
Le sens de Noël
Avec Pâques, les croyants célèbrent et se commémorent ce moment où Dieu a déjoué toutes les puissances qui peuvent asservir sa création: plutôt que de rester à distance des faits, il se mouille et entre dans la mêlée. Et il le fait d’une manière qui déjoue les attentes: en répondant à la violence par l’amour – et un amour entêté. C’est ce qui se passe avec l’histoire de Jésus, sa mise à mort par crucifixion et sa résurrection.
Face à toutes formes de violences, d’enfermement et de corruption, l’amour s’offre dorénavant comme une réponse inépuisable.
Ce que nous célébrons à Noël, c’est que cette histoire de Pâques vient s’installer dans nos propres histoires. Elle vient comme les illuminer de l’intérieur: là où nous butons contre nos fragilités et des impasses, une autre histoire commence à se dire.
L’amour dans la précarité
Si nous célébrons Noël, c’est parce que raconter l’amour change le monde. Se mettre au coin du feu, autour d’une table, au bord d’un bar, un verre à la main alors que le soleil commence à se coucher, et commencer à raconter le récit d’un amour qui ne se laisse pas engloutir par les flots. Nos oreilles s’ouvrent à la présence d’un insoupçonné dans nos histoires quotidiennes.
Mais dans celle de Jésus, cet insoupçonné nous est trop connu. On s’y est habitué: une foule d’anges apparaissant à d’illustres inconnus, une nouvelle étoile se met à briller dans le ciel. De même pour la part d’inattendu – un prince de paix qui doit fuir face à un adversaire meurtrier; un père trompé qui va reconnaître ce fils qui n’est pas le sien, faisant confiance à un songe. Mais l’histoire du petit Jésus ne devrait pas capter toute notre attention. Elle vise à montrer autre chose encore.
Si nous célébrons Noël, c’est parce que cette histoire nous encourage à ouvrir le regard sur ce qui se passe dans nos propres histoires de vie. Une invitation à se laisser surprendre et émerveiller par cet amour qui se révèle au choeur des précarités que nous éprouvons et que nous rencontrons.
Comprenons-nous bien: évidemment que nous avons besoin de raconter la Nativité. Mais non pas comme une fin en soi: plutôt comme un terrain d’apprentissage. Comme une école pour raconter d’autres histoires de l’amour – celles qui attendent d’être racontées pour nous ici et maintenant.
Un exemple
J’ai un ami qui accueille chez lui sa bien-aimée: elle n’a pas de formation reconnue ici. Artiste, elle doit trouver de quoi gagner son pain quotidien. Elle a un projet de formation: mais c’est un saut dans le vide. Il n’y a pas de garantie de réussite. Lui est propriétaire d’un appartement, a un salaire fixe. Mais la situation est précaire: la boîte qui l’emploie est en train de péricliter et devient de plus en plus abusive à l’égard des employés.
Une situation difficile, explosive à certains égards. Et au milieu de tout ça, quelque chose grandit: un lien profond et tenace, qui fait dire à mon ami que la venue de sa bien-aimée n’est pas un risque. Je l’écoute – il ne se positionne pas en héros. Il chemine, attaché à elle – et elle à lui.
Beaucoup de choses m’amènent à m’inquiéter de leur situation – et il y aurait de quoi. Elle est risquée. Mais avec Noël, je peux raconter cette situation comme une histoire d’amour – et en consentant aux risques, impasses et échecs que cette situation laisse pressentir.
Je ne sais pas comment cette histoire va se terminer. Mais je peux y voir une lumière frémissante – comme celle qui éternellement jaillit du coeur de l’étable.

