Cette écologie qui sacralise la nature

L’écospiritualité désigne une nouvelle tendance reliant l’écologie et la religion. Irene Becci, professeure à l’Université de Lausanne, décrypte le phénomène.
Des pratiques à géométrie variable
Le terme «écospiritualité» ne désigne pas une croyance ou une pratique unique, mais un ensemble d’approches extrêmement diversifiées.

Dans certaines écospiritualités, la nature est identifiée au sacré ou à Dieu lui-même (panthéisme). Cependant, dans les écospiritualités d’inspiration chrétienne ou musulmane, la nature retrouve une dimension sacrée sans pour autant remplacer Dieu. Michel Maxime Egger montre par exemple comment la théologie orthodoxe permet de développer une écospiritualité à partir des énergies divines présentes dans la création. 

L’écospiritualité peut aussi supposer que tout élément naturel possède un esprit. Chaque arbre, chaque montagne, chaque pierre, chaque animal est considéré comme étant à la fois spirituel et naturel. Les shamans, par exemple, cherchent à établir une médiation entre les êtres humains, les esprits de la nature et les âmes des morts. Ces contacts entre esprits permettent de garantir l’équilibre cosmique. 

Certains rituels ont pour but de guérir la Terre. D’autres visent à guérir les humains, par exemple en respirant en syntonie avec les vagues de l’océan. Aux yeux des chrétiens, il s’agit là de magie, mais pour celles et ceux qui vivent ces expériences, il s’agit d’écospiritualité. De tels rituels se caractérisent par une grande importance accordée aux mouvements du corps. 

L’écospiritualité peut aussi se rapprocher de l’écopsychologie. L’observation de la nature permet de mieux se connaître soi-même. Dans cette approche, la dimension communautaire est moins présente. Certains ateliers proposent par exemple aux femmes de se régénérer en rapprochant leurs cycles de fertilité de cycles naturels comme les phases de la lune. 

D’autres formes d’écospiritualité travaillent notre rapport à la nature, qu’il s’agit de ne plus exploiter. La permaculture favorise un style de vie rural et une production agricole respectueuse des êtres vivants. Refusant de voir la nature comme une ressource dans laquelle on peut puiser indéfiniment, de telles approches prônent un échange avec la nature plutôt qu’un rapport d’utilisation. Le courant antispéciste, en postulant que l’homme appartient entièrement à la nature, renonce à placer l’humanité au centre de sa conception du monde et accorde aux autres êtres une dignité égale. 

Pourquoi les chercheurs s’intéressent-ils à l’écospiritualité?

Depuis quelques années, un nombre croissant d’initiatives liées à la transition énergétique emploie des arguments religieux ou spirituels. Cela concerne les acteurs écologiques eux- mêmes, mais aussi les Eglises. Dès la n des années 1970, ces dernières ont emboîté le pas de la prise de conscience environnementale. La parution en juin 2015 de l’encyclique du pape François sur l’environnement va aussi dans ce sens. 

Quel rôle jouent les Eglises dans cette mobilisation ?
Une certaine ignorance règne au sein des milieux écologiques au sujet de l’engagement écologique des Eglises. Ces dernières mènent pourtant des actions visibles, comme œku-Eglise et environne- ment (œku.ch/fr). Il faut se souvenir que l’écologie politique des années 1970 nourrissait une critique radicale des Eglises. Dans les milieux écologistes actuels, le terme de spiritualité est d’ailleurs nette- ment préféré à celui de religion. 

Qu’est-ce qui conduit les mouvements écologiques à recourir à la spiritualité ? 

L’écospiritualité permet de sortir du registre de l’écologie politique. Cette dernière situe le problème de l’écologie dans les méthodes de production capitaliste et dans les rapports de pouvoir Nord-Sud. Plus proche du quotidien, l’écospiritualité permet d’impliquer concrètement chaque personne ordinaire dans le virage écologique. Il s’agit d’une prise de conscience et d’une manière de penser à la fois philosophique et théologique. La crise écologique est reliée à un changement existentiel profond. L’écospiritualité invite à réorienter le sens de la vie humaine en la rapprochant des rythmes de la nature. 

L’écospiritualité répond donc à un besoin d’engagement individuel ?

Le discours de l’écospiritualité permet en effet de sortir du sentiment d’impuissance fréquemment ressenti face au désastre écologique planétaire. Même si nous ne savons pas exactement si cela est utile ou non, manger bio et acheter localement ne nous fait pas de mal. Ces attitudes nous rassurent et nous permettent de donner une réponse simple et pratique à un phénomène perçu comme trop complexe à large échelle. 

Quel rôle joue cette composante émotionnelle ?

L’écospiritualité ne se situe pas d’abord dans le registre de la rationalité, mais concerne plutôt le récit de soi, la métaphore, le ressenti et l’émotionnel. Suivant le type de contact qu’elles proposent avec la nature, les pratiques d’écospiritualité (voir encadré) peuvent d’ailleurs susciter des expériences surprenantes ou inattendues. La tendance à idéaliser la nature peut avoir des conséquences paradoxales. En effet, la nature n’est pas toujours rassurante. Elle peut aussi être violente et nous confronter aux limites de notre corps. Aux côtés de ces dimensions émotionnelles, l’écospiritualité s’appuie aussi sur des données de type scientifique, comme le réchauffement climatique et la perte de biodiversité. 

 

Irène Becci

Sociologue et anthropologue du programme de recherche "Spiritualité et religion : les nouveaux carburants de transition énergétique en Suisse?" qui réunit différents partenaires de recherche avec la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne.