«Vive inquiétude» suite au maintien des procédures d’asile

KEYSTONE/Anthony Anex / Faire circuler des personnes pour obtenir des documents, effectuer visites médicales et auditions juridiques en période de pandémie est un risque pour toute la population.
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KEYSTONE/Anthony Anex
Faire circuler des personnes pour obtenir des documents, effectuer visites médicales et auditions juridiques en période de pandémie est un risque pour toute la population.

«Vive inquiétude» suite au maintien des procédures d’asile

Alors que le Conseil fédéral a annoncé mercredi 1er avril des mesures d’aménagement des procédures pour les requérants d’asile, plusieurs associations estiment au contraire que, par considération humanitaire et sanitaire, ces dernières devraient être totalement stoppées.

Contradiction. Alors que toute la population suisse est tenue à la distanciation sociale, se voit priée d’éviter les transports en commun et de limiter ses déplacements, une catégorie de personnes vit exactement l’inverse. En attente d’une décision juridique les concernant, les requérants d’asile sont hébergés dans des centres fédéraux ou cantonaux, où la promiscuité est de mise. «Là où je travaille, le personnel encadrant essaie de tout faire pour que les règles sanitaires soient respectées. Mais ces lieux sont, par essence, des collectivités», constate Claire-Antoinette Steiner, aumônière de l’Église protestante vaudoise dans le centre fédéral de Vallorbe.

Depuis le début du confinement, le 16 mars en Suisse, de nombreuses voix dénoncent le manque d’attention des autorités envers les requérants d’asile. Sur le plan sanitaire d’abord. Membre du groupe de médecins «Médecins.Action-Santé-Migrants » (MASM), qui témoigne de l’impact des politiques publiques sur la santé des migrants, la psychiatre Sophie Blanquet a constaté des retards dans les mesures barrière face au Covid-19 dans certains centres cantonaux. «Selon nos patients, pas de distance sociale, pas de gel hydro-alcoolique, pas de tests avant le 21 mars et, par conséquent, contaminations en cascades du 13 au 21 mars.»

Sur le plan humanitaire, ensuite. Dans une lettre ouverte, le directeur du Centre social protestant (CSP) de Genève, Alain Bolle s’interroge: «Il n’y a aucune nécessité à maintenir une cadence accélérée des procédures, puisque les renvois sur les pays de provenance ou d’origine ne peuvent de toute manière plus être exécutés (…) Il en va de même pour les demandeurs d’asile (…) qui attendent une décision depuis des mois ou des années. En quoi est-il nécessaire que leur cas soit traité sans délai (…) alors que toute activité est en suspens?»  L’association Solidarité sans frontières, le collectif Vivre ensemble, le Conseil œcuménique des Églises pour les réfugiés, le groupe MASM ont tous demandé la suspension de ces procédures.

Maintien des procédures

Pour le Conseil fédéral, c’est niet. Il estime crucial de maintenir les procédures d’asile en cours, «afin que la Suisse puisse remplir ses engagements internationaux», mais aussi pour des raisons sanitaires, et pour éviter l’engorgement des centres. Et ce, bien qu’aux dires des aumôniers qui y interviennent, faute de trafic aérien, les arrivées de requérants ont fortement diminué.

Les autorités ont réalisé des aménagements de procédures, en diminuant par exemple les personnes présentes dans la salle d’audition. Les délais de recours et de renvois sont prolongés, et les capacités d’hébergements augmentées pour pouvoir respecter les règles d’hygiène et surtout de distance sociale. Des mesures qui, en réalité, «risquent plutôt de péjorer encore la procédure», observe Aldo Brina, juriste au CSP. De plus, «même si les délais de recours sont prolongés, obtenir une évaluation médicale est compliqué actuellement. La démarche prend du temps; les médecins, mobilisés par le Covid-19, sont peu disponibles pour rencontrer en consultation des requérants d’asile et établir un rapport», pointe Josiane Pralong, médecin-chef en soins palliatifs, présidente de MASM.

Enfin, les décisions fédérales ne résolvent rien sur le plan sanitaire, puisque les procédures nécessitent des déplacements et contacts entre demandeurs d’asile, assistants sociaux, mandataires juridiques, interprètes, et fonctionnaires du secrétariat d’État aux Migrations. La décision plonge donc les experts du sujet dans une «vive inquiétude», résume Claire-Antoinette Steiner. Maintenir des procédures dans ces conditions «dégradées peut plonger les personnes dans un sentiment de solitude et d’impuissance abyssal, ce qui peut avoir de graves conséquences au niveau psychique», alerte Sophie Blanquet.