«J’ai toujours plus à dire à un mystique soufi qu’à un rabbin orthodoxe fermé»

Marc Raphaël Guedj © Keystone / Marc Trezzini
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Marc Raphaël Guedj © Keystone / Marc Trezzini

«J’ai toujours plus à dire à un mystique soufi qu’à un rabbin orthodoxe fermé»

23 octobre 2017
Entretien
Pionnier d’un dialogue interreligieux qui puisse dépasser ce qu’il considère comme le dialogue manqué entre les religions, le grand rabbin Marc Raphaël Guedj propose une autre voie: remonter aux sources de sagesses et aux racines des spiritualités pour entrer à nouveau frais dans le dialogue entre les grandes traditions.

«Tout reste à faire!», affirme Marc Raphaël Guedj, ancien grand rabbin de Genève qui n’a de complaisance pour aucune forme d’extrémisme. S’il admet «avoir planté une graine», il espère encore des changements. Créateur de Racines et Sources, une fondation à Genève qui encourage et développe le dialogue interreligieux et promeut la recherche dans une perspective interdisciplinaire, cet amoureux de mystique et de sagesse juive souhaite que ce dialogue «puisse se sortir de la comparaison des dogmes et des rituels».

Marc Raphaël Guedj, comment appréhender le dialogue interreligieux?

Il ne s’agit pas d’aborder le dialogue interreligieux à partir de la comparaison de nos dogmes, nos rites ou nos lois. Il faut visiter les racines de nos propres spiritualités et mettre en dialogue les différentes sagesses pour des fécondations réciproques. Mais pas de langue de bois! Il faut être capable d’aller voir ce qui fait mal dans nos textes, et être conscient des dimensions qui fâchent. Il y a un travail de prise de conscience, d’honnêteté et de vérité à faire qui peut permettre de désamorcer les conflits et les identités guerrières qui s’opposent. Il n’est pas question de nier ces identités, mais il faut qu’elles soient ouvertes, et qu'elles se questionnent elles-mêmes.

Nous juifs, avons tendance à rester entre nous, pour étudier Torah. Nous ne nous rendons pas compte que nous avons un patrimoine qui intéresse l’humanité. Il ne s’agit pas de judaïser le monde. Je ne veux pas vous convertir, mais nous avons une sagesse à partager. Et je pense que cette expérience de sagesse constitue un angle intéressant pour aborder le dialogue interreligieux.

Au sein de toutes les religions, il y a des tendances spirituelles qui défendent les identités. Cela peut aller jusqu’à vider le message de sa substance. Les gens qui transmettent cela sont "des invalides de la spiritualité". En rester à ce niveau marque un manque d’intériorité, lorsqu’il y a un chemin, un voyage, on ne peut parler ainsi en affirmant uniquement des convictions.

Quels parallèles la pensée juive a-t-elle avec le monde protestant?

Nous avons des rapports communs aux textes, l’interprétation nous sauve des coquilles vides. Ce qui nous lie c’est l’amour du texte, l’esprit non dogmatique. Et c’est ce monothéisme éthique que je partage avec le protestantisme. Il ne s’agit pas ici d’une simple vision historicocritique des textes il faut rechercher la nourriture spirituelle de ces textes. Cette sagesse profonde entendue comme un bien commun de l’humanité peut être un des secrets de la pacification de nos sociétés.

A chaque fois qu'on a voulu partager des valeurs universelles, on a cherché à les imposer aux autres par de la violence.
Marc Raphaël Guedj, rabbin

Qu’est-ce que la fondation Racines et Sources?

J’ai créé cette fondation en 2001. Mon credo part d’une analyse des identités monolithiques, exclusives où il faudrait rester dans la pureté de sa foi, de son identité nationale. L’autre risque d’impurifier ma foi et devient l’ennemi par excellence. Or l’identité n’est pas simple et n’est jamais monolithique. C’est en se rendant compte de nos complexités que l’on peut s’ouvrir à l’universel, c’est-à-dire la conjonction de coordination entre les valeurs, les civilisations et les spiritualités.

A chaque fois qu'on a voulu partager des valeurs universelles, on a cherché à les imposer aux autres par de la violence. C’est pour sortir de cette dialectique mortifère que j’ai créé cette fondation. Le travail du dialogue interreligieux consiste à prendre conscience de nous-mêmes et de faire des ponts entre les visions. Pour faire l’harmonie entre les valeurs, il faut remonter à la source, là où le sacré et la dimension spirituelle apparaissent. La fondation a pour but d’ouvrir la pensée juive à un discours qui dépasse les perspectives identitaires, sans faire dans le prosélytisme. A partir de cet angle, nous avons mis en place des groupes de recherches entre juifs, chrétiens et musulmans.

A Genève, nous organisons régulièrement des débats, des séminaires à l’université ainsi que les rencontres Cafés Sagesses de l’humanité. Nous ne sommes pas la seule institution qui prône cette approche mais nous étions peut-être des pionniers sur Genève.

La tolérance est-elle une composante du dialogue entre les religions?

Si vous dialoguez avec un intégriste, vous vous rendez très vite compte que la tolérance ne suffit pas. Il faut un message spirituel profond. Les discours pseudo-spirituels ont le vent en poupe. L’institution religieuse est de plus en plus désertée et il y a des identités dures qui attirent des jeunes. Ce sont des références simplistes, claires, puissantes, mais en fin de compte on est dans la violence. Et la tolérance n’est pas une référence claire. Pour lutter, il faut revenir aux racines spirituelles de nos religions. C’est à partir de la transmission de la spiritualité qu’on donnera des références aux jeunes générations qui n’auront plus besoin de sombrer dans l’intégrisme.

Que dire des intégristes?

J’ai toujours remarqué que les intégristes sont un peu comme des mollusques! Ils veulent une coquille dure parce qu’à l’intérieur tout est très mou. A partir du moment où l’intérieur est riche, je n’ai plus besoin de cette coquille. Moi-même, j’ai toujours plus à dire à un mystique soufi qu’à un rabbin orthodoxe fermé et exclusif. Il y a une fraternité des spiritualités et c’est cette fraternité que Racines et Sources souhaite promouvoir.

Quels changements espérez-vous?

Etre libéré du carcan de nos identités. Se libérer de la tentation impérialiste de nos universalismes. Et être sensible à la révélation du visage de l’autre dans sa spiritualité. Certains me reprochent mon ouverture, je sais que nos communautés ont encore du chemin à faire.

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