Consentement présumé: la fin du don d’organes?

Les Chambres fédérales ont accepté le consentement présumé en matière de dons d'organes.© iStock/Bablab / Les Chambres fédérales ont accepté le consentement présumé en matière de dons d'organes.© iStock/Bablab
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Les Chambres fédérales ont accepté le consentement présumé en matière de dons d'organes.© iStock/Bablab
Les Chambres fédérales ont accepté le consentement présumé en matière de dons d'organes.© iStock/Bablab

Consentement présumé: la fin du don d’organes?

27 octobre 2021
La Suisse a accepté le principe du consentement présumé en matière de don d’organes. Les Églises s’interrogent sur l’efficacité de cette nouvelle donne sur le nombre de dons, alors que celle-ci prétérite le libre-choix.

Qui ne dit mot consent. Telle est la volonté exprimée fin septembre par le Conseil des États, qui a adopté le principe du consentement présumé en matière de don d’organes, après le National qui avait donné son aval en mai. Concrètement, dès 2023, les personnes qui refusent le prélèvement d’organes après leur décès devront le déclarer. Toutefois, sans document attestant de la volonté du défunt, les proches ou une personne de confiance désignée pourront s’opposer au prélèvement, pour autant que cela respecte la volonté présumée de la personne décédée. Jusqu’à présent, le prélèvement n’est réalisé que si la personne a donné son accord avant son décès. L’objectif de ce changement de pratique: pallier le manque de dons d’organes en Suisse. En 2020, 1450 personnes étaient sur liste d’attente pour une greffe, relève l’OFSP. Cette même année, 519 personnes ont pu être transplantées, 72 sont décédées faute d’organes.

Mais l’adoption par les Chambres du contre-projet à l’initiative «Promouvoir le don d’organes – sauver des vies», qui lui n’impliquait pas les proches du défunt, ne fait pas l’unanimité. En octobre, un comité référendaire s’est constitué. Il ne veut pas que les organes soient prélevés sans consentement explicite. Il a jusqu’au 20 janvier 2022 pour remettre les 50'000 signatures nécessaires et voir ainsi le peuple trancher.

«Le législateur a reconnu la gravité de la pénurie d’organes. Mais sa décision ne rend pas justice à l’ampleur des défis personnels, psychologiques et éthiques liés au don et à la réception d’organes. Il a surtout évité un débat social intense sur le sujet», réagit Frank Mathwig, éthicien de l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS). Du côté des Églises réformées comme catholiques, en effet, le consentement présumé n’est pas vu comme la solution miracle. «Il est nécessaire que le système change, car nous manquons de dons. Mais la décision prise est décevante. Si l’intégration des proches permet d’éviter des conflits, que devient l’autonomie?» s’interroge Stève Bobillier, collaborateur scientifique de la commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses.

Un don imposé

En effet, peut-on encore parler de don, dès lors que la personne défunte ne s’est pas prononcée de son vivant? «Avec le consentement présumé, il ne s’agit plus d’un don, dans le sens où il n’est plus librement consenti», affirme Stève Bobillier. C’est donc le principe d’autodétermination qui est ébranlé. «Le prélèvement d’organes dépend désormais de l’absence d’un refus explicite. Cette pratique est en contradiction avec la protection de la personne et son autodétermination», abonde Frank Mathwig.

Pour ces deux éthiciens, cela risquerait de nuire à l’augmentation des dons escomptée. «C’est contre-productif: lorsque l’on impose des pratiques aux gens, ils ont plutôt tendance à répondre par la négative», observe Stève Bobillier. Côté réformé aussi, on est plutôt sceptique. Parmi les inconvénients du consentement présumé, Frank Mathwig cite notamment le fait que «le don d’organes apparaît comme un cas normal auquel il faut expressément s’opposer. Le caractère du don est sapé et transformé en son contraire. La confiance dans le don volontaire est durablement ébranlée. Le corps de la personne décédée est explicitement protégé par les droits personnels existants.»

Le choix des familles

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Côté réformé comme catholique, les Églises ne s’opposent pas au don d’organes, elles insistent sur la liberté de choix et plaident en faveur de la déclaration volontaire, soit du consentement explicite. Mais, problème, le don d’organes, au même titre que les directives de fin de vie, est intimement lié à la question de la mort et de fait encore et toujours un sujet tabou. «Dans la majorité des cas, les familles ne sont pas au courant du choix du défunt. Et dans le contexte difficile de l’annonce du décès et du deuil, les proches sont incapables de prendre une décision, car ils n’ont pas de recul. Ils ont alors tendance à refuser le prélèvement», relate Franz Immer, directeur de Swisstransplant.

Pour ce chirurgien cardiaque, le consentement présumé permet justement de soulager la famille du défunt, car «la responsabilité change de camp». Jusqu’à présent, sans trace de la décision quant au don d’organes, il fallait trouver un consensus entre les proches et le «non» l’emportait. «Avec la nouvelle pratique, sans trace écrite et si la famille n’est pas au courant de la volonté du défunt, on présume plus facilement que celle-ci n’était pas opposée au prélèvement. En ce sens, les proches ne sont plus responsables d’un choix que le défunt pouvait manifester de son vivant», explique Frank Immer. Avec le changement de pratique adopté par les Chambres, le directeur de Swisstransplant espère une augmentation de 15 à 20% des dons d’organes à moyen terme, se fiant aux expériences des pays qui l’ont déjà adoptée à l’image de l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, l’Angleterre, la Finlande, la Norvège, l’Italie, l’Espagne ou la France.

Le poids du silence

Pour autant, Franz Immer préférerait que chaque personne puisse exprimer son choix de son vivant et qu’ainsi le choix du défunt qui doit être respecté ne soit plus seulement présumé. Une volonté partagée par les deux éthiciens. Mais le silence qui règne autour de la question du don d’organes est encore trop présent.

Pour y remédier, les intervenants citent notamment les campagnes de sensibilisation auprès de la population, la formation du personnel soignant sur ces questions, mais aussi que la question soit posée par l’assurance-maladie chaque année ou que la discussion soit entamée par le médecin traitant. «Le travail d’information est important pour sauver des vies», soulève Stève Bobillier. Il serait la voie pour une déclaration volontaire permettant, selon Frank Mathwig, de «protéger et garantir la dignité, la liberté, les droits personnels de la personne. On donne aussi au receveur et au personnel soignant la certitude que le don est souhaité par le défunt, et on soulage les proches d’une décision douloureuse». Et d’ajouter que «le consentement explicite permettrait d’encourager durablement la confiance dans le don d’organes et ainsi conduire à davantage de dons».