Des pratiques qui reflètent les dépassements humains

Des pratiques qui reflètent les dépassements humains / ©iStock
i
Des pratiques qui reflètent les dépassements humains
©iStock

Des pratiques qui reflètent les dépassements humains

Sens
Le rite: un moyen d’agir sur des événements sur lesquels nous n’avons pas de prise. Ses évolutions, y compris religieuses, témoignent de la capacité humaine à faire sens de toutes les expériences de vie.

La bénédiction des animaux ne se pratique dans le culte protestant que dans certaines paroisses, et depuis quelques années seulement. A l’inverse, d’autres pratiques religieuses sont en voie d’extinction. Comment expliquer l’apparition et la disparition de rites, leurs évolutions? Il n’y a pas de société humaine sans rites. «Les plus anciennes traces d’offrandes aux morts, par exemple, ne peuvent pas s’expliquer par des motivations uniquement utilitaires ou économiques», estime Raphaël Rousseleau, professeur à l’Institut d’histoire et d’anthropologie de l’Université de Lausanne (UNIL). Un rite a toujours pour fonction «d’élargir l’espace opératoire d’action» de l’humain, «là où l’agir ordinaire n’a pas de prise», analyse Silvia Mancini, professeure honoraire de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UNIL. Humaniser, transformer, contrôler ce qui nous dépasse et les moments de passage qui nous rendent vulnérables (naissance, mariage, décès), et apporter un surcroît de sens: voilà la fonction du rite.

Répondre à des attentes

Et c’est justement lorsqu’une pratique collective «ne fait plus sens» pour un individu ou un groupe qu’elle peut être amenée à disparaître, estime Raphaël Rousseleau. A l’inverse, d’autres font leur apparition. A ce jour: pratiques chamaniques, mariages néo-païens, cérémonies wicca ou inspirées de traditions féministes, intégration d’aspects écologiques… «Cela ne signifie pas que les personnes qui y font appel croient nécessairement à des dieux néo-païens. Ces choix plus personnels répondent simplement mieux à leurs attentes spirituelles», selon Raphaël Rousseleau.

Par rapport à la tradition catholique, dans le protestantisme, «le rituel a une portée plutôt symbolique», estime Jean-Christophe Emery, directeur de l’institut Cèdres Formation. Cette plasticité, issue d’une «souplesse théologique» protestante, amène une certaine liberté du côté réformé pour adapter les traditions. Une souplesse qui ouvre la voie à des innovations: le groupe «Des étoiles dans le cœur», au sein de l’Eglise protestante vaudoise, a ainsi lancé un tissage collectif de couvertures pour accompagner les couples affrontant un deuil périnatal. 

Surinvestissement de l’individuel

Mais cette souplesse se heurte à un écueil de taille: un certain «conservatisme sociologique», analyse Jean-Christophe Emery. Ce qui explique que des rituels innovants ne sont pas forcément adoptés largement, mais plutôt dans des contextes spécifiques. Enfin, ces adaptations sur mesure posent la question du collectif. Un rite «remplit toujours des besoins psychologiques individuels», remarque Silvia Mancini. Mais il marque aussi l’appartenance à une communauté. Et cette dimension collective s’érode, évidemment, face à une société de plus en plus individualiste. Reste que pratiquer le rite ne peut se faire seul et «suppose déjà de faire appel à un tiers, donc au collectif», souligne Jean-Christophe Emery.

Enfin, si cette dimension est négligée par certains groupes, elle reste très signifiante pour d’autres. Chercheuse en études du genre et sociologie à l’UNIL, Marta Roca Escoda observe ainsi combien le mariage des couples de même sexe est investi par ces derniers, notamment en Espagne, où les cérémonies sont rendues fortement visibles… «Le mariage et ses codes sont repris parce qu’ils marquent une reconnaissance, pour une population qui n’y a pas eu accès jusque-là. A travers le rite, ils se fondent ainsi dans la ‹normalité›. Tout en revendiquant leur différence.»