Gestion des abus, le long chemin des Eglises réformées

Gestion des abus, le long chemin des Eglises réformées / iStock
i
Gestion des abus, le long chemin des Eglises réformées
iStock

Gestion des abus, le long chemin des Eglises réformées

Réparation
Les protestants ont encore des progrès à faire, estiment différents acteurs de la lutte contre les abus. Exemple de l’EERV et de l’instance neutre et indépendante qu’elle a mise en place pour prévenir les dérives.

Après qu’une enquête dans les archives de l’Eglise protestante allemande a révélé fin janvier pas loin de 10'000 cas d’abus sexuels sur mineurs, après que la présidente de l’EERS a annoncé en décembre une future démarche similaire en Suisse et la création d’une task force, il paraît difficile, désormais, d’affirmer que les réformés ne sont pas concernés par les scandales qui secouent la grande soeur catholique depuis des années. Selon divers victimes et acteurs de la prévention, il subsiste une certaine marge de progression en matière de gestion des abus chez les protestants.

Les Eglises suisses se sont pour la plupart dotées d’un système de prévention et de lutte contre les abus. Parmi elles, l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) est l’une des seules à avoir, dès 2021, mandaté une structure externe, le Groupe d’experts en prévention et protection des abus (GREPPA).

«Je n’ai que de bons échos de la part des victimes qui se sont adressées à cette instance», relate Marie-Jo Aeby, vice-présidente du SAPEC (association de victimes d’abus en contexte religieux). «Elles ont toutes été impressionnées par l’humanité et les compétences des experts.» La démarche et les intervenants semblent être les bons. Malgré tout, en trois ans d’existence, le GREPPA a reçu seulement quatre signalements, d’après les chiffres de l’automne 2023.

Les victimes ont été impressionnées par l’humanité et les compétences des experts

Le pouvoir du Conseil synodal

S’il est clairement précisé sur le site internet de l’instance qu’elle est indépendante et neutre, et qu’elle agit sur mandat du Conseil synodal vaudois (organe exécutif de l’Eglise), on y apprend également que les cas jugés problématiques sont signalés aux ressources humaines de l’EERV avec accord du plaignant.

Au final, dans les cas graves, mais non pénaux ou prescrits, c’est donc l’institution qui a le dernier mot. Comme le souligne cette femme qui dit avoir été témoin et victime d’abus divers de la part de plusieurs ministres vaudois, «je ne sais pas si je peux avoir confiance en la hiérarchie, j’ai vu trop de dissimulations.»

«Dans ce cadre, je n’arrive pas à savoir quelle est l’influence réelle du GREPPA,» estime Marie-Jo Aeby. Les signalements sont-ils suivis d’effets? Interpellée, la porte-parole Carole Delamuraz se borne à commenter que, «depuis 2021, le GREPPA a annoncé avoir traité plusieurs situations et aucune ne faisait l’objet d’une plainte pénale, à la connaissance du Conseil synodal».

Marie-Jo Aeby met également en cause la gestion des archives du GREPPA. Son règlement spécifie en effet qu’elles sont détruites après deux ans. Ce alors que certains diocèses catholiques suisses se sont vu reprocher récemment d’avoir fait disparaître des documents sensibles. A ce sujet, une membre du GREPPA précise que cette mesure vise à renforcer la confidentialité, au même titre que la sécurisation de la base de données où sont conservés les témoignages.

Visibilité en question

Autre problème: l’existence même du GREPPA reste largement méconnue dans les travées des temples vaudois. «Je n’en ai pris conscience que l’automne dernier», s’irrite une autre personne qui déclare avoir subi des abus de pouvoir de la part d’un pasteur. Pour sa part, Carole Delamuraz pointe les nombreux accès au site internet du GREPPA depuis celui de l’Eglise, ou à partir des moteurs de recherche. Elle ne mentionne pas un éventuel supplément de communication autour du concept de prévention des abus dans l’Eglise.

Les droits des victimes

Pour Marie-Jo Aeby, il reste un aspect fondamental que les Eglises réformées n’ont pas encore empoigné. «Il faut reconnaître leurs droits aux victimes. Elles doivent savoir pourquoi leurs abus ont été dissimulés, elles doivent recevoir des excuses, et elles peuvent prétendre à une réparation.»

