Pasteure ou diacre? Un métier tout sauf évident

De g. à d. : Catherine Novet, Noémie Heiniger, Sabine Pétermann, Céline Michel, Isabelle Graesslé et Laurent Bader / © DR
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De g. à d. : Catherine Novet, Noémie Heiniger, Sabine Pétermann, Céline Michel, Isabelle Graesslé et Laurent Bader
© DR

Pasteure ou diacre? Un métier tout sauf évident

Intronisation
Rencontre avec les quatre nouveaux visages de l’Église évangélique réformée vaudoise, qui ont été intronisés dans leurs fonction cet été.

Isabelle Graesslé

Isabelle Graesslé est pasteure depuis un an à Prilly-Jouxtens, où elle a été agrégée. Cette théologienne de 60 ans, originaire d’Alsace, a exercé une série de métiers et d’activités: pasteure-théologienne dans l’Église protestante de Genève, directrice du Musée international de la Réforme, consultante ou chroniqueuse dans La Croix.

Réformés: Comment avez-vous décidé d’être pasteure ?

Isabelle Graesslé: Je n’ai pas décidé d’être pasteure, je voulais être théologienne dans l’Église, et les Églises romandes le permettaient. C’est donc ce que j’ai fait durant 15 ans au sein de l’Église protestante de Genève, où j’ai été la première femme modératrice de la Compagnie des pasteurs, toujours dirigée par des hommes depuis sa création par Calvin. Théologiquement, je travaille depuis 20 ans sur l’évolution que l’Église doit entamer quant à son fonctionnement paroissial. Notre monde, comme au XVIème siècle, est en train de se transformer en profondeur, et le protestantisme doit se repenser, en se posant la question de qu’est-ce qu’il garde, qu’est-ce qu’il relègue à un statut de mémoire, et qu’est-ce qu’il s’approprie et réutilise. Alors que je n’ai jamais été pasteure en paroisse, aujourd’hui, je passe à la pratique, pour relever ce défi auquel mes paroissiens me convient! 

Tout le métier se repense en de nouveaux termes

Comment votre entourage a-t-il réagi lorsque vous avez annoncé vouloir être pasteure?

Mes amis étaient assez surpris. Pour eux on était ou bien théologienne, ou bien pasteure. Pour moi, la continuité entre les deux est évidente, c’est mon identité. Réactiver des idées, reprendre des concepts, les réévaluer, les réécrire pour aujourd’hui est un exercice permanent. Aujourd’hui, la théologie ne se fait plus dans les universités, on est à une époque de mutation. Chaque mot, chaque parole est donc «chargé». Il faut se questionner: quel mot activer, quelles relations imaginer ? Tout le métier implique les grandes questions théologiques et se repense en de nouveaux termes. C’est ce qui fait mon bonheur. Je me sens bien à l’idée de ‘devenir’, j’ai passé soixante ans et je vis aussi un ‘passage’, je vois aussi tout l’avantage d’une riche expérience de vie.

Quel est le plus grand challenge/la chose la plus effrayante pour vous dans ce job?

Le challenge c’est de mettre en pratique des idées que je travaille depuis des décennies. Mais il n’y a rien qui «m’effraie», sans vouloir paraître arrogante: à mon stade professionnel, je ressens davantage le défi. L’attente de nos contemporain.es en matière de spiritualité est immense. Comment y répondre autrement qu’avec «le culte»? Comment imaginer un moment spirituel autre, basé sur la tradition réformée, à faire vivre et transformer?

Qu'allez-vous devoir sacrifier?

La passion a toujours été mon moteur. Le seul coût c’est la fatigue. Je ne peux pas faire autrement que m’investir totalement, sinon, je ne m’implique pas.

Savez-vous ce que vous allez gagner et êtes-vous au clair avec votre salaire ?

Oui, je suis au clair, je sais combien je gagne. C’était clair au moment de l’entretien et lorsque j’ai signé mon contrat, j’ai pu poser toutes les questions administratives. L’Église n’est pas tellement l’endroit où l'on discute son salaire. L’égalité entre hommes et femmes est respectée, on gagne la même chose. C’est sûr qu’avec le parcours qui est le mien, atypique, je gagnerais plus en travaillant dans le privé. Mais pour moi l’important est de me mettre au service d’une Église protestante, je ne fais pas ce travail pour l’argent.

Est-ce que vous avez un rituel, une habitude avant d'entamer une célébration?

