Des bénédictions devant le supermarché

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Des bénédictions devant le supermarché

Stefanie Mergehenn
18 octobre 2018
Un pasteur allemand à vélo introduit l’Église dans les lieux du quotidien. Reportage à Solingen.

Un vendredi après-midi du mois d’août, devant l’unique supermarché du quartier de Gräfrath-Ketzberg, à Solingen. La température ressentie est de 30 degrés. Helmut Benedens retire son casque de vélo, essuie la sueur sur son front et commence à monter son autel. Table pliante recouverte d’un parement de velours violet, d’une Bible et d’une croix de bois: «l’église itinérante» est prête. Juché sur sa bicyclette cargo, le pasteur de Kerzberg vient de passer la 45e étape d’un projet des plus ambitieux: saluer le jubilé des 150 ans de sa paroisse par le même nombre de mini-cultes, en officiant dans autant de lieux inattendus de la ville entre les mois de mai et novembre.

La paroisse protestante de Ketzberg, fondée en 1868, compte aujourd’hui 2650 fidèles. Helmut Benedens en est le pasteur depuis 23 ans. L’idée d’une Église itinérante lui est venue d’un collègue du Hunsrück qui va de village en village au volant de son véhicule utilitaire, dont la surface de chargement a été convertie en sanctuaire. La ville de Heinsberg, en Rhénanie, compte également une Église du Christ mobile, qui rend visite aux paroissiens dans des quartiers parfois disséminés sur un très vaste territoire.

Une bénédiction «à emporter»

Comme eux, Helmut Benedens refuse d’attendre passivement que les gens se rendent à l’église. Pour célébrer le culte, il préfère aller les trouver au sein même de leurs lieux de vie: centre commercial, jardin botanique, aire de jeux pour enfants, zoo… Ou, justement, le supermarché de Ketzberg, où il se trouve sur son terrain.

«Bonjour, Wilma, comment étaient vos vacances?», lance-t-il à une passante. Celle-ci, posant un sac à provisions rempli de ses articles, prend le recueil de chants qu’il lui tend. Sa guitare est encore bien calée dans le «coffre» de son vélo cargo à l’allure rustique. Pour lui, rien de gênant dans le fait de mener un dialogue pastoral entouré de caisses de quetsches et de melons. «Oh non, ta voiture a été mise à la fourrière?», s’inquiète-t-il devant un autre fidèle, qui lui explique ses déboires. Face à certains problèmes existentiels, il n’hésite pas non plus à renvoyer les personnes vers d’autres professionnels compétents.

Son expérience le lui a appris: «Une simple présence peut être en elle-même très positive». C’est ce qu’il constate avec les badauds qui l’abordent en disant «J’ai justement bien besoin de croiser un pasteur aujourd’hui!» Un homme aux cheveux gris, lui, se montre plus méfiant. C’est à pas feutrés qu’il s’approche de l’autel improvisé.«Bon, alors, qu’est-ce que vous vendez? demande-t-il au théologien. — Rien du tout, réplique ce dernier d’un ton amical. Je suis le pasteur de la paroisse, et je cherche à donner plus de visibilité à l’Église.» Il lui tend une petite carte, où figure une bénédiction «à emporter».

Au lieu d’une robe, le pasteur porte un jean, une chemise rouge et des sandales, ainsi qu’une croix en bois autour du cou. Dans le passé, il n’aurait jamais imaginé mettre ainsi publiquement sa foi en avant. «Au début, j’étais vraiment très nerveux», avoue-t-il. Mais il a vite constaté que sous cette forme la mission lui convenait bien mieux qu’il ne l’aurait soupçonné. Nombre de passants, dont des musulmans, réagissent très positivement à son initiative, dit-il. Avec un grand sourire, il évoque des membres d’une Église libre qui l’ont interpellé avec enthousiasme: «Voilà, c’est ça, notre travail!»

Le pasteur part sur les routes de deux à trois fois par semaine, proposant de courts moments de prière. Le mot d’ordre d’aujourd’hui est tiré du Livre d’Isaïe, 43,1. Dieu y dit aux hommes en exil de ne pas avoir peur, explique-t-il. Il semble sur le point d’enchaîner sur une allusion à la situation politique actuelle, mais à ce moment précis s’approche un petit groupe d’enfants.

Les jeunes garçons et filles se jettent immédiatement sur les bonbons mis à disposition. Après avoir reçu chacun en plus un réflecteur en forme d’église, ils poursuivent leur chemin d’un air joyeux. Helmut Benedens prononce encore une prière, puis la bénédiction. «Je n’ai pas peur de chanter seul. L’unique chose que je ne veux pas, c’est prêcher dans le vide.» Et de temps en temps, ses talents de guitariste lui valent même une petite pièce, glissée dans la tirelire en forme de cochon servant à récolter les dons.

Stefanie Mergehenn, Solingen, EPD/Protestinter

Un pasteur à vélo propose des cultes itinérants dans une ville allemande