Noël 2020: et s'il n'était pas si différent du premier Noël?

Joseph et Marie au soir de la naissance de Jésus. / IStock
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Joseph et Marie au soir de la naissance de Jésus.
IStock

Noël 2020: et s'il n'était pas si différent du premier Noël?

16 décembre 2020
Précarité, solitude, incompréhension, incertitudes face à l'avenir... Autant d’éléments qui colorent ce Noël 2020 si singulier et qui pourtant prévalaient déjà en cette nuit de la Nativité, que les chrétiens ne cessent de célébrer depuis. Quel message en tirer aujourd’hui, à la veille de fêter ce Noël si particulier?

Précarité

Entre chômage partiel et fermeture des commerces, la crise sanitaire a plongé nombre de personnes dans la précarité. Celles-ci doivent aujourd’hui aborder les festivités parfois dans le plus grand dénuement, faute de rentrées financières nécessaires. Or le premier Noël de l’histoire (qui n’en portait pas encore le nom) s’est également déroulé bien loin des fastes. Car c’est bien dans le dépouillement le plus total qu’est né «le divin enfant».

«Les contemporains de Jésus vivaient dans une situation politique et économique difficile, sous la domination écrasante des Romains qui les soumettaient à de très lourds impôts», rappelle David Freymond, pasteur à Pully. De plus, avec le recensement édicté par l’empereur César-Auguste, Joseph et Marie avaient dû faire le voyage de Nazareth en Galilée à Bethléem en Judée. C’est ainsi qu’ils se retrouvent, le soir de l’accouchement, tel «un couple de déplacés, une famille sans domicile», formule Philippe Blanc, l’abbé de la cathédrale de Fribourg.

«La marche forcée à laquelle ils sont contraints les confronte alors à des auberges overbookées», poursuit Line Dépraz, pasteure de la cathédrale de Lausanne. C’est ainsi que selon le récit, la naissance aura lieu dans une simple étable, le bébé emmailloté dans une mangeoire. «Ne pas avoir de place, ne pas bénéficier de la considération des autres, est une réelle souffrance qui rejoint celle des plus pauvres aujourd’hui», relève la ministre.

Et pourtant, «la précarité de la naissance de Jésus à Bethléem ne fait pas obstacle à l’accomplissement du dessein de Dieu», expose l’abbé Philippe Blanc. «Cet événement nous invite à regarder autrement et à comprendre que les choses les plus importantes n’ont pas nécessairement besoin de clinquant.» «Comme Marie et Joseph, nous devons cheminer sur cette voie étroite de la confiance, en nous souvenant que la souffrance est le lieu où Dieu vient s’incarner», enchaîne David Freymond. «Car nous n’avons pas à nous tirer tout seul de notre histoire: avec Dieu, il y a toujours un commencement possible.»

 

Solitude

Grands rassemblements interdits, quarantaines obligatoires, protection des personnes à risque... Nous serons nombreux cette année, à fêter Noël, en cercle réduit, parfois même dans la plus grande solitude. Ainsi de Joseph et Marie, qui se retrouvèrent «effectivement bien seuls ce jour-là, face à leur destin», énonce l’abbé François Dupraz de Notre-Dame du Valentin. Et d’ajouter: «Pas de place dans l’auberge pour une femme qui allait accoucher... La solitude des uns est souvent la conséquence de l’indifférence des autres.»

«Loin de chez eux, sans soutien, leur solitude en est d’autant plus criante, à mille lieues des images d’Épinal de nos jolies crèches, où tous les figurants sont propres et souriants», souligne encore le pasteur David Freymond. Or, selon le texte biblique, «si chaque personne est unique, elle n’a pas vocation à être seule», exprime l’abbé Philippe Blanc. Et d’évoquer: «Ces temps nous ont peut-être permis de redécouvrir l’urgence d’être proche les uns des autres, et le manque que cela procure lorsque cette proximité est empêchée.»

«Durant son ministère, Jésus n’a eu de cesse d’aller à la rencontre de celles et ceux qui étaient évités, voire rejetés par les autres. Il brisait la solitude. C’était un homme de relations», pointe alors Line Dépraz. Et pourtant, «la solitude est présente dans toute la vie de Jésus», rappelle David Freymond. «Né dans la pauvreté de la crèche, il mourra seul, crucifié entre deux bandits, après avoir été souvent incompris et abandonné.»

Ce qu’il faut en déduire? «Notre solitude est aussi celle de Dieu», pose-t-il. «Ce n’est pas de la consolation à bon marché: par son incarnation, Dieu se fait plus que jamais présent dans notre histoire, notre vie, notre quotidien.» Et l’abbé Dupraz de conclure: «La solitude fait partie de la condition humaine. Cependant, quand une âme est unie à Jésus, elle n’est plus seule. Sur la crête qui sépare l’incrédulité de la foi, la découverte d’être aimé et accompagné par notre Père est décisive.»

