Dieu, une contre-enquête... décevante

Dieu, la contre-enquête (Thomas C. Durand, détail de la couverture) / Dieu, la contre-enquête (Thomas C. Durand, © humanSciences, 2022, détail)
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Dieu, la contre-enquête (Thomas C. Durand, détail de la couverture)
Dieu, la contre-enquête (Thomas C. Durand, © humanSciences, 2022, détail)

Dieu, une contre-enquête... décevante

9 octobre 2022

En réponse à l’ouvrage “Dieu, la science, les preuves” paru en automne 2021 et qui, en guise de preuves (scientifiques) de l’existence de Dieu, réchauffe de vieilles lunes, j’attendais avec intérêt “Dieu, la contre-enquête”, l’ouvrage* du zététicien Thomas C. Durand, animateur de la Tronche en biais aussi connu sous le pseudo Acermendax. Avant cette parution de fin août, j’avais déjà vu et lu le stimulant ouvrage de François Euvé, “La science, l’épreuve de Dieu ?”, qui est hélas passé un peu inaperçu.

 

Dans le registre de l’épistémologie et de la science, le livre de Durand est salutaire et remet les pendules à l’heure. Il procède à des clarifications bienvenues et bouscule des lectures convenues. Ce qui constitue là une compétence ne fait chez moi que mon intérêt : je dois donc faire confiance à l’auteur pour ce qu’il amène dans ce registre, et il me semble que je peux raisonnablement le faire. Je peux ne pas partager tous les chemins rhétoriques choisis par lui dans sa critique, mais reconnaître que cette contre-enquête tient globalement le coup et qu’elle était nécessaire face à un ouvrage sorti à grand renfort de publicité mais qui ne rend service, ni aux sciences, ni à la théologie. J’aurais attendu une réflexion sur les limites de l’empirisme et une autre sur les crises épistémologiques qui ont diversement secoué les sciences physiques et les sciences du vivant (au point que les biologistes, à ce qu’il paraît, sont aujourd’hui moins enclins à la croyance ou à la spiritualité théiste/déiste que les astrophysiciens). Mais passons.

 

Ma reconnaissance tient sans doute au fait que j’ai toujours éprouvé de l’embarras, tantôt évident, tantôt diffus, devant les preuves classiques ou plus récentes de l’existence de Dieu, qu’elles soient métaphysiques, rhétoriques, plus ou moins théologiques ou bien à connotation scientifique : ce mélange des genres et la superposition des arguments ne m’ont jamais convaincu. Les sophismes portent toujours une faille, même (surtout ?) ceux auxquels on croit. Et le Dieu invoqué à l’appui des démonstrations est bien trop souvent abstrait et philosophique – y compris dans le livre de Durand. Pour ne citer qu’un exemple : après la contemplation émerveillée, pourquoi la complexité du vivant devrait-elle obligeamment convoquer la figure du Créateur, alors qu’une poétique de la foi ne constitue effectivement pas une preuve scientifique ?

 

Cela étant posé, il faut par contre émettre des sérieuses réserves quant au traitement réservé à la matière biblique et historique dans cette contre-enquête (sans parler de la théologie), pour constater les carences manifestes d’une méthode qui se prétend critique mais qui n’est qu’un festival de lieux communs. Cela ne serait pas gênant si cela ne débouchait sur un certain vide du propos. Voyant le vent venir en considérant tel contenu du site web zététique de La Menace théoriste ou en entendant telle parole sur sa chaîne YouTube La Tronche en biais, j’avais pourtant essayé de prendre contact avec l’auteur plusieurs mois auparavant, par curiosité et intérêt personnel, pour ouvrir un échange critique et pour travailler ses compétences, sans autre succès qu’une réponse polie, sommaire et molle. Dommage et étonnant de la part de quelqu’un qui se targue pourtant de rechercher le dialogue avec ses contradicteurs. Au bénéfice du doute, peut-être avons-nous été lui et moi victimes des aléas des courriels ou de Messenger (cela demeure une hypothèse raisonnable, quoique affaiblie par quelques tentatives insistantes…) ?

