L'Eglise comme club

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L'Eglise comme club

2 octobre 2023

Peu à peu les Eglises sont devenues des groupes fermés de membres partageant un petit nombre d'intérêts communs : des clubs. Ce ne fut de loin pas toujours le cas. Au moyen-âge l'Eglise détenait le pouvoir sur l'ensemble de la société. Dans certains cantons suisses des Eglises ont été qualifiées de « nationales ». Cependant, depuis 2003, dans le Canton de Vaud, n'est plus prise en considération par la constitution que la contribution des Eglises et communautés religieuses au lien social et à la transmission des valeurs fondamentales. L'évolution de la place des Eglises dans la société reflète une privatisation progressive du fait religieux. Ces vingt dernières années, cette privatisation s'est auto-organisée socialement sous la forme de petites communautés ayant des liens très divers entre elles. De plus en plus, elles ont tendance à se suffire à elle-même. Leurs liens avec une Eglise cantonale, fédérale ou mondiale n'a plus guère d'importance pour ceux qui se retrouvent dans ces multiples ecclésioles. Souvent leur lien avec la société civile n'est de loin pas leur premier souci. Cette manière de vivre en Eglise est variable selon les lieux, les centres d'intérêt, les confessions et dénominations, leurs capacités financières, etc... Reste qu'il s'agit là d'une tendance perceptible qui ne concerne pas seulement les milieux autoproclamés « évangéliques » mais aussi les Eglises historiques.

Qu'est-ce qui assure le lien entre les membres de ces clubs ? Le propre d'un club est d'être un endroit où l'on se sent à l'aise, chez soi, at home. Dès lors les membres d'un club n'ont pas envie qu'on les remette en question. Ils sont en général d'accord sur un certain nombre des points essentiels. Il va de soi qu'ils ne doivent pas nécessairement être d'accord sur tout. C'est en général conçu comme impossible. En tant que membres d'un club qui se veut chrétien, ils ont quelques idées en commun à propos de Dieu, de Jésus, peut-être du Saint-Esprit, de la Bible... Ils partageront surtout quelques idées éthiques, quelques codes de conduite. Et, plus que tout, ils cultiveront une chaude amitié et une ambiance particulière créée par exemple par un type particulier de musique... Le club est encore un lieu où l'on peut partager en confiance ses soucis, ses questions, peut-être ses angoisses. Il est aussi un lieu où l'on peut oublier la vie du dehors en s'immergeant dans un groupe où l'on ne craint rien et dont est en droit de recevoir des appuis divers.

Une des caractéristiques sociologiques de tout club réside dans sa relative fermeture. Dès lors on ne transige pas sur les principes qui définissent l'appartenance à un club chrétien. Vous ne croyez pas que la Bible est tout entière la parole de Dieu ? on tentera de vous convaincre que vous avez tort, mais assez rapidement on vous dira, de manière parfaitement tolérante, qu'il vous faut aller dans un autre club où on pense ainsi. Vous estimez que les problèmes posés par les migrations ne sont pas de problèmes urgents comme nous l'estimons dans notre club ? on ne vous juge pas, mais vous fait comprendre que vous serez mieux dans un club où, par exemple, on s'intéresse davantage à vos problèmes personnels qu'à des questions sociales... Certes il y a des clubs moins tolérants que cela. On y est certain de détenir la vérité, la droite manière de croire et d'agir. D'autres clubs seront plus ouverts encore : peu y importe la doctrine, l'important est l'amitié qui lie ses membres sur un arrière-fond que l'on dit chrétien sans très bien savoir ce dont il s'agit précisément, sinon qu'on y lit la Bible et y prie.

