Laurence Mottier, au défi du dialogue

Laurence Mottier, modératrice de la Compagnie des pasteur·es et des diacres de Genève / ©Alain Grosclaude
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Laurence Mottier, modératrice de la Compagnie des pasteur·es et des diacres de Genève
©Alain Grosclaude

Laurence Mottier, au défi du dialogue

Polémique
En poste depuis un an, la modératrice de la Compagnie des pasteur·es et des diacres de Genève a affronté une première crise, sur la féminisation du langage d’Eglise. Une polémique à laquelle elle veut donner du sens.

Elle n’a «pas vu venir» l’incendie. Et jouer les pompiers lui a «franchement coûté». En janvier dernier, un article de Protestinfo repris par plusieurs médias romands revient sur la réflexion en cours au sein de la Compagnie des pasteur·es et des diacres depuis l’automne 2021 pour diversifer les représentations genrées dans le langage liturgique. Et donc aussi la manière de désigner Dieu. Reprises, réactions, viralité sur les réseaux sociaux… Et voilà Laurence Mottier, pasteure genevoise élue à la Compagnie depuis quelques mois, sommée d’éteindre la polémique, d’expliquer en direct sur Forum ce qu’est le langage inclusif. «Faire 25 cultes d’affilée ne me dérange pas le moins du monde. Mais traverser tout ça, franchement, ça m’a soufflée.» Cette féministe affirmée ne le cache pas: la «virulence» des réactions, tout comme la vigueur de la vague conservatrice sur le fond, l’a «scotchée. Et beaucoup déçue».

Non qu’elle se soit méprise sur l’Eglise et ses facettes conservatrices, d’hier comme d’aujourd’hui. Ayant grandi dans la paroisse de Chêne et étudié à Genève, elle a tôt pris conscience du conformisme de son Eglise et même «de la société suisse». Au point de partir étudier en Grande-Bretagne puis au Québec. «Entre le collège professoral et les statues des Réformateurs, j’étouffais. Où étaient les femmes, la part féminine dans la Bible, dans la théologie?» A Birmingham, elle découvre la diversité des communautés protestantes. Au Québec, elle rencontre des communautés de femmes catholiques progressistes «qui vivent leur foi à leur manière, développent leurs rites, leur façon d’être. C’était nourrissant, détonnant.» Ces expériences alimentent son travail de recherche sur les femmes dans l’entourage de Jésus dans le Nouveau Testament. Elles nourrissent aussi son approche pastorale: «J’essaye toujours de prendre en compte l’autre dans son cheminement et sa théologie.»

Elle a pu appréhender la différence lors d’un ministère de neuf ans auprès de personnes en situation de handicap mental. «J’avais besoin de défis, je venais de passer treize ans à la paroisse de La Servette, avec une communauté formidable.» Au contact de personnes qui parfois ne s’expriment pas par les mots, «il m’a fallu oublier mon savoir et mes diplômes, car ce qui compte, c’est d’être là, en présence. J’ai appris à épurer mon langage, à aller droit au cœur de la personne, sans être simpliste! Une école de vie.» Une manière aussi «de redonner une place» dans sa vie à son grand frère, souffrant de schizophrénie, qui s’est ôté la vie alors qu’elle avait 27 ans. Une absence comme «une coupure» dans son existence.

Depuis son adolescence, Laurence Mottier est sensible aux injustices, et à la figure du Christ qui y fait face, à «son humanisme, son refus absolu de compromission avec les systèmes de pouvoir». De la théologie, elle retient qu’elle est une manière de porter, à partir des Evangiles, «une parole sur les enjeux sociaux». Le genre n’est ainsi à ses yeux pas «qu’une simple question de langage», mais bien un enjeu de «reconnaissance et de justice». Et elle estime que le pastorat doit permettre d’«accompagner les gens, les aider à devenir, à trouver une place, à s’accomplir».

Que faire pour intégrer cela dans son rôle de modératrice, quand la différence devient opposition radicale? Naviguer à travers sa première polémique a obligé Laurence Mottier à sortir d’un rôle attendu de «maintien de la tradition», auquel, d’ailleurs, elle n’a jamais vraiment cru. «Comme si la foi devait être un lieu de sécurité et de non-mouvement.» Au contraire, cette crise l’a forcée à réaliser «un examen de conscience protestant». «Je dois revoir ma stratégie. Me dire: à quoi cela sert-il? Qu’est-ce qui est porteur de sens?» Elle qui a ouvert des dossiers sur «la justice sociale, le genre, l’écologie, la justice raciale» reconnaît se trouver «embêtée».

En Eglise on n’a pas à se ‹clasher›, on peut discuter de nos désaccords

Face aux positions divergentes, devenues attaques violentes, elle veut à tout prix éviter le risque de scission. Parmi les valeurs cardinales sur lesquelles elle mise : la tradition réformée du débat, «qui doit pouvoir faire place aux tendances réformistes et traditionnelles. En Eglise on n’a pas à se ‹clasher›, on peut discuter de nos désaccords».

Citation

«Pendant longtemps, je pensais, comme beaucoup d’autres, que les tendances libérales étaient majoritaires dans l’Eglise. Maintenant, des courants conservateurs et parfois proches des théories du complot sont très présentes, et la pensée progressiste est attaquée, associée au ‹wokisme›. Or, dans la tradition réformée, on a le savoir-faire du débat. Et non, comme ici, d’attaquer et de dénigrer. C’est la première fois que j’ai affaire à quelque chose qui n’a rien à voir avec la culture réformée dans laquelle j’ai grandi.»

Bio express

1967 Naissance à Genève.
1987-1992 Etudes de théologie, à Genève, à Birmingham puis au Québec.
1994 Suicide de son frère.
1995-2008 En poste à la paroisse de La Servette.
2008-2017 Aumônière auprès de personnes en situation de handicap.
Eté 2021 Nommée modératrice de la Compagnie des pasteur·es et des diacres de Genève.
Février 2022 Polémique sur la féminisation du langage ecclésial.