La Création divine ne s'identifie pas au Big Bang

Schéma de l'évolution de l'Univers, du Big Bang (à gauche) à nos jours (à droite) (wikipedia). / Schéma de l'évolution de l'Univers, du Big Bang à nos jours (wikipedia).
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Schéma de l'évolution de l'Univers, du Big Bang (à gauche) à nos jours (à droite) (wikipedia).
Schéma de l'évolution de l'Univers, du Big Bang à nos jours (wikipedia).

La Création divine ne s'identifie pas au Big Bang

4 juin 2023

"Au commencement Dieu créa les cieux et la terre" (Gn 1,1). Ainsi débute le livre de la Genèse, en ouverture de la Bible. Dès lors, la tentation est grande d'amalgamer science et foi, en fusionnant le premier verset de la Bible avec la célèbre théorie de physique cosmologique, dite du Big Bang, échafaudée pour la première fois par le chanoine et physicien George Lemaître (1894-1966) à la fin des années 20 du siècle dernier.

Or, tant du côté de la physique, que de celui de la théologie, cet enchainement de causes et d'effets est problématique. Il n'est pas évident d'affirmer que le Dieu créateur est la cause du Big Bang, puis cette "explosion initiale" est la cause de l'Univers présent. Lorsqu'en 1951, le pape Pie XII voulut se servir de la théorie de Lemaître pour prouver l'existence de Dieu à la lumière de la science moderne, le chanoine en fut très affecté. A ses yeux, l'hypothèse physique de l'expansion de notre Univers à partir d'un "atome primitif reste entièrement en dehors de toute question métaphysique et religieuse. Elle laisse le matérialiste libre de nier tout être transcendant" (G. L., Onzième conseil Solvey, 1958).

Cette indépendance entre la science et la foi, qui sont selon Lemaître "deux chemins vers la vérité" différents, complémentaires et non conflictuels (G. L., New York Times Magazine, 19 février 1933), provient du fait que les causes théologiques ne sont pas de même nature que les causes physiques. Nous établirons, dans cet article, que de telles causes, si différentes l'une de l'autre, ne peuvent être associées sans risquer d’élaborer des successions hybrides d’événements, en fin de compte dénuées de toute valeur, tant sur le plan théologique que scientifique.

Conviendrait-il par exemple de réécrire ainsi le premier verset de la Bible : "Au commencement, Dieu créa le Big Bang et la Terre" ? Selon la cosmologie moderne, le Soleil et le système solaire, dont la planète Terre, se sont formés il y a entre 4 et 5 milliards d'années, soit plus de 10 milliards d'années après le Big Bang, et non au commencement, selon la traduction française du mot hébreu bereshit, qui signifie littéralement dans la tête ou en tête.

La physique théorique ne saurait prouver l'existence de Dieu

L'hypothèse du Big Bang suivi de la croissance de notre Univers se fonde sur plusieurs déductions mathématiques à partir de données observables de notre point de vue humain. Il s'agit donc d'une théorie scientifique, à savoir d'une conception de la réalité dont la pertinence repose sur une combinaison de mesures, d'expériences, de calculs et de modélisations fort complexes, et en aucune mesure sur des croyances religieuses. De telles élaborations théoriques sont susceptibles d'évoluer au fil du temps, soit de façon continue par de petites inflexions, soit par une révolution modifiant en profondeur le paradigme scientifique actuellement dominant. Les théories scientifiques ne peuvent donc jamais servir de preuves ou de contre-preuves de l’existence de Dieu. Elles ne sont cependant pas dénuées de valeur, car elles rendent compte correctement d'un ensemble très vaste, mais pas illimité, de phénomènes observables, qu'elles rendent explicables et prédictibles.

Je me limite ici à présenter brièvement six aspects souvent discutés de la théorie du Big Bang, qui n’entachent pas radicalement sa valeur de référence, mais qui inscrivent ses thèses dans les débats contemporains de la recherche en physique fondamentale.

Premièrement, il convient de préciser que formellement, la science physique ne peut rien dire de l'instant zéro, qui est un postulat. En effet, dans la mesure où elle étudie les liens entre les causes et leurs effets, si l'apparition de l'Univers est précédée par "rien", elle reste inexplicable physiquement. Ici, la théologie ne doit pas voler au secours de la physique, saisissant l’occasion de s’engouffrer dans cette lacune inexpliquée, car tôt ou tard, la discussion scientifique comblera ce vide et en chassera l’explication théologique. J'illustre cette situation par l'attitude d'un élève paresseux, qui écrirait sur sa feuille d'épreuve : "Je ne parviens pas à résoudre cette équation, mais Dieu en connaît la solution à ma place".

Deuxièmement, à supposer que la matière-énergie de l'Univers se soit trouvée concentrée dans un espace nul à l’instant zéro du Big Bang, ce stade initial suppose une masse volumique infinie, ce qui n'a physiquement pas de sens. La fonction de l’instant zéro, en lui-même impensable, permet de structurer le déroulement causal des événements lors des premières fractions infinitésimales de seconde, essentielles pour la formation de l’Univers.

Troisièmement, et il s’agit là d’un point essentiel, la théorie du Big Bang ne résout pas la question de l’apparition des quatre dimensions (longueur, largeur, hauteur, temps) de l'espace-temps contenant la matière-énergie initialement concentrée en un point. La question de l’étendue du vide de l’espace sidéral au moment du Big Bang doit être posée.

