L’église s’enflamme pour la Réforme

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L’église s’enflamme pour la Réforme

Installation
L’église Saint-François à Lausanne accueille une installation de l’artiste Sandrine Pelletier. Nonante-cinq échelles calcinées et deux vitraux incandescents évoquent la naissance du protestantisme, en écho à notre société actuelle.

Tels les vestiges d’un événement passé encore fumant et odorant, nonante-cinq échelles calcinées habillent l’église Saint-François, au cœur de Lausanne. Les bancs de bois ont été extraits de l’édifice de pierre pour laisser s’exprimer l’art. A l’occasion du jubilé de la Réforme et à l’invitation de l’Association hospitalité artistique à Saint-François, l’installation avant-gardiste 9.5 sur l’échelle de Luther, de l’artiste Sandrine Pelletier, fait écho aux prémices de ce mouvement, tout en étant cruellement actuelle.

Reflets d’aujourd’hui

Les échelles noires, dont les plus hautes atteignent seize mètres, s’entremêlent dans l’église pour souligner des points particuliers et choisis du lieu, à l’image de celles qui sont placées dans le chœur, avec un effet graphique et esthétique voulu par l’artiste. «Ces échelles ne sont plus praticables. C’est à la fois la fragilité et la prise de risque qui sont ici représentées», explique Sandrine Pelletier qui a eu carte blanche pour ce projet. L’artiste y voit le miroir de notre actualité: un monde dans lequel la décrépitude des choses et les accidents sont très présents.

Au premier regard, les visiteurs croient arriver dans un chantier où l’on décèle des notes de chaos. Certains seront dérangés, choqués peut-être. Mais pour Sandrine Pelletier, son œuvre n’est pas provocatrice. Elle interpelle, pousse à la prise de conscience, «c’est le rôle de l’artiste», affirme-t-elle.

«L’église était pour moi le dernier lieu dans lequel les règles étaient respectées, un dernier refuge au cœur de la vie et, comme ici, au cœur de la ville. Et puis j’ai vu des églises coptes détruites en Egypte. J’ai un atelier au Caire et ai été très touchée par ces événements», explique-t-elle.

Son installation exprime le côté sombre de la société qu’elle perçoit au — tour d’elle et qui l’émeut. Métamorphoser son environnement est au cœur de l’œuvre de Sandrine Pelletier. Un travail qui a d’autant plus de sens que la Suisse est un «cocon protégé».

Résonances théologiques

Reflet de son regard réaliste sur notre société et teinté d’émotions, l’installation de Sandrine Pelletier est un écho à la Réforme. Elle s’inscrit dans le cadre de cette année de jubilé. Nonante-cinq: c’est le nombre de thèses placardées par Luther sur les portes du château de Wittenberg. Des thèses qui dénonçaient notamment le trafic d’indulgences de l’Eglise catholique au XVIe siècle.

La Réforme est l’expression d’une révolte contre l’autorité. Un mouvement de rupture, de protestation et de revendication intemporel et universel dans lequel l’artiste n’a aucune peine à se retrouver.

Le visiteur est donc renvoyé bien loin de la vision romantique de la Réforme. Initié par Luther, ce mouvement a affirmé ses convictions au travers d’hommes et de femmes qui ont risqué leur vie.

Si l’artiste a fait son catéchisme et sa confirmation avant de s’éloigner de l’Eglise, elle ne renie pas une certaine pudeur et sobriété toute protestante, qui la caractérise. Pour réaliser cette installation, Sandrine Pelletier a dû se plonger dans ce mouvement révolutionnaire pour en percevoir l’histoire et les enjeux. Une découverte qui l’a passionnée tout autant qu’étonnée par son apparente proximité avec notre présent. «La Réforme a quelque chose de terrifiant. Elle a aussi trouvé son origine dans la colère, la violence et le feu. On a notamment brûlé des gens et des bibles devant les églises», évoque-t-elle.

 

La Réforme a quelque chose de terrifiant
Sandrine Pelletier, artiste

Et malgré tout, les échelles s’élèvent vers le ciel, comme un message d’espoir qui fait écho à ce que l’artiste observe de plus en plus: la naissance d’un esprit collectif, d’une solidarité chez les gens à travers des initiatives locales. Le prisme du verre

L’installation compte aussi deux vitraux, au nord de la nef. Ces verrières en verre soufflé transparentes et «losangées» sont les témoins d’une architecture typiquement franciscaine. En jouant avec un double vitrage, l’artiste crée un effet d’optique tout en volume. Le vitrail traditionnel et figuratif semble couler le long des baies. Incandescent, comme de la lave en fusion, les couleurs se mélangent et l’image disparaît. Une réponse à la volonté toute protestante de non-représentation et de non-idolâtrie iconique.

 Le feu comme moteur

«Les grandes réformes sont nées par accident», explique l’artiste. "L’accident": Sandrine Pelletier connaît bien ce thème, car elle en a fait son langage artistique. Elle le lie au feu, une matière «primitive et processionnelle, remplie d’une énergie», et qu’elle se plaît à travailler. Le bois calciné, le verre fondu et brisé: elle pousse les matériaux de base dans ses retranchements. «Mes plus belles pièces ont émergé lorsque je n’étais plus en contrôle. Je fais quelque chose de ces imprévus en tentant de maîtriser l’accident et le feu.» Un processus en écho à la Réforme, qui a peu à peu été domestiquée.

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