 

Entre la pertinence du propos épistémologique d’une part, et d’autre part la consternation que suscite là le traitement des sciences bibliques auprès de tout chercheur ou universitaire un tant soit peu (in)formé et sérieux (et j’insiste sur le fait qu’il s’agit ici d’une réaction non pas confessante mais bien de nature académique), on ressort déconcerté par la lecture de “Dieu, la contre-enquête”, avec le sentiment d’une immense occasion manquée, regrettant que le propos n’ait manifestement pas été soutenu par une démarche interdisciplinaire, pourtant possible. Dans cet ouvrage, il en va comme si la posture athée (voire ‘négathée’, plutôt ‘ignostique’, cf. p. 16, 238-240) et anticléricale de l’auteur, au demeurant honorable, avait saturé le champ critique pour offrir au lecteur médusé d’autres lunes – non moins vieilles que celles que l’ouvrage s’applique fort justement à dénoncer, chapitre après chapitre.

 

Il ne suffit pas que je me cantonne à ce jugement sévère : il me faut étayer le propos. Voici donc, brièvement mais avec quelques détails et citations, le corps du litige.

 

Bien qu’on puisse lui porter crédit de qualités certaines en sciences du vivant et en épistémologie de sciences, ses domaines de prédilection, l’auteur se défausse un peu vite (p. 25) de la compétence qu’il n’a manifestement pas, celle de “connaissances historiques ou liturgiques poussées… pour aborder le genre de question que pose le titre de ce livre. En réalité, la question de l’existence de Dieu n’a rien de spécialement complexe”. La taille de son ouvrage permet d’en douter, mais s’il est bien une compétence qui fait défaut à l’auteur, ce que l’on constate au bout d’un moment, c’est celle d’historien et de bibliste. On le lui demande certes pas d’être théologien mais, pour tout dire, qu’il le fût au moins un peu lui permettrait de truffer son texte de moins d’assertions gratuites et de choisir ses références et ses auteurs (fussent-ils apologètes, comme il aime les appeler quand ils ne sont pas de son bord) avec plus de soin.

 

Comment prendre en effet au sérieux un seul instant que les positions d’un William Lane Craig, de la puissante et conservatrice Alliance baptiste du Sud, cité plusieurs fois à l’appui du (contre-)propos (p. 31, 99-100, 123-124), puissent être représentatives du christianisme contemporain, ou suggérées comme telles à défaut de présenter d’autres positions ? C’est pourtant, assez grossièrement, ce que Thomas Durand essaie de nous enfiler : voilà tout de même un rétrécissement du christianisme assez étrange et saisissant ! Que cela existe est une chose (que l’on peut saluer ou déplorer), mais que le christianisme puisse s’y trouver comme exprimé dans sa quintessence pour être dézingué dans la foulée est tout autre chose. Cela me semble éclairer toutefois le choix, chez l’auteur, d’un environnement textuel et intellectuel très marqué par les références anglo-saxonnes, éprouvées qu’elles sont par un contexte créationniste lancinant outre-atlantique mais très anecdotique en Europe francophone. J’avais déjà éprouvé le même malaise à la lecture de Richard Dawkins, tout britannique qu’il est.

 

Par ailleurs, bien qu’elle soit stimulante comme critique (im)pertinente du religieux, la potachologie des licornes ou du pastafarisme ne suffit pas à oblitérer le fait que la critique interne du christianisme est profonde et pas moins féroce ni affûtée que les mots des contempteurs contemporains de celui-ci, notamment quant au Dieu bouche-trous. Cette critique interne est volontiers mieux renseignée et avisée, en tout cas, et depuis des décennies. Encore faut-il le savoir.

