Droit à l’enfant?

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Droit à l’enfant?

11 octobre 2019

La question de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels a fait resurgir un problème que l’on aborde parfois sous l’appellation polémique de « droit à l’enfant ». Disons-le d’emblée, cette formule masque les véritables enjeux. Essayons d’y voir plus clair.

Le droit suisse reconnaît à chacune et chacun le droit de procréer, sans restreindre le choix de la personne avec laquelle elle ou il entend concevoir un enfant (à l’exception, toute marginale, de l’interdiction de l’inceste). On sait qu’il n’en a pas été toujours et partout ainsi ; il suffit de penser à la prohibition des unions avec une ou un partenaire juif dans l’Allemagne nazie. En ce sens le droit suisse reconnaît le « droit à l’enfant ». L’exercice de ce droit est toutefois limité par des contraintes biologiques et médicales : il y a des couples qui ne parviennent pas à concevoir d’enfants pour des raisons médicales ; et les couples formés de personnes du même sexe ne peuvent concevoir d’enfants. Dans ces deux cas, le désir d’enfants est contrecarré par des données médicales ou biologiques.

Pour y remédier, il n’y avait longtemps d’autre solution que l’adoption, vieille pratique juridique dont la fonction initiale était surtout d’assurer un héritier, généralement masculin, à une famille, ou d’intégrer dans un clan une personne que l’on souhaitait remercier pour son soutien ou dont on souhaitait s’assurer la fidélité. Octave fut ainsi adopté par testament par Jules César, avant de devenir l’empereur Auguste. En droit suisse, cette pratique est réservée aux couples mariés et, avec quelques réticences, aux personnes célibataires. Mais les couples homosexuels ainsi que les personnes liées par un partenariat ne peuvent adopter un enfant, à l’exception de l’enfant de leur conjoint (après trois années de vie commune).

Les progrès de la médecine ont ouvert une autre possibilité : la procréation médicalement assistée (PMA). Les différentes possibilités de PMA sont étroitement encadrées par le droit suisse. À l’heure actuelle, elles ne sont pas ouvertes aux couples homosexuels mais sont réservées aux couples hétérosexuels incapables de procréer pour des raisons médicales.

Cette situation pose un problème éthique : est-il légitime d’exclure les couples homosexuels du droit à l’adoption et du recours à la PMA ? La question est d’autant plus grave que, pour ces couples, il s’agit des seules possibilités de réaliser leur désir d’enfants.

Précisons-le aussitôt : la question n’est pas de savoir si, comme tel, le recours à la PMA est légitime. Il n’est pas non plus de savoir si et dans quelle mesure certaines formes de PMA sont problématiques, voire moralement condamnables (on pensera en particulier à la « gestation pour autrui », fréquemment discutée sous l’appellation de « mère porteuse »). Ces questions méritent évidemment une réflexion éthique. On peut s’interroger sur les possibilités offertes dans ce domaine par la médecine contemporaine. On peut contester qu’il soit admissible de recourir à toutes les ressources techniques et médicales contemporaines pour exaucer un désir d’enfant. On peut y voir une forme problématique d’individualisme ou d’égoïsme contemporains. – Mais il ne me semble pas que les questions éthiques soulevées par la PMA se posent autrement dans le cas des couples homosexuels que dans celui des couples hétérosexuels.

Quel est alors le problème éthique que posent les restrictions légales à l’adoption et à la PMA vis-à-vis des couples homosexuels ? Il me paraît résider dans le fait que le droit suisse exclut ces couples de droits qu’il reconnaît aux autres couples. Dans un Etat de droit libéral comme la Suisse, une exclusion de ce genre doit être justifiée par de bons arguments, d’autant plus que les discriminations liées à l’orientation sexuelle sont aujourd’hui très largement considérées comme éthiquement injustifiables.

Le seul argument que l’on pourrait invoquer dans ce cadre serait le bien supputé de l’enfant à naître ou à adopter. Mais cet argument ne résiste guère à l’examen. Il n’y a aucune évidence psychologique ou sociale en faveur de la thèse voulant qu’un enfant ait besoin d’un père et d’une mère pour se développer harmonieusement, même si certains psychanalystes ne cessent de répéter le contraire. Invoquer une soi-disant « loi du Père » comme un facteur psychologique indispensable pour que l’enfant puisse construire son identité est davantage la projection d’un modèle familial daté (celui de la famille bourgeoise de la fin du XIXe et du XXe siècle) que le résultat d’une analyse sérieuse des conditions du développement de l’enfant. Il suffit de se rappeler le nombre de sociétés qui organisent autrement l’éducation des enfants et la diversité des modèles familiaux que nous fait connaître l’anthropologie pour se persuader que la famille bourgeoise européenne moderne n’est qu’une option parmi d’autres, et qu’elle ne correspond nullement à une contrainte anthropologique universelle.

On ne peut par conséquent éviter la conclusion : les règles très restrictives que le droit suisse oppose actuellement aux recours à l’adoption et à la PMA par les couples homosexuels ne reposent sur aucun élément capable de les légitimer. Il s’agit d’une discrimination arbitraire, et à ce titre injustifiable d’un point de vue éthique. L’ouverture du mariage aux couples homosexuels doit s’accompagner de la libéralisation du droit à l’adoption et à la PMA pour ces couples. La frilosité dont font preuve sur ce point les travaux préparatoires du Parlement est l’expression à peine masquée des vieilles préventions à l’encontre des homosexuels.

La réflexion théologique des Eglises, en particulier réformées, a contribué depuis une ou deux décennies à rappeler que l’amour que se portaient deux personnes du même sexe avait la même dignité et méritait la même reconnaissance que celui qui lie deux personnes de sexes différents. Il faut espérer que les Eglises réformées de Suisse sachent rappeler que le désir d’enfants communs est une expression de cet amour et qu’il n’y a aucune raison d’en exclure les couples homosexuels.

 

Jean-Marc Tétaz, 10.10.2019

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