Les dérives intégristes vues par un pédopsychiatre

Intégrisme et dérives sectaires / IStock
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Intégrisme et dérives sectaires
IStock

Les dérives intégristes vues par un pédopsychiatre

23 janvier 2002
Pédopsychiatre à l'office médico-pédagogique de Neuchâtel, Christian Müller a été amené dans son travail avec des jeunes à s’intéresser de près aux comportements pathologiques qui débouchent sur le fanatisme,les dérives sectaires et l'intégrismes religieux

Il nous livre ici son analyse. Et prône le courage d’affronter et d'apprendre à gérer les conflits plutôt que de se retrancher dans une complaisante tolérance. Dans son travail avec des jeunes, dont certains sont tentés par la mouvance skinhead et les mouvements néo-nazis, Christian Müller, pédopsychiatre, s’est intéressé aux comportements pathologiques qui poussent des personnes à déformer la réalité et à s’enfermer dans une pensée délirante.
Qu’est-ce qu’une pensée délirante?

C’est une pensée qui pousse à déformer la réalité et à s’enfermer peu à peu dans un délire de persécution. La personne abandonne la réalité et perd le contact avec les autres. Elle se fixe pour mission d’imposer aux autres ses convictions aveugles, «sa» réalité, quitte à les harceler, les manipuler, les culpabiliser et les menacer. Il lui faut prouver par tous les moyens qu’elle a raison. Cela devient une mission de vie. Cette attitude aboutit au terrorisme, à la destruction des autres et de soi.
Quelles sont les racines de ce comportement que l’on peut qualifier d’intégriste?

Les racines du terrorisme se trouvent dans le changement du monde. Une attitude intégriste est adoptée lorsqu’un changement socioculturel menace l’intégrité psychique et sociale d’une personne ou d’une communauté. Il s’agit d’une tentative d’arrêter le cours de l’évolution en revenant à des valeurs et des mœurs archaïques révolues. Etant donné que ces valeurs ne sont plus en adéquation avec les pratiques contemporaines, elles prennent une tournure rigide et deviennent absolues.

Les convictions prennent la tournure de croyances aveugles et finissent par ressembler à ce qui a été désigné sous le terme de pensée autistique, proche de la pensée délirante, faite d’un mélange de mégalomanie, de délires de persécution et de superstition. Cette forme de réaction est adoptée lorsqu’une personne se sent menacée dans ses privilèges. Elle se met alors dans une position de toute-puissance, évitant ainsi de se confronter à son incapacité à gérer la réalité.

Toute critique est vécue comme une menace

La pensée autistique est caractérisée par une foi aveugle, typique du fanatisme. Elle ne se laisse comparer à aucun autre point de vie et ne peut être remise en question. Toute critique est vécue comme une menace.

Les personnes qui ont une pensée délirante se sentent soit incomprises et persécutées, soit toutes puissantes. Elles ont tendance à s’organiser avec des pairs qui adhèrent totalement à leurs croyances (mouvements totalitaires et/ ou sectaires), elles se vivent comme une élite. Leur foi est pour elles synonyme de vérité absolue.
Quand une communauté religieuse glisse-t-elle dans l’intégrisme?

Une communauté religieuse devient intégriste lorsque les changements de société sont vécus comme menaçant d’anciens privilèges et surtout la manière traditionnelle de structurer les rapports familiaux (rapports entre homme-femme, père-fils, père-fille, clan paternel-clan maternel) hiérarchiques et sociaux.

Quand la société se laïcise, certaines communautés se sentent menacées et adoptent des comportements de compensation pour maintenir leur intégrité. Elles essaient de retourner à des valeurs anciennes et de les fixer en les rendant absolues, mais ces valeurs ne correspondent plus à une pratique sociale reconnue. Elles deviennent abstraites et se raidissent. Si une société se met à se rigidifier parce qu’elle se sent menacée de l’intérieur et de l’extérieur, elle peut en arriver à persécuter et exterminer les individus qui sont capables de changer leurs valeurs et leurs comportements pour suivre l’évolution de la société.
Qu'est-ce qui pousse certains individus à avoir des périodes de religiosité extrême?