Je prends 5 minutes pour faire de la cohérence cardiaque: j’inspire et j’expire pour me concentrer sur ma respiration, je vide la tête, l’âme et l’esprit, c’est ce que je fais toujours pour prendre la distance nécessaire avec le moment. Et puis à Prilly, là où je m’assieds dans l'église, j’ai vue sur un vitrail avec un ange, en train de s’élever avec une main ouverte, on devine son sourire…j’ai beaucoup travaillé sur les anges dans le passé. Mon rituel à Prilly, c’est m’abîmer dans le sourire de cet ange. 

Sabine Pétermann-Burnat

Sabine Petermann-Burnat, pasteure à La Tour-de-Peilz depuis un an a exercé une série d’autres métiers par le passé: infirmière en psychiatrie à domicile, métier qu’elle a exercé à avec celui de paysanne. Elle entame ensuite des études de théologie à Genève, devient journaliste et productrice pendant plus de dix ans, et responsable du service protestant de radio. Avant de finalement retourner en paroisse, à 55 ans. 

Je me définis comme chercheuse spirituelle

Réformés: Comment avez-vous décidé d’être pasteure ?

Sabine Pétermann-Burnat: J’ai fait beaucoup d’autres choses dans ma vie, du métier d’infirmière à celui de productrice radio… J’ai finalement décidé de faire un retour aux sources, au pastorat en paroisse. La Tour-de-Peilz est la première paroisse de ma vie! Je suis agrégée car j’ai été consacrée à l’Église Protestante de Genève, où j’ai fait ma formation, bien qu’étant vaudoise.

Comment votre entourage a-t-il réagi lorsque vous avez annoncé vouloir être pasteure?

Tout dépend qui! Mes enfants - j’ai trois enfants et deux petits enfants dont je m’occupe beaucoup - ont réagi avec une certaine distance dans un premier temps, sans désapprouver, mais un peu dubitatifs face à ce métier particulier. Maintenant ils sont très contents! Ma maman, foncièrement athée, avait désapprouvé le choix de mes études en théologie par le passé. Et finalement sa réaction est plus positive! J’ai dû me démarquer par le passé, notamment à l’endroit de mes parents.

Quel est le plus grand challenge/la chose la plus effrayante pour vous dans ce job?

Je ne me sens pas effrayée du tout, mais captivée par les challenges! J’ai toujours été une femme à «la frontière», à la fois dedans et dehors, c’est la raison pour laquelle j’ai travaillé dans les médias. Je me sens à l’aise dans un ministère qui dépasse les murs de l'Église institutionnelle, avec une dimension œcuménique et interreligieuse, soucieuse des «distanciés de l’Église». Le défi de cette paroisse, c’est de m’adresser à cette «marge». Il faut écouter les nouveaux chercheurs spirituels et trouver un vocabulaire qui les rejoint, sans oublier les habitués des réseaux paroissiaux. En ce sens, je me définis comme chercheuse spirituelle. Ce défi me passionne!

Qu'allez-vous devoir sacrifier?

Pas plus que ce que j’ai sacrifié jusque-là. Quand j’étais à la radio, me suis déjà engagée avec passion! Quelque part, cela fait partie de ma nature! J’ai l’impression qu’un espace de créativité m’est offert, que je vais l’occuper avec discernement en faisant mes choix avec les personnes du terrain. Je ne vois pas mon métier comme un sacerdoce, un sacrifice. C’est évidemment un métier de disponibilité, mais il faut mettre des limites, on ne peut pas tout faire. En tout cas, je n’ai pas l’impression de sacrifier quelque chose, mais de participer au renouvellement d’une tradition.

Savez-vous ce que vous allez gagner et êtes-vous au clair avec votre salaire?

Oui, je suis au clair et satisfaite de mes conditions de travail. Malheureusement mes circonstances de vie, font que je me retrouverai avec un montant de pension très faible à la retraite. Aussi, tous les centimes comptent pour épargner et me permettre de vivre cette période décemment. Par conséquent, je vais faire la demande de travailler plus longtemps, si mes capacités physiques le permettent. Quand on a 30 ans on ne réalise pas… Paysanne, je n’ai pas pu travailler à plein temps comme salariée, j’ai suivi des études en élevant des enfants en bas âge, je n’ai pas pu travailler plus. Pour moi l’argent n’était jamais un critère de choix, j’ai eu la chance de ne jamais avoir le sentiment d’ aller «à la mine». Le métier de pasteur-e est certes exigeant, mais créatif. Pour favoriser une rencontre existentielle, il devient interprète du monde et «artiste de la foi».