 

Incompréhension

Inexplicable, incontrôlable, la pandémie actuelle est venue ébranler bien des certitudes. Face à ses injustices (la maladie, la mort d’un proche ou la perte de son emploi), l’incompréhension est grande, comme le sentiment généralisé d’un destin qui nous échappe. À l’instar de Joseph et Marie, eux aussi dépassés par la réalité qui s’est imposée à eux. «Si Marie est troublée dès l’apparition de l’ange Gabriel, on sait que Joseph lui aussi est secoué par cette grossesse inattendue et l’annonce de cet enfant à venir dont il n’est pas le père», commente David Freymond. «Dans cette situation, Joseph se retrouve face à la loi, la coutume et la tradition qui préconisent une répudiation publique et tranchante.»

«Humainement, il ne comprend pas, Puis l’ange vient éclairer son incompréhension en l’apaisant quant à ses doutes», relate Philippe Blanc. Joseph renonce alors au projet de répudier sa promise. «Dans le concret de sa situation, il fait un choix humain, un choix éthique. Il surmonte l’incompréhension du début, pour faire pleinement confiance à Dieu», poursuit le pasteur.

Un message à en retenir pour aujourd’hui? «Combien sont-ils aujourd’hui, les humains qui ne comprennent pas ce qui leur arrive?», insiste la pasteure Line Dépraz. «Joseph et Marie nous montrent qu’il est humainement légitime de poser des questions, de dire nos incompréhensions», enchaîne l’abbé Philippe Blanc. Toutefois, il ne faudrait pas que cette incompréhension empêche d’avancer, adresse-t-il: «Si le critère pour suivre le Christ est de tout comprendre, de tout savoir par avance, de tout maîtriser par soi-même, on risque de rester encore longtemps sur le bord du chemin.»

«Marie et Joseph font le choix de ne pas tout comprendre», souligne à son tour David Freymond. «Ils font ce "saut de la foi" cher à Kierkegaard. Ils accueillent ce qui leur arrive comme un projet qui les dépasse, tout en se remettant dans les mains de Dieu.» «C’est en marchant avec Lui que nous découvrons petit à petit, selon nos besoins et à notre mesure, son projet pour chacun de nous», conclut l’abbé Blanc.

 

Incertitudes face à l'avenir

Comment aborder demain, quand on ne maîtrise plus rien? Une question actuelle également éprouvée par les protagonistes de la Nativité. «Leur situation socio-politique n’est pas facile. Vivre en terre occupée, c’est ne pas savoir de quoi demain sera fait», expose la pasteure Line Dépraz. «Peu après la naissance de Jésus, Joseph et Marie ont été forcés de fuir pour l’Égypte avec leur jeune fils, afin d’échapper au roi Hérode», prolonge David Freymond. «À ce titre, on peut les considérer comme la plus célèbre famille de réfugiés du monde.»

«Par définition, l’avenir ne se prévoit pas. Il s’accueille quand on y consent», articule Line Dépraz. «Or la pandémie met à mal notre tolérance à l’incertitude. Nous gagnerions à travailler notre souplesse en la matière», avance-t-elle. «Marie et Joseph se sont remis avec foi et confiance, un jour après l’autre, à celui pour qui rien n’est impossible», mentionne l’abbé François Dupraz. «Il en va de même pour nous aujourd’hui: l’être humain est ainsi fait que nous ne pouvons porter que 24 heures à la fois.»

«L’avenir n’est pas un destin à subir, mais un monde nouveau dont je suis l’artisan», proclame alors l’abbé Philippe Blanc. Face au danger, Joseph ne se résigne pas, mais prend des décisions, d’abord de fuir en Égypte, puis de s’établir en Galilée, plutôt que de retourner en Judée. «Il a le souci d’offrir un cadre favorable à sa famille», formule David Freymond. «Il y a beaucoup de bon sens dans l’attitude de Marie et Joseph. La peur devait certainement les habiter, l’incertitude les ébranler parfois, mais les textes nous montrent qu’ils ont fait des choix rationnels, tout en faisant confiance en Dieu qui saura les conduire et les garder.»

«Un des noms de Jésus, c’est Emmanuel. Littéralement, Dieu avec nous», rappelle alors Line Dépraz. «Il ne nous évite pas les coups tordus de la vie, les craintes, les incertitudes qui peuvent être paralysantes. Mais il nous accompagne dans tout ce que nous traversons. Et comme le disait Martin Luther King, il peut ouvrir un chemin là où il n’y en a pas.»