On ne peut que prendre acte de cette transformation des Eglises en clubs. Il ne sert à rien de regretter le bon vieux temps, l'époque où... Par contre, il est toujours intéressant de tenter de comparer cette forme sociologique avec ce qui semble, aux origines du christianisme, avoir présidé à la formation de communautés chrétiennes. Certes il y a dû y avoir alors des raisons très diverses. Toutefois leur dénominateur commun pourrait bien avoir été la volonté de s'entraider entre croyants pour s'édifier les uns, les autres, mais aussi pour mettre en commun ses forces afin que la parole qui avait fait d'eux des croyants soit transmise plus loin. De manière générale, on peut estimer que nos clubs ecclésiaux actuels réalisent la première intention : s'édifier mutuellement. On peut toutefois remarquer que ce n'est souvent pas la première raison de s'y retrouver. Par contre, la seconde raison d'être des premières Eglises est peu développée par nos clubs ecclésiastiques. Il y a des exceptions, mais cela reste des exceptions. Il n'est que de considérer le peu d'importance que les clubs réformés locaux accordent par exemple au Département Missionnaire des Eglises romandes. Ou bien il est étonnant que des communautés « évangéliques » aient abandonné les campagnes d'évangélisation d'il y a encore trente ans. Elles étaient devenues sans effet ? Certes, mais par quoi les a-t-on remplacées ? Nos clubs ecclésiaux sont effectivement de plus en plus clos sur eux-mêmes.

Tout club profane ou religieux a tendance à se subdiviser en sous-groupes. Dans un club que je connais plutôt bien, on peut constater que se sont formés deux clubs de jeunes : ceux qui ne sont pas adultes et ont donné leur cœur à Jésus et ceux qui ne sont pas adultes, mais sont chrétiens plutôt par tradition. Parmi les moins jeunes, il y a un groupe d'hommes et un groupe de femmes. Le culte « traditionnel » réservé surtout aux personnes âgées a disparu, mais restent des groupes d'aînés : celui qui régulièrement prie, celui qui étudie la Bible, celui pour qui on organise des conférences, sorties et voyages culturels... Dans ce maxi-club qu'est la communauté en question, on se retrouve le dimanche pour un culte commun. Entre ces sous-groupes, des tensions apparaissent. Dans certaines communautés elles vont jusqu'à la scission. Souvent on s'arrange pour maintenir une juxtaposition irénique des sous-clubs ou des clubs constitués, mais sans grand souci de s'enrichir les uns, les autres.

J'ai participé récemment à un culte réunissant plusieurs paroisses. J'ai d'abord pu constater que ces divers clubs avaient visiblement des traditions bien différentes. Certains chants étaient entonnés avec enthousiasme par une petite partie de l'assemblée alors que tous les autres participants restaient presque muets, d'autres chants l'étaient par une autre partie de l'assemblée... Mais surtout, lors de l'après-culte les membres de chaque club étaient réunis dans une coin différent, même s'ils trinquaient au même vin et partageaient les mêmes pâtisseries. Quant à moi qui n'appartenait à aucun de ces clubs, j'ai tranquillement bavardé dans mon coin avec un ami qui lui aussi était présent un peu par hasard. Personne n'est venu nous déranger dans notre conversation, par exemple, pour nous accueillir ou pour s'enquérir de savoir si nous aurions quelque besoin, voire de venir peut-être profiter de notre vie de foi... Autrefois, me direz-vous, il n'y avait pas d'après-culte et les gens venaient en famille au culte consommer du religieux et s'en retournaient chez eux sans nécessairement saluer d'autres membres de la communauté. Reste malheureusement de cette époque effectivement malencontreuse l'égoïsme consumériste. On vient chercher dans la communauté ce qui nous semble utile, mais on y vient peu pour partager, échanger, se laisser peut-être remettre en question, mettre ses forces ensemble pour transmettre ce qui nous tient à cœur.

En bref : avec les Eglises-clubs, la dimension militante de l'Eglise n'est toujours pas réapparue. Quant un club milite, c'est contre l'avortement, pour les réfugiés, pour l'écologie, mais plus guère pour que la parole de Dieu libère, donne sens, permette d'être authentiques à nos congénères qui en ont si fondamentalement besoin.

 

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