Est-ce que vous avez un rituel, une habitude avant d'entamer une célébration?

Je prie, je n’ai pas de rituel particulier. 

Céline Michel

Diacre depuis un an et demi dans la paroisse de Pully-Paudex, Céline Michel consacrée cet été, est arrivée à ce métier après avoir une solide expérience dans une série d’autres milieux professionnels. A 35 ans, cette maman de deux enfants a, entre autres, été formée à la comédie musicale, travaillé comme secrétaire médicale en oncologie, puis en paroisse, et suivi le séminaire de culture théologique des Cèdres. 

Réformés: Comment avez-vous décidé d’être pasteure?

Céline Michel: J’y suis arrivée par une recherche de sens. Je fais partie de ce qu’on nomme ‘les vocations tardives’ . En oncologie, ce qui me plaisait, c’était le lien, le suivi des patients. Je me suis engagée en paroisse, d’abord comme employée au secrétariat paroissial de Vufflens-la-Ville, puis comme conseillère de paroisse. Et puis j’ai eu envie de plus, envie d’un métier où trouver du sens.

Comment votre entourage a-t-il réagi lorsque vous avez annoncé vouloir être diacre?

Il y a eu une grande fierté de la part de ma maman, et une réaction plus relative à l’aspect pécuniaire de la part de mon père… il avait eu la même lorsque je m’étais formée à la comédie musicale. Certaines personnes surprises. C’est intéressant de montrer tout d’un coup qu’on a aussi une vie de foi, d’être soudain «un personnage public». C’est extraordinaire pour témoigner: on peut discuter de tout, dire à l’autre ‘je vis la même chose que toi’. Avoir «la casquette» en plus permet de pouvoir parler de sa foi posément, d’emblée, à la différence de quelqu’un qui n’est pas ministre. Je dis souvent aussi qu’un diacre effectue le même travail qu’un pasteur, mais pas le même métier. Je suis diacre car je suis moi, car j’aborde les choses à travers mon histoire de vie et moins de théologie. Mais je m’appuie aussi sur des ministres qui ont des compétences exégétiques, la collaboration avec mes deux collègues pasteurs fonctionne vraiment bien. 

J’aimerais développer des projets diaconaux

Quel est le plus grand challenge/la chose la plus effrayante pour vous dans ce job?

Il y a plein de défis. Le lieu où l’on est par exemple. Il y a une exigence d’excellence à Pully-Paudex. Il m’a fallu du temps pour trouver ma place, une façon de faire et qui corresponde, dans un poste qui était pastoral. Il y a beaucoup d’attentes, j’aimerais développer mes propres projets, plus diaconaux que ce que font mes collègues. Par exemple, je réfléchis à un travail d’accompagnement des grossesses, de toutes les grossesses, y compris quand cela se passe mal, à n’importe quel moment. C’est en lien avec une formation que j’ai fait auprès de la théologienne genevoise Elise Cairus, qui a développé tout un livre sur le sujet. Le projet me tient à cœur, j’ai déjà vu qu’il permettait à certaines personnes de s’exprimer. 

Qu'allez-vous devoir sacrifier? Cela a été une décision de couple de partir dans cette direction-là. Evidemment il y a des horaires irréguliers, si mon époux vient au culte il est aussi «le mari de»…c’est une démarche que je ne suis pas la seule à assumer, j’essaie d’en tenir compte. Tous les métiers impliquent des concessions, bien sûr les samedis-dimanche je suis sur le pont, mais j’ai la chance de pouvoir emmener mes enfants chez une maman de jour, et de pouvoir leur consacrer mon mercredi. Et puis le week-end, je peux vivre toutes ces activités en famille. Je trouve cela génial !

Savez-vous ce que vous allez gagner et êtes-vous au clair avec votre salaire?

Au moment où je vous parle, je ne connais pas exactement mon salaire, car il dépend de deux conventions collectives et cela doit être clarifié sous peu. Je sais que ce sera plus que maintenant, où je suis encore suffragante. Reste qu’en tant que diacre, nous sommes moins payés que les pasteurs, dans l’Église vaudoise, il y a donc moins de reconnaissance. Je le sais, ça fait partie des règles du jeu. Mais ici, contrairement à d’autres Églises, on a aussi davantage de sécurité de l’emploi, pour ainsi dire. On sait cependant que l’Église va changer. Je viens de Genève, je me souviens très bien d’une une vague de pasteurs licenciés…

Est-ce que vous avez un rituel, une habitude avant d'entamer une célébration?