Côté catholique, ces droits sont assurés par la CECAR (Commission écoute-conciliation-arbitrage-réparation). Mis en place par le groupe SAPEC et les institutions catholiques début 2016, cet organe indépendant accueille les victimes en vue notamment d’établir les compensations financières pour les torts subis. Pour l’heure, pas d’équivalent à l’ordre du jour chez les protestants.

Victimes ou témoins d’abus, à qui s’adresser?

Prioritairement, les infractions pénales non prescrites sont à signaler à la police. Les lésions corporelles graves, les lésions corporelles simples avec un objet dangereux, la contrainte, la contrainte sexuelle ou encore les actes d’ordre sexuel avec un enfant sont poursuivis d’office. La prescription pour la plupart de ces délits est de 10 ans. Les abus sexuels sur mineurs de moins de 12 ans commis après le 30 novembre 2008 (ou non prescrits à cette date) sont imprescriptibles. Concernant les actes sexuels avec des mineurs de moins de 16 ans et/ou commis avant cette date, la prescription est de 15 ans. 

Différentes associations aident et orientent les victimes de différentes infractions sur tout le territoire suisse (liste non exhaustive): 

  • Chaque canton dispose de centres LAVI, qui offrent des consultations gratuites et confidentielles aux victimes d’infractions. Ils peuvent rediriger ces dernières auprès des autorités adéquates et les soutenir dans leurs démarches.
  • ESPAS est une association spécialisée dans la prévention des abus sexuels sur les enfants et les adultes. Elle propose notamment un service d’intervention en cas de soupçon d’abus pour aider à la clarification et conseiller sur les démarches à entreprendre.
  • Le groupe SAPEC soutient les personnes abusées dans un cadre religieux. Il a en outre une grande expérience dans l’aide aux victimes d’abus anciens, et l’accompagnement des cas d’abus spirituels.

Vaud : Le GREPPA est joignable via un formulaire à remplir sur leur site internet ou par courriel. Il traite des cas d’abus physiques, sexuels, spirituels, et moraux dans le cadre de l’Église évangélique réformée vaudoise – aussi des événements anciens. À noter qu’il n’est compétent que pour les victimes ou témoins qui ne sont pas employé·es par l’EERV. Les collaborateurs peuvent quant à eux s’adresser à ICP, un organe neutre faisant office de personne de confiance en entreprise (ou PCE). 

Neuchâtel : Le concept neuchâtelois de protection de la personnalité consiste essentiellement en deux médiateurs externes à l’EREN. Mandatés par les RH de l’Église, ils ont pour mission d’«offrir un espace d’écoute» aux collaborateurs et aux bénévoles, «gérer les conflits», et «prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique et sexuel». Cette instance n’a pas pour objet de recueillir les récits d’abus passés. Une page web sera bientôt mise en ligne pour les victimes et les témoins: elle les renverra soit vers la responsable RH du Conseil synodal, soit vers le groupe SAPEC.

Berne-Jura-Soleure : En 2009, le Conseil synodal a édité un guide de prévention contre le harcèlement sexuel et les abus sexuels à l’usage de ses collaborateurs. Celui-ci invite notamment les victimes et les témoins à s’adresser à des structures externes partenaires des Églises. À noter que les informations n’y sont pas à jour. L’union synodale collaborait avec l’association Mira pour les signalements d’abus sexuels sur mineurs, mais cette dernière n’existe plus depuis 2017. Les responsables en catéchèse peuvent s’adresser à une instance d’écoute interne en cas de soupçon d’abus sexuels ou de maltraitances. 

Genève : Aucune instance interne ou externe spécifique n’existe pour la dénonciation des abus au sein de l’Église protestante de Genève. 

Valais : Aucune instance interne ou externe spécifique n’existe pour la dénonciation des abus au sein de l’Église réformée évangélique du Valais. Le Conseil synodal précise cependant qu’«une plateforme regroupant des experts indépendants sera prochainement mise à disposition du public pour permettre aux éventuelles victimes de signaler des situations d’abus au sein de l’EREV». En attendant, le GREPPA de l’EERV est aussi compétent pour les cas valaisans.

Fribourg : Pour le canton de Fribourg, les victimes et les témoins peuvent se signaler auprès de la personne de référence désignée par le Conseil synodal: Mme Jeannine Jaloux-Dumont, psychologue, au 079 330 94 29. Ils et elles peuvent également contacter le GREPPA de l’EERV.