Un pasteur et ancien pompier au cœur des tragédies humaines

Pierre Bader a repris la coordination de l’Equipe de soutien d’urgence du canton de Vaud au 1er septembre. / DR
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Pierre Bader a repris la coordination de l’Equipe de soutien d’urgence du canton de Vaud au 1er septembre.
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Un pasteur et ancien pompier au cœur des tragédies humaines

20 décembre 2022
Pierre Bader a repris la coordination de l’Equipe de soutien d’urgence du canton de Vaud au 1er septembre. Un service des Eglises dont il a œuvré à la création, de par sa double casquette.

Pierre Bader se souviendra encore longtemps de cette matinée du 24 mars 2022, où il est intervenu sur les lieux du drame. Il est environ 7 h, une famille vient de se jeter depuis le balcon de leur domicile, à Montreux. Des tragédies humaines et des corps sans vie, ce pasteur et ancien pompier bénévole en a vu plus que de raison.

Si le Vaudois vient de reprendre la coordination de l’Equipe de soutien d’urgence (ESU), il en a été également été l’une des chevilles ouvrières lors de la création en 2006. Organisée par les Eglises réformée et catholique du canton, ce «Care Team» intervient sur mandat de la Police cantonale lors d’accidents ou autres décès brutaux, pour apporter un soutien psychologique et spirituel immédiat aux victimes, proches ou témoins de ces événements traumatisants. «A l’époque, on faisait une quarantaine d’interventions par année, à présent on tourne autour des 230 opérations annuelles», indique ce jeune sexagénaire au sourire lumineux.

Des animaux aux âmes

Rien ne prédestinait pourtant cet «enfant d’Epalinges» bien dans ses baskets à se confronter si régulièrement à la mort de ses pairs humains. Il se rêvait plutôt aux petits soins des animaux. «Etre pasteur n’a jamais été une option», s’amuse-t-il. «Je voulais devenir vétérinaire.» Sa Maturité en poche, il part en stage dans un cabinet de vétérinaire outre-Sarine. «Et là, je ne sais pas si c’est l’effet du suisse-allemand, mais mon envie a tout à coup disparu!» s’étonne-t-il encore aujourd’hui.

Quelques mois plus tard, il se retrouve sur les bancs de la Faculté de théologie de Lausanne, «la seule a accepté les inscriptions au-delà du délai défini». Si cette vocation n’était «pas prévue, elle n’est pas pour autant arrivée par hasard», modère-t-il. Après une année de mission en Afrique du Sud, suivie de quelques années de ministère à Chavornay, il pose ses valises dans la paroisse de Corsier-Corseaux (EERV), où il restera un quart de siècle.

Pour prendre part à la vie locale, il s’engage alors comme pompier volontaire. Là encore, cela «ne répondait aucunement à un rêve de gosse: je voulais juste rendre service en dehors de l’église», pose-t-il. Il interviendra pendant vingt-cinq comme pompier sur la Riviera vaudoise. C’est alors que sa personnalité bienveillante fait mouche: «C’est quelqu’un de posé, qui a toujours le sourire», raconte un ancien collègue pompier. «Il aime les gens, ça se voyait tout de suite. Ça lui tenait réellement à cœur d’en prendre soin au-delà de la seule intervention.»

Puissance dans l’impuissance

C’est lors de ces missions que le pasteur se fait repérer par les équipes de policiers présents sur les lieux, qui l’approchent et lui demandent ce qu’il pourrait faire pour soutenir les victimes d’événements tragiques, ou les proches à qui il faut annoncer un décès. Les bases de la cellule de l’ESU sont alors posées tacitement. Il faudra attendre 2006 pour que les Eglises catholique et réformée institutionnalisent ce service d’assistance psycho-social et spirituel.

Au moment d’évoquer les cas les plus douloureux qu’il a eus à accompagner, les yeux de Pierre Bader s’embrument. Il se souvient en particulier d’un accident de voiture, où une mère et son enfant ont perdu la vie. «Le père est arrivé sur les lieux très rapidement après, et il a vu ce qu’il n’aurait jamais dû voir», exprime-t-il, encore bouleversé.

S’il n’a jamais craint de ne pas trouver les mots adéquats, il a dû se résigner aux limites de l’exercice: «On n’est pas là pour apporter de solution: il n’y en a pas», assène-t-il. «Nous ne pouvons qu’offrir une présence bienfaisante qui pourra peut-être soulager un peu la douleur.» La méthode consiste alors à «lever les ressources des gens», soit leur faire se souvenir que celles-ci existent: le soutien de leur famille, leurs ressources intérieurs, leur foi ou encore un médecin traitant, explique-t-il. «On essaie de redonner un bout de puissance devant l’impuissance.»

La foi et la vie

Après de pareils événements, un temps de récupération se fait à chaque fois sentir. «Les émotions partagées sont si intenses, qu’on ne peut pas juste retourner devant son ordinateur comme si de rien n’était.» Pierre Bader aime alors enfourcher son VTT et s’évader dans la nature. Comment tient-il encore le coup après toutes ces années de tragédies prises en pleine face? «La foi, c’est ce qui me permet de tenir droit dans ses bottes», assure-t-il.

En dehors de son engagement auprès de l’ESU, le pasteur se veut résolument tourner vers la vie. Père de six enfants, dont deux adoptifs, l’homme et son épouse ont également ouvert leurs portes à de nombreuses reprises à des jeunes qui, «à un moment donné dans leur parcours, ont eu besoin d’un lieu sécure avant d’opérer une transition vers la prochaine étape».

Dans la salle de paroisse, le pasteur a également fait installer des crochets, pour y suspendre… des sacs de boxe. Tous les jeudis soir, un entraînement est alors donné aux jeunes de la région, histoire autant de se défouler que de se ressourcer spirituellement.

Le renouvellement. Tel pourrait d’ailleurs être le mot-clé de ce pasteur dynamique, engagé dans l’implantation d’Eglises en Asie, et qui travaille actuellement, dans la région de Vevey, à la mise sur pied d’une communauté en dehors des murs de l’église pour les 20-30 ans éloignés de la religion. «L’idée est d’aller dans les cafés ou d’autres lieux publics», précise-t-il.

«C’est un homme qui trace, un fonceur», formule Carine Wahlen, qui collabore avec lui sur ce projet. «Il aime être tout le temps en mouvement», poursuit-elle, tout en ajoutant qu’il apprécie particulièrement le contact humain. Bien que conservateur sur le fond, l’homme a d’ailleurs pris l’habitude laisser tomber la robe lors de certaines cérémonies. «Une question de proximité», avance-t-il. «Les gens ont désormais moins besoin d’une figure pastorale que d’une relation.»

Bio

1965                Naissance à Epalinges

1989                Licence en théologie à l’Université de Lausanne

1990                Année en Afrique du Sud

1991-1995      Pasteur de la paroisse de Chavornay (EERV)

1996-2021      Pasteur de la paroisse de Corsier-Corseaux (EERV)

Dès 1996        Officier pompier sur la Riviera vaudoise en tant que chef d’intervention. Actuellement capitaine parmi les pompiers professionnels de Lausanne comme aumônier

Dès 2002        Assistance spirituelle en cas d’urgence. Création, direction puis participation aux équipes de soutien des services d’urgence du canton de Vaud (ESU)

Dès 2022        Redevient coordinateur de l’ESU