J’ai besoin d’être présente, au milieu des gens. Je n’ai pas besoin de me retirer pour me concentrer. Hormis peut-être pour me chauffer la voix, vieille habitude que j’ai gardé du temps où je faisais de la scène… 

Noémie Heiniger

Noémie Heiniger, consacrée cet été dans la paroisse de Belmont Lutry n’a pas voulu être pasteure de tout temps. Le choix de cette jeune femme de trente ans, mariée et maman d’une jeune fillette, est le résultat de plusieurs années de questionnement. Durant ses études de théologie à Lausanne, elle a notamment pris une année de pause pour réaliser un stage pré-pastoral, a suivi un ‘clinical pastoral training, au CHUV, -formation proche de celle d’un aumônier. Elle a par la suite passé un an au Togo, comme envoyée pour DM-Echange et mission.

Réformés : Comment avez-vous décidé d’être pasteure?

Noémie Heiniger: Ce n’est pas quelque chose que je voulais faire depuis toujours. J’ai grandi dans une famille engagée dans l’Église. J’aimais ça, mais devenir pasteure est une idée qui ne m’avait jamais effleurée, je me voyais plutôt dans le social. Et puis un jour un pasteur, qui a joué en quelque sorte le rôle de mentor pour moi m’a simplement demandé, si, étant donné tous les questionnements que j’avais, je n’envisagerais pas des études de théologie. La question est alors devenue réelle, même si ces études n’impliquent pas automatiquement de devenir pasteure. J’ai dû faire tout un travail de discernement, pour me rendre compte que tout mon parcours, en effet, coïncidait avec cette vocation. Et puis j’ai tout de même réalisé beaucoup de stages pour me confronter à la réalité du métier. 

Le défi c’est de rejoindre ceux et celles qui ne savent pas ce qu’est l’Église

Comment votre entourage a-t-il réagi lorsque vous avez annoncé vouloir être pasteure?

Le «choc», si l’on peut dire, c’était davantage le fait de faire des études de théologie. Mon père était diacre en milieu professionnel, un métier qui n’existe plus. Quelque part, mon choix était une surprise, mais en même temps pas tellement. Pour ma sœur, c’était une évidence, compte-tenu de ma personnalité. Il y a tout de même une réticence non-dite, du fait que j’étais une femme, je l’ai sentie. Tout le monde a cheminé par rapport à cela. J’ai tout de même grandi dans des valeurs très traditionnelles, même si nous avions de bons rapports avec des femmes pasteurs, mon choix restait quelque part questionnable. Et moi-même, durant mes études j’ai dû prendre cette question à bras-le-corps, me demander si j’étais bien légitime d’être ministre. J’ai travaillé cela et je suis à l’aise désormais.

Quel est le plus grand challenge/la chose la plus effrayante pour vous dans ce job?

Relier les personnes convaincues, engagées, habituées à l’Église tout en réussissant à rejoindre ou avoir un discours adéquat pour ceux et celles qui nourrissent des clichés à son encontre, y ont vécu des expériences négatives ou ne savent pas ce que c’est.

Qu'allez-vous devoir sacrifier?

Je crois que ce métier n’implique pas des sacrifices mais des choix, des opportunités quand on a la volonté de s’engager. Il est vrai que ces choix sont contraignants quand on est une femme, avec une famille, dans la société où l’on vit. Manager vie familiale et vie professionnelle est difficile, car les deux sont toujours liés! Certains de mes choix impactent ma famille…alors qu’eux n’ont pas choisi cela.

Savez-vous ce que vous allez gagner et êtes-vous au clair avec votre salaire?

Oui. Je me suis fait interpeller un jour sur le fait que les ministres gagnent trop. J’ai répondu à cette personne que les pasteurs sortants gagnaient bien plus, que j’étais titulaire d’une formation universitaire, je lui ai donné des chiffres. Mais sa remarque m’a travaillée, je suis allée faire des comparaisons. Certes, dans l’Église vaudoise nous sommes mieux lotis que dans d’autres cantons, mais pour des universitaires, le montant n’est pas particulièrement extraordinaire…

Est-ce que vous avez un rituel, une habitude avant d'entamer une célébration?

Oui, j’aime entrer en défilé avec tous les intervenantes du culte (lecteurs, lectrices…) et marquer une pause devant le chœur, pour faire une prière et se poser devant Dieu.