«La Mif», les foyers mis à nu

«La Mif», les foyers mis à nu / © Stephane Gros
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«La Mif», les foyers mis à nu
© Stephane Gros

«La Mif», les foyers mis à nu

Fred Baillif
La troisième fiction du Genevois Fred Baillif réussit à nous plonger dans le quotidien d’ados placées. Un tour de force récompensé par une série de prix.

Fred Baillif, par ailleurs documentariste reconnu, pratique le cinéma-vérité. Dans le formidable Tapis rouge (2010), il travaillait avec des adolescents de la banlieue lausannoise, mettant en scène leur propre histoire. La Preuve scientifique de l’existence de Dieu (2019) mêlait anciens militants dans leur propre rôle et comédiens professionnels. La Mif, basé sur des histoires vraies, doit beaucoup à l’improvisation de ses têtes d’affiche.

Le thème qui réunit presque toutes les figures de La Mif, ce sont les agressions sexuelles…

En trois ou quatre ans, dans ma vie personnelle et professionnelle, des dizaines de femmes de mon entourage m’ont raconté les abus abominables qu’elles ont vécus. J’ai démarré un projet avec des victimes, qui n’a pu aboutir, le sujet restant trop sensible. Ce qu’elles m’ont relaté a nourri le film, mais je ne voulais pas en faire le sujet principal, il me fallait une arène. La Mif raconte donc ce qu’est la vie en foyer, avec une multitude de points de vue.

Comment se construit votre démarche de cinéma-vérité?

J’apprends à connaître les gens avec qui je travaille, je ne leur demande pas d’entrer dans une personnalité qui n’est pas la leur, mais d’extrapoler ce qu’ils ou elles sont. Cela passe par des entretiens, des liens humains, beaucoup d’ateliers d’impro qui nourrissent l’écriture. Rien dans le film n’est réel, mais tout est inspiré de ce qu’on me raconte. Je fais attention à ce que personne n’incarne sa propre histoire.

Votre film est social pour les spectateur·rices, mais aussi pour les acteur·ices non professionnel·les…

Pour les comédiens, je crois que cette expérience s’apparente à une école de cinéma. Et en salle, j’ai envie que les gens y croient. J’ai fait des documentaires pas très réussis, car j’en étais presque à manipuler le réel, par la pression des producteurs. Pour raconter certaines histoires fortes, il me fallait passer du côté de la fiction. Mon prochain film traitera de l’accueil des migrants et du délit d’humanité.

Une «famille» formidable

«Je vous adore, en fait… On est la mif. – C’est quoi, la mif? – La famille».

Cet échange entre Lora, directrice d’un foyer d’accueil pour adolescentes à Genève et quelques-unes de ses résidentes, témoigne de l’intensité de leurs liens.

Pourtant , au quotidien, entre Audrey, Novinha ou Alison rien n’est simple. Petites frictions ou colères homériques, fugues ou drames familiaux rythment le quotidien. Un labyrinthe d’émotions, de violences parfois, au sein duquel ces ados doivent apprendre à aimer, à guérir, à refaire confiance. Et qui demande aux éducateur·ices, notamment Lora, personnage central du film, un investissement intégral. Quitte à questionner profondément ces jeunes filles. Et nous avec.

Tourné à la manière d’un Laurent Cantet (Entre les murs, 2008), dans un vrai foyer genevois, en deux semaines et sans budget, ce troisième long-métrage de Fred Baillif, ancien éducateur de rue, impressionne. Il nous révèle une réalité inaccessible aux caméras et réussit à nous rendre attachante cette famille dysfonctionnelle, mais surtout drôle, franche, et extrêmement lucide.

La Mif, Fred Baillif, fiction, 111 minutes, 2021.

Bande annonce et dates de projections : www.re.fo/mif