Michèle Morier-Genoud: panser les injustices du Mozambique jusqu'à Bienne

Michèle Morier Genoud © Pierre Bohrer
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Michèle Morier Genoud © Pierre Bohrer

Michèle Morier-Genoud: panser les injustices du Mozambique jusqu'à Bienne

Afrique
L’histoire de la mission protestante romande en Afrique australe est bien peu connue. Michèle Morier-Genoud témoigne de ce contexte colonial au Mozambique.

Le Mozambique, ce sont 30 millions d’habitants dans le sud de l’Afrique, colonisés par le Portugal jusqu’en 1974. C’est dans ce pays voisin de l’Afrique du Sud que grandit la petite Michèle, troisième d’une fratrie de quatre enfants, née en 1956 dans la brousse à Chicumbane, station développée par des missionnaires romands. Ses parents y sont partis suivre «l’appel pour les missions» en 1950. Juliette, la maman, est fille d’un entrepreneur horloger, originaire du Locle. Engagé dans l’Eglise libre à Bienne, le grand-père devient le pilier d’une communauté assez active autour de la chapelle de la Source. Juliette entame des études à Lausanne. C’est l’une des premières femmes en Faculté de théologie libre. Elle y obtient la licence, mais ne deviendra jamais pasteure. «Elle appréciait le travail de terrain avec les femmes. Elle n’aimait pas les discours.» Georges, le père de Michèle, vient de Château-d’Œx. Il est fils d’un professeur en mathématiques et d’une enseignante. Est-ce le hasard des rencontres, un goût commun pour la théologie, une envie d’ailleurs? Juliette et Georges se marient en 1950 et partent plusieurs mois au Portugal pour y apprendre la langue. Là, ils font la connaissance d’Eduardo Mondlane, futur président du Front de libération du Mozambique. Ils deviennent des amis proches de cet homme, qui finira assassiné quelques années plus tard.

Injustices sociales

Le départ pour l’Afrique australe se fait en bateau en 1951. «Ils s’en sont allés sans savoir quand ils allaient revenir.» Le couple s’installe dans la brousse à 200 km de la capitale, se familiarise avec la langue locale, le tsonga, et s’intègre dans son nouveau monde. Dans les années 1960, la famille déménage dans la capitale : «Notre maison était au bord du bidonville, se souvient Michèle. A l’âge de 9 ans, j’étais sensibilisée aux injustices sociales. En dehors de la maison, il était mal vu de fréquenter des autochtones !» Mue par cette sensibilité, la jeune Michèle grandit dans «des conditions de vie pas évidentes». Les maladies tropicales, tuberculose, malaria… «L’alphabétisation est l’une des activités importantes. Quelques élèves ont ainsi pu avoir accès à une bourse d’études de l’EPER pour étudier au Portugal ou aux Etats-Unis, comme Eduardo Mondlane.» Autre aspect non négligeable: la politique. « Mon père était conscient de la répression redoutable soutenue par la police politique dans la lignée des salazaristes. En 1970, ces derniers emprisonnent une quarantaine de pasteurs et d’ouvriers d’église, pour qu’ils dénoncent le président de l’Eglise, prétendument affilié au Front de libération. Son assassinat en prison a marqué la suite de l’histoire. J’ai grandi dans ce contexte politique.»

Je ne conçois pas de vivre dans un lieu et de rester inactive face aux injustices sociales.

Retour en Suisse

Michèle a 13 ans quand la famille décide de rentrer au pays. «Mes frères voulaient commencer des études de médecine.» L’acclimatation à Lausanne se révèle difficile : «Je percevais la coupure.» A l’école, «le paraître était très important». Deux ans de dure adaptation assortie de déprime. A ses 18 ans, elle entame une réflexion politique, rallie, en 1972, des communautés politisées, dont le Groupe action Afrique Australe et l’Action syndicale de gauche, tendance maoïste… Michèle obtient ensuite son diplôme d’infirmière spécialisée en anesthésie et trouve une place au Lesotho. «Une année assez épique !» L’Afrique est donc toujours présente dans la vie de la jeune femme. Depuis la Suisse, elle gère des projets pour le Département missionnaire des Eglises réformées et réalise des missions de suivi en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud. En 2003, elle quitte cette organisation (dont elle deviendra pourtant présidente du Synode en 2022) pour les soins à domicile du Bas-Vallon, dans le Jura bernois. «Je ne conçois pas de vivre dans un lieu et de rester inactive face aux injustices sociales. C’est un moteur important chez moi!» De 2004 à 2012, elle siège au Conseil de ville biennois, et au Grand Conseil de 2008 à 2014. «C’est usant, la politique. On n’en ressort pas forcément enrichi. Tu peux avoir des convictions socialistes, mais à un moment tu marches sur la tête des autres…» Elle tourne le dos à cet engagement et revient à la paroisse de Bienne, dont elle assume la présidence. Encore la volonté de concilier le concret avec ses valeurs humaines.

Bio express

1956 Naissance à Chicumbane (Mozambique).

1969 La famille revient en Suisse.

1994 Gestion de projet à Lausanne pour le DM-échange et mission (aujourd’hui DM).

2003 – 2020 Responsable des questions genre et développement pour PPP-EPER-DM.

2003 Infirmière pour les soins à domicile du Bas-Vallon (Jura bernois).

2005 Conseillère de ville à Bienne et députée au Grand Conseil (dès 2008).

2014 Présidente du conseil de la paroisse réformée française de Bienne.

2022 Présidente du Synode de DM.

Regard critique sur la mission

En 1999, Michèle Morier-Genoud collabore à la mise sur pied d’une exposition itinérante sur la mission. Cette exposition offre un regard sans complaisance sur le développement de la Mission suisse, de ses débuts en terres vaudoises à la fin du XIXe siècle à l’épineuse question de l’attitude de l’Eglise face à l’apartheid en Afrique du Sud. Elle évoque aussi, entre autres, les relations très tendues entre une mission protestante et l’Etat dans le contexte du colonialisme portugais au Mozambique. Cette exposition a donné suite à l’ouverture d’un centre au Mozambique sur l’histoire de la mission protestante suisse.