 

De ce point de vue, c’est avec les citations bibliques et leur usage que l’on touche le fond – et que l’on trouve peut-être un indice éclairant la posture étonnante de l’auteur. Parmi d’autre exemples, que penser en effet de cette salve d’assertions sur Jésus de Nazareth (p. 331-333), appuyée par des citations néotestamentaires livrées hors de tout contexte, de tout éclairage, de toute interprétation ? Qui donc l’auteur essaie-t-il de convaincre, en dehors des littéralistes, en devenant lui-même littéraliste et porteur d’une lecture naïve des Ecritures ? Comment se fait-il qu’il semble si démuni face à l’herméneutique, n’offrant dans le meilleur des cas que l’évocation d’une lecture métaphorique comme porte de sortie à certains textes effectivement délicats, pour ceux qu’il nomme ici ou là les ‘croyants modérés’ (!), ou pour la majorité tranquille d’entre eux ?

Oh combien j’entends et partage – et lis, au chapitre 30 – la dénonciation des dérives du christianisme : justifications indues, violences en tous genres, esclavage, zones d’ombre ! Combien j’ai sincèrement souri ou acquiescé à certaines critiques qu’il formule ou certaines citations qu’il relaie au fil de son livre. Mais combien je trouve sidérante – et sceptiquement indéfendable ! – cette contre-apologétique caricaturale qui cite la Bible benoîtement, sans l’effort d’une lecture savante. On dirait un théologien qui parle de sciences qu’il ne connaît pas. Du coup, ce n’est que de l’exégèse de pacotille dans un ouvrage qui porte pourtant une forte ambition. Les sciences bibliques seraient-elles à ce point dépourvues de tout crédit aux yeux de l’auteur pour n’être pas même considérées dans leurs apports critiques indéniables ? Avec le bagage sceptique et la distance dont se prévaut le vulgarisateur scientifique qu’il est, on peine à comprendre, mais la question est lancinante et porte ombrage sur le reste de la méthode. Ça décadre donc d’avec la prétention qui accompagne le livre, et suffirait à ruiner celle-ci si l’on venait à ne pas raison garder.

 

A plusieurs reprises (p. 14, 22, 25, 35, 55), Thomas Durand avancera que son projet n’est pas de prouver la non-existence de Dieu, mais de répondre à celles et ceux qui utilisent la science pour prouver Dieu. Bon. Cela ne l’empêche nullement d’achever son ouvrage ainsi, d’une manière qui, après 350 pages, n’apparaît pas comme une simple boutade : “Jusqu’à preuve du contraire, il faut déclarer Dieu innocent : il n’existe pas.” (p. 353, cf. aussi autrement p. 331). A chacun ses biais et son apologie, manifestement… C’est au point qu’après avoir challengé l’irrépressible besoin de croire qui porte certain.es, on aimerait également interroger ce besoin d’avoir-des-raisons-fortes-et-indubitables-pour-ne-pas-croire qui traverse incidemment tout l’ouvrage.

 

Tout cela est bien dommage car, parti d’une démarche intéressante et nourri d’une prudence bienvenue, ce livre finit en règlement de comptes. “A chacun son domaine de compétence”, écrivait pourtant l’auteur (p. 127). ‘Certes’, aimerait-on seulement répondre avec sobriété mais insistance… Il aurait dû endosser sa précaution d’humilité (p. 23) avec davantage d’assiduité. Comme un aveu involontaire, le propos suivant vient donc ici tenir lieu de conclusion à notre critique déçue : “Nous avons de bonnes raisons de faire confiance à quelqu’un qui a fait les preuves de sa compétence dans un domaine. Mais cette compétence ne lui confère aucune autorité dans un autre domaine.” (p. 127). Certes derechef.

Allez, pour l’amour, non de Dieu mais de la recherche et de la compétence, encore un petit effort vers la cohérence, cher Thomas Durand ! Et merci, résolument merci pour ce que vous faites là où vous le faites bien.

 

BM

 

*Thomas C. Durand, Dieu, la contre-enquête, Paris, Editions humenSciences, 2022, 366 pages

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