Faire les cent pas stimule la réflexion

Faire les cent pas stimule la réflexion / ©iStock
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Faire les cent pas stimule la réflexion
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Faire les cent pas stimule la réflexion

Jacques Cornuz
D’Aristote au IVe siècle av. J.-C. jusqu’à Nietzsche, qui prônait que «les seules pensées valables viennent en marchant», plusieurs penseurs ont associé marche légère à concentration et créativité. Un point de vue fondé médicalement?

L’association entre marche et réflexion ou méditation est-elle fondée?

Je ne suis pas spécialiste en neurosciences, ma perspective est celle d’un médecin généraliste universitaire. Je suis aussi formé en médecine communautaire et santé publique. La marche est clairement associée, d’un point de vue médical, à des bienfaits somatiques et mentaux pour plusieurs raisons. La première, c’est parce que naturellement on est faits pour marcher. Notre physiologie a été conçue pour que le corps soit en mouvement, à l’exception du moment où il se repose pendant la nuit. Marcher, c’est donc faire plein usage de son corps naturellement. C’est pour cela que la marche est bonne pour le corps et l’esprit. C’est intrinsèque à notre physiologie humaine.

Deuxièmement, la marche, comme toute activité physique ou mentale, du moment qu’elle est associée à l’absence de difficulté, peut générer un plaisir. En anglais, on parlerait de rewarding, c’est-à-dire ce plaisir au sens d’équilibre, de bien-être. Cette activité déclenche en effet la production de différentes hormones dont la fameuse dopamine, hormone du plaisir. Même si je vous ai dit ne pas être spécialiste en neurosciences, je connais plusieurs études mesurant marche et production de dopamine, par exemple.

Et troisième élément, la marche est associée à une diminution des survenues de maladies, que ce soit le cancer, la dépression, les maladies cardiaques. Et ce qui est intéressant c’est que le lien entre bénéfice et intensité de l’exercice suit une courbe qui progresse rapidement à l’origine et s’aplatit par la suite. Donc le bénéfice pour la santé ne plus être sédentaire et de marcher est énorme comparativement au fait d’augmenter ces efforts sportifs en passant de la pratique de la course sur 20 km au marathon.

D’où l’intérêt d’intégrer un peu d’activité dans son quotidien?

Oui, c’est pour cela que je me suis intéressé à la «marchabilité» de l’espace construit. Ce que l’on vise, c’est que les sédentaires bougent, même parfois sans s’en rendre compte ! Il faut retrouver un environnement favorable à la marche, y compris dans les espaces construits ou dans les lieux de travail. C’est beaucoup mieux que de dire «vous devez faire 10 000 pas par jour» ou de fixer tel ou tel objectif difficile à atteindre. Car, dans ce cas, vous risquez de susciter de la résistance alors qu’une des clés reste la régularité. Il vaut mieux faire 4000 à 6000 pas par jour que d’être sédentaire 5 à 6 jours par semaine et faire un jogging de deux heures le dimanche, avec le risque que vous abandonniez cette seule activité hebdomadaire par la suite. Quand on veut faire modifier des comportements, il faut rouler avec les résistances. Pareil pour les personnes craintives en raison d’arthroses, toute activité physique que l’on peut introduire en tenant compte de ces difficultés sera d’autant plus intéressante qu’elle pourra s’inscrire dans la régularité.

Et vous? Quelle est votre pratique de la marche?

J’ai la chance d’avoir un grand bureau et c’est vrai que quand j’ai reçu votre demande d’interview, je me suis rendu compte que spontanément je me suis levé pour réfléchir. Et je me rappelle que, étudiant, j’allais tous les jours faire une pause avec un camarade en marchant autour des bâtiments, là aussi c’est quelque chose qui s’était fait assez naturellement. Par contre, j’ai suivi, il y a de nombreuses années, une introduction à la méditation avec un aumônier de l’université et cette forme de marche lente me demandait vraiment un effort. Ce n’était pas un rythme qui me convenait.

 

Jacques Cornuz, directeur du Centre universitaire de médecine générale et santé publique Unisanté.

Jacques Cornuz

Est-ce que vous faites les cents pas quand vous réfléchissez?

«Même en me brossant les dents! Quand on bloque sur un problème, on est empêtrés dans le mental. La marche et le mouvement qu’elle implique permettent de redescendre dans le corps et de lâcher le mental.»
Joëlle Richard, auteure et metteure en scène, Fribourg

«Je fais les cent pas dès qu’il s’agit d’être créatif et de chercher une solution.»
Michael Perrot, photographe et vidéaste, Genève

«Hier encore, j’ai dû faire 15 km sur ma terrasse pour écrire un poème… en plus, je me parle à haute voix, ça peut inquiéter les passants.»
Baptiste Feltin, auteur, Leysin (VD)