«Le théâtre, une manière de se mettre en route»

Christian Vez et Michel Durussel. / ©Camille Andres
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Christian Vez et Michel Durussel.
©Camille Andres

«Le théâtre, une manière de se mettre en route»

Engagement
Pasteurs et férus de théâtre, ils préparent chacun un spectacle sur l’écologie à découvrir cet automne. Réformés a réuni Michel Durussel et Christian Vez autour d’une question: peut-on faire passer ses convictions écologiques sur scène?

Ils ont partagé la scène en 2018-2019 avec Les écolos anonymes, projet de théâtre-forum questionnant nos dissonances cognitives. En 2021-2022, ils ont collaboré sur un second projet, Et si tout n’était pas joué, qui touchait à l’éco-anxiété. Désormais, Michel Durussel et Christian Vez portent chacun leur propre projet. A Echallens, Christian Vez monte pour novembre 2023 Eloges du Vivant, spectacle musical et théâtral qui verra dialoguer François d’Assise, auteur du Cantique des Créatures, avec une jeune femme du XXIe siècle, Claire de Goumoëns. Aux Terreaux, pour mars 2024, Michel Durussel peaufine Exode 2024, qui revisite l’histoire biblique avec un regard écologique. L’équipe est essentiellement composée d’amateurs, et impliquera des choeurs, une école de danse, des montages vidéo (voir www.re.fo/theatre).

Vous préparez chacun un projet théâtral autour d’enjeux écologiques. Comment sont-ils nés?

Michel Durussel Je crois que c’est une continuité avec les projets précédents. Si on est sensible à cette question-là, on n’en a jamais fini…

Christian Vez Idem, c’est une continuité, avec des thèmes et des personnes que je connais. C’est la musicienne Juliane Dind, avec qui j’avais collaboré sur différents projets, qui a donné l’impulsion de ce projet, à son retour d’une retraite à Assise. Son désir était de s’inspirer du Cantique des Créatures pour allier théâtre et musique. Nous avons recontacté alors le musicien Yves Hürlimann, troisième complice de notre trio créatif. On s’est dit: huit-cent ans après son écriture, que peut nous dire ce cantique, marqué par l’émerveillement? D’où l’idée d’introduire une figure contemporaine, sorte de Greta Thunberg du Gros-de-Vaud… Peut-on encore s’émerveiller face aux menaces constantes sur le vivant? Quelle attitude tenir envers ceux qui le massacrent?

M. D. En remplacement dans la paroisse de Saint-Jean, dont l’une des responsables est formée au label Coq vert, j’ai été sollicité par une paroissienne pour lancer un spectacle. Il m’a paru important de créer un projet étoffé, avec une participation plus large, autour de la transition. La trame de l’Exode m’est rapidement apparue: nous avons une sortie à faire d’un monde mortifère et marqué par les catastrophes pour aller vers quelque chose de plus apaisé, respectueux du vivant. J’ai repris ce motif avec un Moïse moderne, sous les traits d’une jeune femme qui a vécu un trauma et rêve d’une forme d’exode. Le tout est construit à partir des émotions que nous traversons : peur, angoisses, émerveillements, gratitude, colère… L’idée est de se réveiller pour dire qu’il est temps d’agir. Nous construisons d’ailleurs un partenariat avec des associations actives dans la transition écologique pour montrer au public des possibilités d’action.

Le théâtre-forum vient du théâtre de l’opprimé, qui aide les populations à trouver des solutions concrètes

La scène, l’art, est-ce le bon lieu pour un engagement environnemental?

C. V. Le théâtre, c’est éminemment politique! Le théâtre-forum vient du théâtre de l’opprimé, qui aide les populations à trouver des solutions concrètes. Mais d’autres formes restent tout aussi engagées. Aujourd’hui, les gens sont désarçonnés. La réalité fait peur. Et l’incitation est grande. Par une fiction, on peut faire se rencontrer des imaginaires à des siècles d’écart et offrir des pistes, ouvrir des perspectives. On ne milite pas pour un programme, mais pour dire qu’il y a des ressources spirituelles face à l’avenir effrayant.

