«La foi est d’abord une question de choix personnel»

Image d'illustration / © iStock/Pict Rider
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© iStock/Pict Rider

«La foi est d’abord une question de choix personnel»

27 février 2020
Vecteur de valeurs, mais pas de foi, le protestantisme serait-il responsable de la sécularisation de la société? L’éthicien François Dermange livre des pistes qu’il étoffera lors d’une conférence le 25 mars. Interview.

En brandissant l’étendard de la liberté depuis cinq siècles, le protestantisme a transmis des valeurs, mais pas la foi. Cette liberté a creusé le sillon de la sécularisation que connaît aujourd’hui la société. Comment s’en extraire? François Dermange, professeur d’éthique à la Faculté de théologie de l’Université de Genève donnera une conférence sur le sujet le 25 mars, dans le cadre du cycle de conférences «De génération en génération». Interview.

Pourquoi les protestants n’ont-ils pas su transmettre leur foi?

Parce qu’ils ne l‘ont pas voulu. Les uns voulaient que la foi soit affaire de libre examen et de conscience ; les autres qu’elle repose sur l’expérience d’une relation intime à Dieu, mais par-delà leurs oppositions, les protestants s’entendaient sur un point essentiel : la foi était d’abord question de choix personnel. On pouvait transmettre une culture et des valeurs en particulier, mais pas la foi!

La liberté a donc fait office d’héritage?

En effet, car s’il y a choix, il doit y avoir liberté, mais à côté d’elle d’autres valeurs étaient au cœur du projet de transmission. Certaines, comme la sobriété ou la pudeur, peuvent nous paraître désuètes ; d’autres sont au sommet de ce que la société valorise encore aujourd’hui : la justice d’abord, que les réformés ont vu comme la première exigence de l’amour, mais aussi la responsabilité et l’engagement, l’honnêteté et la générosité, la droiture et le travail. En ce sens, les réformés ont bien gagné. Ils ont imprégné la société de leurs valeurs, mais leur lien avec la modernité s’est retourné contre eux : nous vivons dans un monde individualiste, qui juge souvent que le christianisme appartient à l’histoire.

Quelle en a été la conséquence pour les réformés eux-mêmes?

La foi a progressivement été présentée, y compris par les pasteurs, comme un « plus », peut-être pas essentiel, mais qui pouvait enrichir la vie. Cela mettait la foi sur le même plan que toutes les autres propositions de développement personnel. La prière à côté de la méditation, la foi à côté de toutes les autres options de spiritualité, dotées de l’attrait de la nouveauté et débarrassées de la « religion » et de l’Église jugées suspectes. Autrement dit, une proposition parmi d’autres et sans doute moins attractive.

Les réformés seraient-ils gagnés par l’individualisme ambiant?

Oui, c’est aussi pour cela que les Églises sont discréditées. Dans mon développement personnel, ai-je vraiment besoin d’une communauté ? Je les laisse libre, mais qu’ils me laissent libre aussi ! La difficulté, c’est que c’est bien en un sens le message que les réformés ont voulu mettre au centre de leur compréhension de l’Évangile.

Comment renverser la vapeur?

Je vois deux défis. Le premier est d’oser parler encore de ce qui a été pendant des siècles au cœur du christianisme et qui le distingue de la plupart des autres formes de spiritualité: l’idée que l’horizon n’est pas cette vie-ci seulement, mais la vie éternelle.

Le second défi est de trouver une bonne articulation entre l’intelligence et la piété. Cela devrait être la force du protestantisme, mais en Suisse romande, on les a trop souvent opposées. Autrement dit, il n’y a pas à inventer, mais à revenir à nos fondamentaux, en commençant par revenir à une lecture à la fois critique et spirituelle de la Bible.

Est-ce que ces propositions ne s’adressent pas d’abord à des adultes?

En effet, les sociologues nous apprennent que la foi se construit dès l’enfance. Peut-être devrions-nous repenser à des rites familiaux comme cela avait lieu autrefois. Relire la journée le soir, se demander pardon s’il le faut et chanter. Les protestants se sont souvent méfiés des rites, mais ces rites familiaux ont certainement eu un rôle structurant. Il faut aussi soutenir les groupes de jeunes et avoir le courage et l’audace d’interpeller. Je pense ici en particulier aux vocations. La plupart des pasteurs vous le diront : il y a eu dans leur existence quelqu’un qui leur a suggéré de le devenir ou qui les a encouragés à faire le pas. Si nous avons si peu de vocation dans nos Églises, c’est aussi que nous n’osons plus le faire, lorsque nous ne dissuadons pas en encourageant à d’abord entreprendre d’autres études.

Cycle de conférences

«De génération en génération», un cycle de conférences organisé par la Région les Chamberonnes de l’Église réformée vaudoise et le Centre œcuménique de Crissier:

- «Repères et valeurs pour grandir et faire grandir: les sept défis de l’âge adulte», mercredi 11 mars, 20h15, salle villageoise, Chemin du Village 14, Romanel-sur-Lausanne. Avec Pierre Galrdon, théologien, diplômé en Sciences de l’éducation, thérapeute en accompagnement.

- «Le protestantisme: des valeurs à transmettre?», mercredi 25 mars, 20h15, centre œcuménique de Crissier, Quartier Pré-Fontaine 60. Avec François Dermange, professeur d’éthique à la Faculté de théologie de Genève.