Un islam dans la cité

Saad, Ilyas et Malik © Aline Jaccottet
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Saad, Ilyas et Malik © Aline Jaccottet

Un islam dans la cité

29 août 2017
L’association fribourgeoise Frislam milite pour un islam citoyen et participatif. Ses soixante jeunes membres cherchent à être à la fois pleinement Suisses et musulmans.

Tout juste sortis de l’école ou de la salle d’examens, ils s’offrent une pause à la cafétéria de l’université de Fribourg: Saad, Ilyas et Malik, qui se sont connus à travers la mosquée, sont des amis de longue date. Fribourgeois de naissance, d’origine algérienne, somalienne et tunisienne, ils ont créé en avril 2015 une association appelée «Frislam». Leur but: se retrouver entre jeunes musulmans et créer du lien avec leurs concitoyens du canton de Fribourg. «On n’est pas dans le schéma classique des lieux de culte, mais dans une démarche citoyenne et participative. Notre identité est Fribourgeoise avant tout», précise Saad, 23 ans et secrétaire de l’association en troisième année de bachelor.

Frislam soulève un enjeu de taille: la génération des parents et des imams ne répond pas toujours aux attentes des jeunes nés ici. «A la mosquée, tout le monde ne maîtrise pas le français et ne comprend pas nos problèmes, surtout quand le sujet est délicat», explique timidement Malik, 19 ans. L’adolescent tient à préciser qu’il ne «critique» pas: «il y a des choses qu’on ne peut pas demander à quelqu’un qui vient d’arriver de son pays natal. Seulement, il faut faire en sorte que l’islam et notre mode de vie soient compatibles».

Des femmes trop absentes

Un objectif pas toujours facile à atteindre, notamment en matière de relations avec le sexe opposé, une préoccupation majeure pour les trois jeunes hommes. «On se contente de nous dire que les relations intimes avec les filles sont interdites, sans nous aider à mettre cet interdit en application», regrette Malik. De son côté, Saad déplore l’absence de structures permettant aux deux sexes de se rencontrer. «S’il n’y a pas d’interaction entre nous, il ne peut rien se passer, ni amitié, ni relation sérieuse! Très peu d’associations comprennent qu’en l’absence de lieu où se rencontrer, il est très difficile de fonder un foyer musulman». Fier de mentionner un nombre égal d’hommes et de femmes dans son collectif, l’étudiant souligne: «Au temps du prophète, elles participaient pleinement à la vie sociale et politique. Il faut rétablir ça! Sans les femmes, les événements qu’on organise ne marchent pas.»

Un jeûne rompu avec 500 Fribourgeois

Ciné-club toutes les deux semaines, prière ensemble un dimanche matin par mois, conférences à l’occasion, Frislam mélange activités sociales et spirituelles. Leur plus grand succès: avoir réuni plus de 500 Fribourgeois, dont des élus et des représentants catholiques et protestants, autour du repas de la rupture du jeûne en septembre dernier. En été, l’association a aussi organisé un camp qui a réuni une trentaine de participants à Broc. Tout le monde a été visiter la fabrique de chocolats Cailler. «On n’est pas un club fermé», insiste Saad, mentionnant la présence de deux non-musulmans dans l’association.

Etre ensemble

Les trois amis seraient bien incapables de dire dans quel courant de l’islam sunnite ils se situent précisément. Ici, le débat théologique n’a pas sa place: ce qui importe, c’est d’être ensemble et de pratiquer sa foi dans la liberté. «Je vis l’islam un peu différemment de mes parents qui sont dans les anciennes traditions. Moi je veux me concentrer sur l’essentiel», explique Ilyas. Tout se fait en français, les sourates du Coran citées par les conférenciers invités sont traduites et au besoin, le collectif fait appel à l’imam Abdelwahed Kort du Complexe Culturel Musulman de Prilly (VD), «quelqu’un de vraiment bien», souligne Saad.

Un enjeu pour l’avenir

La création de Frislam a suscité l’enthousiasme des musulmans de Fribourg ainsi que des proches de Saad, Malik et Ilyas. Les membres du comité espèrent maintenant pérenniser leur initiative. «Il faut penser à l’avenir et c’est à nous de le faire. Nous sommes à même de répondre aux défis: nous sommes nés ici, nous avons étudié ici. Pour nous, ça change tout», dit Saad. Le jeune homme aura fort à faire les semaines qui viennent: sous la bannière du Parti démocrate-chrétien (PDC), il est candidat aux élections communales à Marly. Une manière d’affirmer plus encore son lien avec la Suisse, ce pays dans lequel il est né et auquel il se sent si profondément appartenir.

La formation des imams, un enjeu de taille pour l’avenir      

Un tiers des 450’000 à 500’000 musulmans vivant en Suisse ont moins de quinze ans. Le décalage entre les imams et ces jeunes nés en Suisse ou acclimatés à notre pays depuis leur plus tendre enfance est un problème de première importance.

«Les responsables religieux sont généralement choisis par des personnes issues des premières générations de migrants arrivés en Suisse à l’âge adulte. S’ils connaissent la Suisse, ils n’y ont souvent pas vécu leur adolescence. Ils n’ont donc souvent pas les outils pour répondre aux besoins religieux de la jeune génération de musulmans nés en Suisse, qui rencontre d’autres défis que leurs parents dans leur intégration sociale», explique Mallory Schneuwly Purdie, docteure en sociologie et responsable de recherche au Centre islam et société (UNIFR).

Les préoccupations soulevées par Ilyas, Saad et Malik sont partagées par de nombreux musulmans adultes. «Les fidèles regrettent souvent que leur imam ne maîtrise pas mieux la langue et les codes culturels suisses, même s’ils sont satisfaits de sa formation théologique», note Mallory Schneuwly Purdie. La Confédération n’oblige pas ces responsables religieux issus d’horizons culturels et institutionnels très divers à prendre des cours de français, et aucun contrôle n’est effectué à ce sujet.