M. D. Le théâtre, c’est une manière de mettre en route. Dans cette question climatique, il y a une forme de plafond de verre: on se dit qu’il faudrait faire et on ne fait pas. Le spectacle permet de visualiser, sentir, incarner et faire passer les émotions pour agir. On est paralysés par la peur. Il faut montrer autre chose. Le politique, c’est clivant. La narration permet de donner une vision, de montrer vers quoi on veut aller.

Est-ce à dire que d’autres lieux, comme l’Eglise, échouent à prendre en charge ces peurs?

C. V. On n’est pas antagonistes, mais complémentaires. D’ailleurs, le Laboratoire de transition intérieure nous soutient. Le protestantisme, c’est très intellectuel. Beaucoup de gens comprennent les problèmes, mais cela ne les fait pas bouger. Lorsque je prêche sur cette thématique, je me demande comment rejoindre les émotions de mes paroissiens. C’est à partir de là que l’humain se met en route…

M. D. Travailler avec des paroissiens qui deviennent acteurs, c’est aussi leur donner un rôle, les rendre actifs. Car que nous propose-t-on à l’Eglise, hormis d’écouter des choses? Les deux sont complémentaires. Et le théâtre est présent dans notre Eglise depuis longtemps: La Marelle, Les Terreaux, le théâtre à l’Eglise… Allier les deux est ma passion, l’un nourrit l’autre.

Comment renouveler les imaginaires?

M. D. Par l’humour, faire sourire, rire sur les absurdités du monde. Et trouver un émerveillement… Quelque chose nous attend malgré la traversée du désert.

C. V. Il faut oser faire une place aux émotions, notamment la peur. Dans l’écriture, cela donne des dialogues assez ouverts où chacun s’intéresse et se nourrit de la démarche de l’autre. Cela tisse quelque chose de fort…

Est-ce que des projets de ce genre ne parlent pas simplement aux convaincus?

C. V. C’est le risque! Faut-il ne rien faire? Nous avons aussi la volonté de nous adresser à ceux qui connaissent l’impuissance, le burn-out militant. J’ai arrêté de me dire que je parlais au peuple vaudois tout entier en tant qu’homme d’Eglise. Encourager et nourrir les personnes impliquées est important aussi.

M. D. J’essaie avec ce projet d’associer d’autres milieux, qui amènent leur public, de créer une émulation. Les Terreaux joue justement ce rôle d’interface entre l’Eglise et ce qu’il se passe ailleurs.

Qu’est-ce que la tradition chrétienne apporte de spécifique sur ce thème?

C. V. L’écospiritualité nous montre que nous avons de vraies ressources à faire connaître et mettre en oeuvre. François d’Assise a un rapport renouvelant au monde, il parle toujours aux gens aujourd’hui.

M. D. Et si… a été donné dans des hautes écoles et c’était intéressant de voir combien les étudiants se sont pris au jeu et ont exprimé des retours très spirituels.

Au centre de vos deux spectacles: une jeune femme. Pourquoi écrire ce rôle?

M. D. Les femmes ont une autre approche de ces sujets, axée sur le soin, l’attention à ces thématiques, la volonté d’avoir une autre relation que la domination. Je ne voyais pas d’autre possibilité qu’un personnage féminin en réfléchissant au sujet. Et en ouvrant la participation, 80% des personnes qui se sont manifestées étaient des femmes. J’ai aussi une fille, très engagée, qui a fondé XR Familles: elle est un peu un exemple pour moi…

C. V. Partant d’un personnage masculin, il était évident qu’il dialogue avec un alter ego féminin. Juliane Dind a relu le texte avec beaucoup d’attention et corrigé certains passages qui pouvaient paraître paternalistes: ce n’est pas le sage François qui explique à la brave Claire…

Et quelle est votre propre démarche carbone?

M. D. On essaie d’être low cost, on s’interroge sur la possibilité ou non d’un programme papier. Lors de nos journées de travail, on réfléchit à l’alimentation, à la vaisselle, on évite les déplacements…

C. V. L’idée même du spectacle dans sa scénographie et son décor est simple et sobre, l’inverse ne nous viendrait même pas à l’idée. C’est une question de cohérence, pas un sacrifice.