«Les chrétiens ne sont plus les bienvenus en Israël»

L'église orthodoxe grec Porphyrius après une nuit de bombardements à Gaza, le 20 octobre 2023. / Keystone
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L'église orthodoxe grec Porphyrius après une nuit de bombardements à Gaza, le 20 octobre 2023.
Keystone

«Les chrétiens ne sont plus les bienvenus en Israël»

Alors qu’Israéliens et Palestiniens se disputent les territoires de la Terre sainte, qu’en est-il de la situation des chrétiens au cœur de ce conflit? Interview avec l’évêque protestant Sani Ibrahim Azar, responsable de l’Eglise évangélique luthérienne en Jordanie et en Terre sainte qui gère des paroisses des deux côtés de la ligne de démarcation.

Ils vivent en Israël ou dans la bande de Gaza. Ils ne sont pourtant ni juifs ni musulmans, mais chrétiens, pris en étau au cœur d’un conflit qui ne leur appartient pas. Alors qu’Israéliens et Palestiniens revendiquent leur lien à la Terre sainte, beaucoup d’entre eux s’interrogent sur leur possibilité d’avenir en tant que minorité sur ces terres ancestrales.

D’origine palestinienne et établi à Jérusalem depuis une trentaines d’années, l’évêque protestant Sani Ibrahim Azar dirige l’Eglise évangélique luthérienne en Jordanie et en Terre sainte. La réalité, il la connaît des deux côtés de la ligne de front, son Eglise étant présente aussi bien en Israël (Bethléem, Jérusalem) que sur le territoire palestinien (Ramallah, Beit Sahour ou Beit Jala). Interview.

Comment les chrétiens, d’Israël et de Gaza, vivent-ils l’embrasement actuel du conflit israélo-palestinien?

Palestiniens ou Israéliens, nous sommes tous habitués à vivre avec ce conflit permanent, mais nous n’avons jamais connu pareille escalade. Toutes obédiences confondues, entre 800 et 1000 chrétiens vivent dans la bande de Gaza. Il y a quelques jours, un hôpital chrétien et une église ont été attaqués. La communauté chrétienne déplore déjà une trentaine de morts.

Comment les chrétiens sont-ils perçus de part et d’autre? Sont-ils assimilés à l’un ou l’autre, ou considérés en fonction de leur nationalité ou lieu de résidence?

La grande majorité des chrétiens vivant en Israël sont Palestiniens. Cela dit, d’un côté comme de l’autre, les chrétiens s’identifient au reste de la population: ils se sentent Israéliens ou Gazaouis. Ce sentiment est d’autant plus fort depuis ces dernières semaines dans la bande de Gaza: Palestinien chrétien ou musulman, il n’y a plus aucune différence. La riposte menée actuellement est contre tous les Palestiniens: les combattants, les enfants ou les personnes âgées.

Vous-même, vous êtes Palestinien et habitez en Israël. Comment vivez-vous cette double identité?

J’habite et travaille à Jérusalem depuis une trentaine d’années. Jusqu’à il y a peu, les chrétiens vivaient en Israël sans aucune pression particulière. Nous disposions des mêmes droits et pouvions pratiquer notre foi sans aucun problème. Les choses ont cependant changé avec la mise en place, en début d’année, d’un nouveau gouvernement. Depuis, nous ressentons que nous ne sommes plus les bienvenus en Israël.

Depuis que l’extrême droite est au pouvoir, les agressions à l’endroit des chrétiens sont en forte augmentation

Comment cela?

Depuis que l’extrême droite est au pouvoir, les agressions à l’endroit des chrétiens sont en forte augmentation, les attaques contre les églises et les cimetières chrétiens se multiplient. Nous assistons à un bouleversement des relations entre juifs et chrétiens; nous n’avions jamais vécu pareils événements auparavant. De fait, de nombreux chrétiens s’interrogent sur leur avenir, notamment dans le cas où Jérusalem devenait la capitale d’Israël. Y aurions-nous encore notre place? Est-ce que cela sera encore notre terre, ou devrons-nous trouver un autre pays pour nous installer? Beaucoup réfléchissent à partir, leur futur ici n’étant plus assuré.

Le gouvernement israélien ne défend-il pas vos droits?

Avec les représentants des autres Eglises du pays, nous avons écrit à plusieurs reprises pour dire notre inquiétude et demander à ce que l’Etat prenne en considération notre situation, qui devient de plus en plus compliquée. La police et la municipalité nous ont répondu favorablement, qu’ils allaient veiller à notre intégrité, mais nous n’avons depuis constaté aucune amélioration.

Comment les choses ont-elles évolué depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre?

La situation est terriblement douloureuse pour chacun d’entre nous, tant du côté israélien que palestinien – mais pas spécifiquement pour nous en tant que chrétiens. Cependant, la crise actuelle aura des conséquences sur les relations qu’entretiennent juifs et musulmans en Israël. Peut-être pas de manière immédiate, mais la situation ne sera plus comme avant. De part et d’autre, la confiance est rompue. Tout le monde a peur et regarde l’autre de manière suspicieuse, se demandant ce qu’il peut bien être en train de préparer.

La charte du Hamas vise la suppression de l’Etat d’Israël. Qu’en est-il des chrétiens?

Les Eglises de Gaza font beaucoup pour la population. Elles gèrent des hôpitaux, des écoles ainsi que d’autres services de diaconie (les différents engagements sociaux des Eglises auprès des plus faibles, ndlr.) destinés à tous, musulmans ou chrétiens. Jusqu’à présent, et notamment pour cette raison, les chrétiens ont toujours été bien acceptés dans la bande de Gaza.

Les chrétiens peuvent-ils jouer un rôle dans ce conflit?

Il est plus facile d’avoir un rôle à jouer quand on n’est pas une minorité aussi petite! En Terre sainte, les chrétiens représentent moins d’1% de la population. Nous concentrons nos efforts sur l’éducation des enfants et des jeunes, avec près de 90 écoles en Israël et Palestine. Le philosophe israélien Martin Buber disait que le problème entre juifs et arabes, c’est qu’ils n’essaient pas de vivre ensemble, mais à côté les uns des autres. Or, nous n’avons pas d’avenir si nous n’essayons pas de nous parler. Il est nécessaire de comprendre que l’autre n’est pas un étranger: il est comme moi. Et aujourd’hui, la vie est impossible pour chacun de nous.

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Sani Ibrahim Azar, responsable de l’Eglise évangélique luthérienne en Jordanie et en Terre sainte
ZMÖ/ Nordkirche