Quatrièmement, l'hypothèse intuitive d'un temps scalaire et uniforme, adoptée par Isaac Newton (1642-1727) dans sa physique classique, est de longue date dépassée en faveur de la conception relativiste de l'espace-temps introduite par Albert Einstein (1879-1955), laquelle admet des déformations de l’espace-temps imperceptibles et contre-intuitives à notre échelle, mais dont l’effet est considérable à l’échelle et à la vitesse des particules.

Cinquièmement, la théorie du Big Bang pose de sérieux problèmes en ce qui concerne l'adéquation, encore inachevée, entre la physique relativiste de l’infiniment grand et la physique quantique de l’infiniment petit, car les deux aspects sont réunis dans le Big Bang.

Sixièmement, les physiciens qui s'interrogent au sujet de la pertinence de l'hypothèse d’un instant zéro dénué de causes physiques sont parfois amenés à postuler l'existence d'un ou plusieurs univers, avec éventuellement un nombre de dimensions supérieur à quatre, imperceptibles de notre point de vue humain, et dont « notre » Big Bang serait un événement isolé. Il convient de préciser ici que de tels multivers sont des conceptualisations théoriques ayant pour but d'unifier mathématiquement les résultats expérimentaux des physiques relativiste, quantique et cosmologique, et sont sans rapport avec les croyances ésotériques en d'autres dimensions et forces spirituelles invisibles.

La Création divine ne concerne pas uniquement le début du cosmos

Tout autrement, l’affirmation de l'acte créateur de Dieu ne repose sur aucune observation ni aucun calcul scientifique. Le Dieu de la Bible, transcendant, se situe en retrait de notre espace-temps et de tout autre multivers, et donc hors du champ d'investigation de toute physique fondamentale et expérimentale. L'acte de foi en ce Dieu créateur repose sur une révélation qui ne provient pas avant tout de la Création divine (Rm 1,18-20), mais des Ecritures éclairées par l'Esprit Saint, qui relatent l'œuvre salvifique de Dieu en Jésus-Christ. Ainsi, vouloir prouver Dieu au travers de la science, c’est court-circuiter l’Evangile.

Théologiquement, la notion de cause divine du Big Bang est problématique dans la mesure où elle suppose un enchainement temporel. Si nous considérons le Big Bang comme le début du temps, sa cause ne peut pas se situer dans le temps qui le précède. D'emblée, il apparait ainsi que la cause théologique est hors du temps. Il est insensé de penser que Dieu a agi "avant" le Big Bang pour en être la cause. Ceci est d'autant plus vrai que, si Dieu est perçu comme créateur non seulement de la matière-énergie, mais aussi de l'espace-temps, il se situe lui-même hors du temps et de l'espace, de sorte que le passé et l'avenir, le lointain et le proche, n'ont aucune réalité de son point de vue, sa vision embrassant tout l’espace-temps, qui plus est toute transcendance et toute immanence, en un seul regard.

Cette idée d'un Dieu hors du temps, Eternel non au sens d'une durée interminable (qui le situerait encore dans le temps), mais au sens d'une Présence simultanée en tout temps et tout lieu, est exprimée dans l'Apocalypse, dernier livre de la Bible, par l'affirmation que Dieu est en Christ "l'Alpha et l'Omega, le Premier et le Dernier, le commencement et la fin" (Ap 22,13). Cette perspective revient à considérer la Création comme un acte permanent de Dieu, situé tant à l'origine, au présent et à la destination ultime de toute réalité.

Lorsque nous parlons théologiquement de la Création divine, nous pensons Dieu en tant que Créateur non seulement du Big Bang, mais de toute loi universelle, de toute Sagesse (Pr 3,19) et de chaque temps et lieu de l'Univers, et donc aussi de chacun de nos jours (Ps 118,24), qui sont autant de dons du Dieu créateur de nos vies. Selon cette approche théologique, il n'y a aucune impossibilité de penser Dieu comme étant le Créateur d’un espace-temps de durée et de taille infinies, sans limites de temps et de volume.

En considérant les paradoxes logiques que ces raisonnements suscitent immanquablement, de telles pensées nous invitent à dissocier les événements primordiaux du cosmos décrits par la physique théorique, et la Création divine dans son ensemble, dont l’existence de chaque être inerte ou vivant dépend intimement. Il s’agit donc de distinguer soigneusement le DEBUT chronologique de l’espace-temps que représente le Big Bang, il y a 17 milliards d'années ; et l’ORIGINE du monde, la source intime et intemporelle de chaque existence temporelle que représente l’acte Créateur de Dieu, à la fois hors du temps et en tout temps.

En conduisant cette théologie jusqu'à son aboutissement, le foi invite à penser un Dieu qui, dans son élan créateur, a projeté la fin de l'Univers avant son début, de sorte que la destinée de chaque être conduise inexorablement vers son Règne éternel, qui en est à la fois l'origine et le sens intime. De telles spéculations philosophico-théologiques, non dénuées de fondements bibliques, devraient donc à mon sens être soigneusement distinguées des découvertes de la physique moderne. Lorsque le Christ johannique s'exclame "Avant qu'Abraham fut, je Suis" (Jn 8,58), il ne s’agit pas d’une affirmation de physique au sujet d’une possible inversion de la flèche du temps (retour vers le passé), mais d’une affirmation théologique selon laquelle la réalité la plus essentielle qui crée et soutient toutes choses, le fond christique de l'être, conjugue tous les temps et les lieux réunis.

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