Les Eglises se taisent-elles ou font-elles entendre leur voix (2)?

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Les Eglises se taisent-elles ou font-elles entendre leur voix (2)?

23 octobre 2023

L'action du Hamas entamée le 7 octobre est injustifiable, mais pas inexplicable. Quand des individus voient leurs droits fondamentaux niés par un Etat pendant des décennies, on peut comprendre que la révolte couve puis éclate à intervalles réguliers. Ce qui est injustifiable, c'est la manière d'exprimer cette révolte, à savoir en supprimant délibérément des vies humaines.
Le « coup » perpétré par le Hamas a eu des effets émotionnels particulièrement forts. L'Union Européenne, par exemple, a de manière précipitée décidé d'interrompre toute aide à la population palestinienne, puis est revenue sur sa décision. Le Conseil Synodal de l'Eglise Evangélique Réformée du Canton de Vaud s'est, sous l'empire d'une émotion tout aussi forte, fendu d'un communiqué qu'il résume ainsi : « Le Conseil synodal de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud (EERV) condamne l’attaque barbare menée par le Hamas depuis le 7 octobre 2023 contre des personnes civiles innocentes. L’Eglise réformée vaudoise exprime sa solidarité envers les victimes innocentes – ainsi qu’envers la Communauté israélite de Lausanne et du Canton de Vaud - et demande de porter les familles touchées dans la prière. » (https://www.eerv.ch/actualites/detail-des-actualites/leglise-reformee-vaudoise-exprime-sa-solidarite-et-porte-les-victimes-dans-ses-prieres). Peut-être aura-t-il lui aussi le souci, une fois un peu de distance prise, de rectifier le tir. Car rectification, il devrait y avoir.

Pourquoi le Conseil Synodal vaudois réagit-il ce 12 octobre alors qu'il n'a pas réagi à chaque fois que les forces israéliennes sont intervenues en Cisjordanie ou à Gaza pour tuer non seulement des combattants de telle ou telle organisation armée, mais aussi des civils, des innocents ? Pourquoi ce Conseil ne dénonce-t-il pas les expropriations de terres appartenant à des palestiniens ? Pourquoi n'élève-t-il pas la voix quand de nouvelles colonies sont implantées illégalement en Cisjordanie ? etc. etc. En résumé : pourquoi, quand c'est la nation israélienne qui est attaquée, réagit-il et n'en fait-il pas de même à chaque fois que le peuple palestinien l'est ? Parce que les palestiniens le sont trop souvent ? Maintenant que l'armée israélienne a fait plus de 5000 victimes (au moment où j'écris) à Gaza, il pourrait aussi se fendre d'un communiqué.

Par ailleurs, en exprimant sa solidarité avec la communauté israélite de Lausanne et du Canton de Vaud, le Conseil Synodal vaudois légitime le fait que la nation israélienne est une nation de religion israélite. Il reconnaît implicitement comme légitime l'inscription récente dans les Lois fondamentales de ce pays qu'Israël est l' « Etat-nation du peuple juif » avec l’ambiguïté entourant cet adjectif. Ce faisant ce Conseil Synodal cautionne l'exclusion de la pleine citoyenneté israélienne les habitants de cet état qui sont musulmans, druzes, chrétiens... Pourquoi, dans son effort de relations pacifiées avec les autres Eglises chrétiennes ou avec diverses communautés musulmanes installées dans le canton de Vaud, ce Conseil n'a-t-il pas aussi exprimé sa solidarité avec ces communautés et porté leurs familles dans la prière quand des chrétiens ou musulmans étaient tués par le pouvoir de l'état du peuple « juif » ? Ne jette-t-on pas de l'huile sur un feu déjà assez ardent en cautionnant indirectement le fait qu'un état se définisse par une religion ou une confession et, puisqu'Israël joue sur les mots, si ce n'est pas par une religion ou une confession, par une ethnie ? Cela n'a-t-il pas causé assez de massacres dans l'histoire de l'humanité ? 

Enfin, en prenant unilatéralement parti pour Israël, on cautionne – à moins de la condamner – la réaction de l'état d'Israël à la sordide action du Hamas. A écouter certaines déclarations israéliennes de la semaine qui a suivi le 7 octobre, on a l'impression de lire le livre de Josué. Gaza ou le Aï (Josué 8), même combat ! On lit dans ce chapitre qu'Israël battit les gens du Aï « sans leur laisser aucun survivant, aucun rescapé » (22) ou encore : « Josué mit le feu à Aï et en fit pour toujours un tertre de dévastation jusqu'à ce jour » (28)... Isaac Herzog président d'Israël s'est par exemple exclamé : « Là-bas (à Gaza), c'est une nation entière qui est responsable. Ces beaux discours à propos des civils qui ne sont pas au courant, qui ne sont pas impliqués ne sont absolument pas vrais. Ils auraient pu se soulever ; ils auraient pu combattre ce régime pervers ». Conclusion : puisque tous sont responsables, il n'y a pas à épargner qui que ce soit. 

Je pensais naïvement que des membres d'une autorité ecclésiastique qui se veulent chrétiens auraient pu aussi prier pour que les responsables israéliens fassent preuve de retenue ou, mieux encore, pour qu'ils fassent pénitence et découvrent le difficile cheminement de la négociation, parce que du pardon. Le maître n'a-t-il pas incité ses disciples à cesser de jouer l'immémorial jeu de la rétribution et, par exemple, à se mettre à tendre l'autre joue ?

Tout cela pour montrer au moins trois choses.

La première : faute de pouvoir jouer le jeu de la pensée robuste face à la science, le religieux se recroqueville sur l'émotionnel au lieu de renforcer sa rationalité propre. En découle que, dans des domaines où le rationnel est pleinement requis, le religieux a malencontreusement tendance à se laisser emporter à des dérapages émotionnels navrants.

La deuxième : toute prise de position ecclésiastique si pleine de compassion soit-elle s'inscrit dans un contexte politique dont il s'agit de tenir compte. A l'oublier, on risque de provoquer bien inutilement de faux scandales.

Troisièmement : il y a lieu de bien se mettre au clair sur les occasions dans lesquelles les Eglises doivent prendre ou ne pas prendre position. Pour ce faire, n'hésitez pas à venir participer au Café Théologique que le groupe Pertinence organise au Centre Culturel des Terreaux à Lausanne lundi 30 octobre de 19h à 21h. avec comme préopinants le théologien Pierre Bühler et le Conseiller Synodal, Philippe Leuba.

Voir également mon blog du 5 juin: https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2023/06/les-eglises-se-taisent-elles-ou-font-elles-entendre-leur-voix

 

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