Un rabbin rocker et latino va poser ses valises à Lausanne

© Eliezer Shaï Di Martino
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© Eliezer Shaï Di Martino

Un rabbin rocker et latino va poser ses valises à Lausanne

22 septembre 2017
Eliezer Shaï Di Martino sera dès le 4 décembre le nouveau rabbin des juifs de Lausanne. Cet Italien fan de hard rock a travaillé au Mexique, en Colombie, en Italie et au Portugal. Et défend un judaïsme «humaniste».

L’annonce a été faite mercredi dans la synagogue de Lausanne, bondée à l’occasion du Nouvel An juif. Après des mois de recherche, plusieurs candidatures écartées, quelques tensions internes et le désistement d’un candidat à la dernière minute, les juifs traditionalistes de Lausanne tiennent leur nouveau guide: Eliezer Shaï Di Martino, un orthodoxe moderne.

Venu se présenter début septembre lors d’un week-end, sa personnalité et son parcours ont suscité l’enthousiasme de la majorité des membres de la communauté juive venus le rencontrer. Accompagné de son épouse israélo-mexicaine Malka et de leurs quatre enfants — trois filles et un garçon — il succèdera le 4 décembre à Lionel Elkaïm et à sa femme Myriam. Ces derniers retourneront vivre en Israël auprès de leurs trois enfants et sept petits-enfants fin novembre après de nombreuses années passées à Lausanne.

Basse et bassins

Que dire à propos d’Eliezer Shaï Di Martino? A première vue, rien que de très banal pour un rabbin. Il porte une barbe. Des lunettes. Sous son béret, une kippa noire — de celles prisées par les juifs particulièrement observants. Il aime faire des blagues, parfois incompréhensibles pour qui ne connaît pas la halakha, la loi juive. Et ses discours, prononcés dans un français latin car "rabbi Di Martino" jongle entre le portugais, l’espagnol et l’italien, sont émaillés de citations en hébreu.

Et pourtant, ce rabbin-ci cultive des passions qui pourraient faire tressaillir ses ouailles les plus austères. D’abord, il adore le hard rock — on avait de la peine à l’imaginer en l’écoutant faire la lecture de la Torah le vendredi soir. Il a d’ailleurs été bassiste dans un groupe pendant plusieurs années. Ensuite, il aime la natation qu’il pratique très régulièrement. D’ailleurs, question sport, il n’en est pas à son coup d’essai: le rabbin Di Martino a pratiqué le judo et le ju-jitsu brésilien pendant des années.

Ça, c’est pour les hobbies. Passons maintenant aux choses sérieuses, car les défis qui attendent cet homme de 39 ans sont de taille. Il s’agit de maintenir l’unité d’une communauté juive qui a connu plus d’une tension interne entre les pratiquants dits "de Kippour" qui ne viennent à la synagogue qu’une fois par an, mais sont très attachés à leur identité, et les piliers de synagogue qui ont une lecture stricte de la loi juive. Les premiers espèrent un rabbin totalement inclusif, qui prenne pleinement en compte la diversité de la situation personnelle des moins observant, les seconds voudraient un chef religieux rigoureux, qui ramène les plus laïcs sur les bancs de la shul (la synagogue).

Je viens d’une tradition d’humanisme religieux. Nous ne croyons pas qu’il faille vivre reclus. Au contraire, toute l’humanité a quelque chose à nous transmettre, car le monde est empli de sagesse.
Eliezer Shaï Di Martino, futur rabbin de la synagogue de Lausanne

Potentiellement, les sujets de discorde sont nombreux: l’accès des enfants issus d’une mère non-juive à l’école juive, l’enterrement des couples mixtes - le cimetière juif étant réservé normalement aux juifs… issu de la tradition séfarade (judaïsme du sud de l’Europe), le rabbin Eliezer devra, comme son prédécesseur Lionel Elkaïm, faire preuve de finesse pour faire respecter la loi tout en l’interprétant avec une ouverture telle qu’elle ne rebute pas les moins observant.

Interrogé début septembre par les fidèles sur sa philosophie, la réponse qu’il avait donnée laissait alors penser qu’il pourrait relever le défi avec brio. «Je viens d’une tradition d’humanisme religieux. Nous ne croyons pas qu’il faille vivre reclus. Au contraire, toute l’humanité a quelque chose à nous transmettre, car le monde est empli de sagesse. Comme Maïmonide l’affirme: “accepte la vérité de quiconque la dit”», soulignait-il.

Et puis, les diverses expériences du rabbin Di Martino l’ont habitué à jongler entre plusieurs cultures et points de vue sur le monde. Il y a d’abord eu Lisbonne pendant plus de six ans, entrecoupés d’un bref séjour à Barranquilla (Colombie). Eliezer Shaï Di Martino a ensuite été nommé à Trieste (Italie) deux ans, puis à Guadalajara au Mexique («vous savez, la série télévisée “Narcos” de Netflix n’est pas loin de la réalité», disait-il en plaisantant début septembre à Lausanne). Et puis, il a reçu une formation très particulière: celle du séminaire rabbinique Straus-Amiel à Jérusalem, cofondé par l’ancien grand rabbin d’Uruguay Eliahu Birnbaum — décidément, on ne soupçonnait pas l’influence du monde latino-américain sur le judaïsme contemporain.

Des rabbins "à la page"

«Le peuple juif a besoin de grands dirigeants», affirme le site Internet d’Amiel. Pour les faire émerger, les rabbins qui y sont admis reçoivent un cursus classique — loi juive, direction des offices, chant… –, mais aussi des cours leur permettant de répondre aux défis d’aujourd’hui. Marketing, relations publiques, relations interreligieuses, leadership, informatique: la formation est vaste et les épouses, formées en parallèle à l’institut Claudia Cohen qui est le pendant féminin, ne sont pas oubliées. «De toute façon, ma femme n’est pas vraiment le genre à rester à la maison», soulignait le rabbin Di Martino début septembre. A l’entrée de l’institut, la sélection, très stricte, ne se base pas que sur la qualité des études des candidats, mais aussi l’originalité de leurs parcours de vie. Parions que les talents de musicien du rabbin Di Martino n’ont pas été étrangers à son admission…

C’est à travers le rabbin de Zurich, issu de l’institut Amiel tout comme celui de Berne, que le président de la communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud Alain Schauder a été mis en contact avec le rabbin Di Martino. Recourir aux services d’Amiel présente un avantage de taille: le directeur fait le suivi annuel du travail des rabbins issus de son institut et leur trouve un si ceux-ci quittent la communauté. En d’autres termes, «le service après-vente est assuré», comme le soulignait malicieusement Alain Schauder en septembre. Parions qu’avec Di Martino, qui sera intronisé en décembre lors de Hanouka, la Fête des Lumières, les juifs de Lausanne n’auront pas besoin d’y recourir.