L’EERV lance la campagne sur le mariage pour tous

L'EERV lance le débat autour du mariage pour tous / Capture d'écran
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L'EERV lance le débat autour du mariage pour tous
Capture d'écran

L’EERV lance la campagne sur le mariage pour tous

Alors que la décision d’accorder un rite pour les partenaires enregistrés avait suscité de vives tensions en son sein, l’Église réformée vaudoise a choisi aujourd’hui d’engager frontalement le débat en amont de la votation sur le mariage civil pour tous. Réactions.

Depuis le début du mois, l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) affiche clairement la couleur. Ou plutôt devrait-on dire «les couleurs», puisque ce sont bien celles de l’arc-en-ciel, associées désormais au drapeau LGBTQ+, qu’elle a choisi de défendre en vue de la votation fédérale sur le mariage civil pour tous, agendée au 26 septembre. À cet effet, une série de cinq vidéos ont été réalisées pour être diffusées sur les réseaux sociaux.

«En 2014, lors de la mise en place d’un acte liturgique pour les partenaires enregistrés, le débat a été difficile et douloureux au sein de notre Église», explique Marie-Claude Ischer, présidente du Conseil synodal (exécutif) de l’EERV. «Il nous semblait dès lors opportun d’avoir une communication pro-active sur le sujet, en donnant des éléments de réflexion dès le départ, plutôt que d’avoir des réactions qui sont plutôt de l’ordre de l’émotionnel.»

Pour Andrea Coduri, chargé du groupe de travail «Église inclusive» de l’EERV à l’initiative de cette communication, «il était fondamental d’éclairer ces questionnements»: «Puisque le référendum (contre la révision de la loi, ndlr) a été lancé notamment par des milieux religieux, il était important de prendre part au débat démocratique et de ne pas laisser le terrain à une seule théologie.»

Un engagement controversé

Une volonté d’apaiser les discussions qui n’a cependant pas forcément porté les fruits escomptés. En cause: le peu de contradiction apparent dans ces cinq vidéos, qui présentent tour à tour l’avis de deux théologiens en faveur du mariage civil pour tous, les éclairages de deux spécialistes du droit et le témoignage d’un couple de femmes. Faut-il voir par-là une prise de position officielle de l’EERV? «Notre Église se bat contre toute forme de discrimination, et c’est partant de ce principe que nous avons décidé de nous engager dans ce débat», formule Marie-Claude Ischer, sur la pointe des pieds.

Si les vidéos ne seront présentées que le 10 juin, lors d’une avant-première suivie d’un débat, les extraits déjà diffusés sur les réseaux sociaux donnent le ton. Et en irritent déjà certains. «Ce n’est pas ainsi qu’on arrive à un discernement moral sur un thème aussi controversé», soulève Martin Hoegger, pasteur réformé retraité et membre du Rassemblement pour un renouveau réformé (R3), créé au lendemain de l’ouverture de l’EERV au rite pour couples du même sexe liés par un partenariat enregistré. «Le Conseil synodal de l’EERV a un devoir d’unité en organisant le débat, pas de favoriser une tendance au détriment d’une autre.»

Si les critiques étaient prévisibles du côté des opposants au mariage pour tous, des interrogations s’élèvent aussi chez certains de ses partisans, inquiets que cette «cette opération de com’ vienne heurter le pluralisme religieux», comme le souligne une ministre qui préfère garder l’anonymat sur un sujet qu’elle considère comme clivant. Et d’expliquer: «Cinq clip vidéos par-ci, sur Facebook des tonnes de battage médiatique et le drapeau arc-en-ciel partout: je me dis que les personnes réticentes sur ces questions doivent faire une overdose...Et bizarrement je vois que l'UBS fait pareil...Ça m'interroge.»

Pourtant, rappelons-le, la votation ne concerne que le mariage civil – et non le religieux. De fait, était-ce bien le rôle de l’Église de faire campagne sur le terrain politique? «Je suis très reconnaissante que cette question puisse être amenée par l’Église et qu’elle puisse être débattue publiquement dans le respect des convictions», exprime Sylvie Dépraz, diacre dans la paroisse de Bussigny et responsable kt/jeunesse. Et de déclarer: «Je n’aime pas que l’Église reste silencieuse, car, portée par l’Évangile, elle a des choses à dire. Et la peur de choquer est toujours mauvaise conseillère.»

Quelle inclusivité?

«De toute évidence, cette prise de position univoque réveillera des blessures et accentuera encore les incompréhensions, les découragements, et les démissions d’une partie du corps de l’Église», réagit pour sa part Olivier Bader, pasteur à Yverdon et également membre du R3.  «A-t-on besoin de mettre en scène des figures d’autorité (des professeurs de théologie) dans la posture de conseillers fédéraux à la veille de votations?»

«Je comprends que notre prise de parole puisse heurter certains, mais c’est le contraire que nous souhaitons», se défend Marie-Claude Ischer. Et de préciser: «Ce n’est pas nous qui avons décidé de mettre le sujet sur la table. Notre devoir de citoyen fait qu’aujourd’hui on nous demande de voter sur cette question, on ne peut donc pas l’éliminer de nos réflexions.» L’EERV insiste d’ailleurs qu’à aucun moment elle ne donne de consigne de vote. «L’idée c’est de susciter le débat, d’entendre les différentes opinions et d’analyser ensemble les tenants et aboutissants de cette votation, même si, pour nous, le message de la Bible mène clairement vers plus d’inclusivité», précise Andrea Coduri.

«Veut-on une Église "inclusive" au prix de son unité interne?» pointe alors Olivier Bader. «L’EERV sera-t-elle un jour capable d’assumer le pluralisme qu’elle prêche? Avec bien des collègues et des laïcs, je ne me sens ni entendu ni respecté. De fait, ce débat est clivant et suscite des jugements de part et d’autre. Comme en témoigne le vocabulaire des professeurs interviewés, les opposants – que l’on veut pourtant respecter – sont suspects de pratiquer la discrimination et l’exclusion.»

Martin Hoegger rappelle que le R3 avait envoyé une «Lettre ouverte à l’Assemblée des délégués de la Fédération des Églises protestantes suisses» (devenue l’Église évangélique réformée de Suisse en 2020, ndlr),  qui se terminait par ces lignes : «Nous ne sommes pas opposés aux personnes qui ont une orientation homosexuelle mais dans la fidélité à Jésus-Christ (Mt 19 : 4-5), nous ne pouvons légitimer leur mariage. Une Église qui se prononce ouvertement contre l’enseignement du Christ perd son autorité spirituelle et précipite son effritement. Elle se distancie en outre des autres Églises chrétiennes.» En novembre 2019, pourtant, l’Assemblée s’était prononcée en faveur du mariage civil pour tous.

Dans le canton de Vaud, la diffusion des vidéos s’accompagnera de rencontres organisées pour ouvrir le débat. Pour l’heure, de toute évidence, la question de l’inclusivité n’a pas fini de diviser au sein de l’EERV, entre ses ailes conservatrice et progressiste.