. Pour autant, les aumôniers sont disponibles à toute heure, via une hotline dirigée par les professionnels de l’aumônerie militaire.

Malgré une société fortement sécularisée, les jeunes se tournent vers les représentants des Eglises pour trouver de l’aide
Noël Pedreira est capitaine aumônier catholique de l’armée suisse

«Nous accompagnons et soutenons les militaires dans les moments tristes et festifs qu’ils vivent lors de leur séjour à l’armée. Nous ne sommes pas là uniquement pour éteindre les incendies! Nous prenons le temps d’écouter. Nous reconnaissons leur souffrance et les aidons à mettre des mots dessus autant qu’à trouver les ressources, en eux, pour l’affronter. Nous offrons un accueil inconditionnel et sans jugement», lâche d’emblée Noël Pedreira.

L’aumônerie de l’armée est un service destiné à ceux qui recherchent une écoute et des conseils, se posent des questions liées au sens de la vie et désirent bénéficier d’un entretien personnel dans le respect du secret professionnel.

A en croire l’aumônier, l’arrivée à l’armée n’est pas la cause unique de la détresse des soldats. Elle trouve aussi son origine dans la vie civile. «Il peut s’agir de séparations ou de deuils qui ne sont pas réglés. Il y a aussi l’éloignement des proches, de la famille, des amis et de la routine professionnelle. La rupture avec le confort de la vie civile peut déstabiliser plus d’une personne. Et puis, même si la guerre semble pour beaucoup irréelle en Suisse, l’engagement pour la patrie peut se faire au péril de sa vie

La religion n’occupe pas le devant de la scène. En douze ans, le capitaine aumônier Noël Pedreira se souvient pourtant d’une recrue qui avait demandé à voir un prêtre pour une confession. «Malgré une société fortement sécularisée, les jeunes se tournent vers les représentants des Eglises pour trouver de l’aide. Notre intervention furtive dans leur vie augmente la confiance qu’ils nous portent.»

Gagner la confiance

Pour que la rencontre ait lieu, l’aumônier doit mettre dans la cible dès le premier contact. Dans la longue suite de séances d’informations auxquelles ne coupent pas les recrues à leur arrivée sur la place d’armes, l’aumônier a lui aussi son créneau. Il dispose d’une heure pour se présenter face à des jeunes déjà épuisés par leur nouveau quotidien mené à la baguette. «Mon premier objectif est de réussir à maintenir ce public éveillé. Le second est qu’il comprenne ce que nous faisons. Ma recette: utiliser le second degré ! Si nous sommes vus comme un interlocuteur crédible, fiable et pertinent, et ce pour toute la durée de leur service, c’est gagné. S’ils ont besoin d’un espace de parole, ils feront appel à nous.»

La crédibilité s’acquiert aussi sur le terrain. «Il me semble important de passer du temps avec eux, par exemple lorsqu’ils sont en exercice et qu’ils passent la nuit dans un bivouac. Cela dépend aussi de la disponibilité des aumôniers et, parfois, de leur capacité physique. Je participe ainsi volontiers à une marche. Mais après 30 km, moi je lâche!» Selon l’aumônier, l’uniforme brise les frontières sociales. «A l’armée, vous êtes tous suisses et vos compétences sont reconnues. Des liens forts se créent très rapidement entre les militaires qui découvrent d’autres visions du monde, d’autres religions aussi. Je me souviens d’un jeune homme originaire des Balkans, qui avait été touché de voir que l’on prononçait son nom de famille correctement pour la première fois en Suisse. Et lors des décès au service militaire, je m’étonne d’entendre les camarades de troupe parler de la “perte d’un frère”, alors que deux mois avant, ils ne s’étaient jamais vus.» Cette étonnante ouverture d’esprit, les militaires l’appliquent aussi aux aumôniers.

Un ancrage chrétien

Si les compétences théologiques ne sont pas les premières sollicitées dans l’activité des aumôniers, Noël Pedreira n’oublie pas d’où il parle. «Mon engagement est ancré dans l’Evangile et dans ce qu’il dit de l’humain: il est infiniment aimé. A la suite du Christ, je me mets au service de mes semblables.» Il ne voit donc pas son statut au sein de l’armée comme contraire à ses valeurs. «Je me retrouve pleinement dans cette institution, car nous sommes une armée de défense.»

L’institution le lui rend bien et donne une grande liberté aux aumôniers, pour autant qu’ils ne perturbent pas l’ordre établi. Le capitaine aumônier précise: «Nous ne sommes pas un service des Eglises. Nous définissons librement notre mission. Elles nous soutiennent et fournissent les effectifs.»

L’aumônerie en chiffres

Actuellement, on dénombre 158 aumôniers de milice dans l’aumônerie de l’armée suisse: 74 catholiques-romains, 82 réformés et 2 catholiques-chrétiens. Parmi ces derniers, 6 femmes, une catholique romaine et 5 réformées ont choisi de s’engager dans la fonction d’aumônière.

En matière de langue, 29 aumôniers sont francophones, 9 sont italophones et 120 sont germanophones, dont quelques-uns sont de langue maternelle romanche. Ces aumôniers en poste bénéficient du grade de capitaine, ou de commandant de compagnie.

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