L’individu a besoin de règles claires qui lui permettent d’anticiper, de connaître ses droits, de régler ses relations avec les autres. Les commandements religieux ainsi que les interdits moraux assurent une certaine protection, au moins aussi longtemps que tout le monde s’y tient. Ces codes religieux ou moraux garantissent à ceux qui les suivent un sentiment d’appartenance à un groupe qui accorde à ses adeptes une reconnaissance totale, une nouvelle identité, une mission, de la chaleur humaine.
Quelles sont les religions et confessions qui peuvent être concernées par l’attitude intégriste?

Toute religion qui exige une foi aveugle et pratique l’endoctrinement, c’est-à-dire que l’autorité religieuse prescrit ce que les humains doivent croire, quelles valeurs ils doivent adopter, comment ils doivent se conduire. Il serait juste de réhabiliter Thomas, le disciple de Jésus qui a eu besoin de toucher le corps du Christ ressuscité pour pouvoir croire en sa résurrection. Cela dit, il y a d’importantes différences entre les religions: toutes n’ont pas la conception de la liberté qu’a le christianisme, liberté qui est partie intégrante et essentielle de la foi. Même si le christianisme peut prendre des allures intégristes, dans son essence, il est porteur d’un message de liberté. Dans ce sens, il est une religion moderne, se prêtant mal à la dérive intégriste.
Comment réagir face au phénomène de l’intégrisme? Comment être tolérant avec les intolérants?

En face des revendications sectaires, intégristes et totalitaires, il ne suffit pas de lancer des appels à la tolérance, il faut être capable d’entrer en conflit et de se démarquer. Si être tolérant veut dire éviter le débat, on s’enfonce dans la complaisance et on laisse faire ceux qui sont sans scrupules. Dans l’Apocalypse, la tolérance est appelée « tiédeur » et traitée d’attitude malsaine. Le courage et la capacité de gérer des conflits sont bien plus nécessaires aujourd’hui que la tolérance.
Quelles réflexions menez-vous à propos des attentats du 11 septembre?

Nous sommes en pleine période de transformation socioculturelle, qui menace les gens dans leur identité. Les événements montrent que les hommes et les femmes d’aujourd’hui sont déstabilisés par ces changements profonds et réagissent comme la femme de Lot dans l’Ancien Testament: elle regarde en arrière au moment d’un grand changement socioculturel, regrettant les valeurs et coutumes traditionnelles qu’elle a lassées derrière elle. Elle na pas la force de regarder en face une nouvelle forme de vie et elle se rigidifie.
Le terrorisme a de beaux jours devant lui?

Tout dépendra donc de la question de savoir si l’humanité acceptera d’entrer dans ces transformations socioculturelles ou si elle tentera de s’accrocher aux valeurs traditionnelles. Dans ce cas, d’autres guerres et d’autres actes terroristes nous attendent. L’idée qu’il puisse n’y avoir plus de guerre implique qu’il n’y ait plus de conflit, d’injustice, plus d’égoïsme sur cette terre. C’est une belle utopie qu’ont cultivée les soixante-huitards.
Comment apporter aux enfants une religion ou une foi qui respecte leur liberté?

Il faut rappeler que les enfants apprennent en imitant les adultes. C’est donc notre attitude qui compte, pas la doctrine que nous prêchons. L’enfant utilise un autre langage que l’adulte : ce sont le jeu et le langage symbolique. Il a donc besoin que ses enseignants créent des conditions qui lui permettent de jouer, car c’est en jouant qu’il construit sa compréhension du monde. En ce qui concerne le sens moral et la conscience de l’enfant, Piaget a démontré que l’enfant peut quitter sa position égocentrique si, tout en jouant avec les autres enfants, il apprend à tenir compte des règles qui régissent la vie en groupe, à gérer les conflits, à apprécier la compagnie des autres et à collaborer avec eux.