Comment la BD et la toile crucifient Jésus

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Comment la BD et la toile crucifient Jésus

16 mars 2010
A l'Université de Lausanne, le cours public de théologie abordera cette année la crucifixion au cinéma et dans la bande-dessinée. Explications d'Alain Boillat, spécialiste de la représentation du Christ, avant sa conférence le 30 mars.

Jésus meurt sur la croix entouré d’une foule bruyante. Ses dernières pensées l’emmènent dans une rêverie. On le voit alors se précipiter dans les bras de Marie-Madeleine. Qui nettoie au plan suivant les plaies de la crucifixion sur le corps de son amant. Un Jésus humanisé illumine les yeux des cinéphiles cette année-là. Nous sommes en 1988.

La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese sort sur les écrans. Mais sur fond de scandale. Car cette interprétation de la mort de Jésus provoque des hauts-le-cœur du côté de l’Eglise. Et choque le public plaidant pour le respect des Evangiles...

Propos recueillis par Sandrine Perroud

Alain Boillat est maître assistant à la section d’histoire et esthétique du cinéma. Il récite la scène finale du film de Scorsese par cœur. C’est qu’il a décortiqué ces dernières années des dizaines d’interprétations de la vie de Jésus. Au cinéma, bien sûr, mais aussi en feuilletant les pages glacées des bandes-dessinées grand public. Le 30 mars prochain, il parlera de ses recherches sur les scènes de crucifixion. Son intervention clôturera le cours public de théologie intitulé « La croix dans tous ses états ». Qui a démarré le 23 février. Entretien.

Quels sont les enjeux de ce « spectacle » qu’est la mise à mort de Jésus ?


Alain Boillat : La crucifixion implique un véritable dispositif en mettant en présence le Christ sur la croix et les spectateurs issus du récit évangélique, tels que les apôtres, Marie et Marie-Madeleine. Et, bien sûr, le spectateur du film, qui épouse différents points de vue. Il y a aussi des figurants, comme les soldats romains, ou d’autres personnages totalement inventés, comme Ben Hur, ou cités dans la Bible, comme le voleur Barabbas. La crucifixion est un moment qui présente un fort potentiel d’attraction, tout en étant inscrite dans une longue tradition narrative et iconographique.

Au sujet de la tradition justement, quelle est la tendance : le respect du récit évangélique ou la libre interprétation ?


Les deux tendances coexistent. Mais les scénarios qui s’éloignent du récit traditionnel vont explorer généralement les marges des évangiles plutôt que de vouloir les réinventer. Ils se concentreront par exemple sur des personnages périphériques du récit ou sur les conséquences de la crucifixion.

Comment comprenez-vous ce choix ?


C’est une manière de s’émanciper de la tradition tout en la respectant... Le film Barabbas, par exemple, se focalise sur la culpabilité de ce voleur, sauvé de la crucifixion par Ponce Pilate, qui condamnera Jésus. Et La Vie de Brian des Monty Python tourne en dérision la crucifixion d’un personnage qui est en fait le « Jésus de l’étable d’à côté », Brian, tout en raillant l’attitude grégaire des fanatiques qui le suivent. Là aussi, il y a un déplacement.

Constatez-vous le même décalage dans la bande-dessinée ?

La BD a même beaucoup plus exploité les possibilités de variation des points de vue et des époques que le cinéma. Dans Le Triangle secret par exemple, la crucifixion n’occupe que quelques pages, le reste de l’histoire se jouant au Moyen Age et à l’époque contemporaine. Dans I.N.R.I, il faut noter qu’en dépit de la thèse selon laquelle Jésus aurait fait crucifier son frère jumeau à sa place, les scientifiques d’aujourd’hui assistent à la résurrection du corps de Jésus. De même dans le manga Jésus de Yasuhiko où nous optons pour le point de vue de l’un des voleurs crucifiés en même temps que le Christ.

Comment se raconte la crucifixion au cinéma ?

En tout, il existe quatre stratégies narratives. La version dite « directe » reprend des passages des évangiles et se passe à l’époque de Jésus. C’est le cas de La Passion de Mel Gibson, de La dernière tentation du Christ de Scorsese, de The Greatest Story Ever Told de George Stevens ou encore de Golgotha de Julien Duvivier. Ensuite, on parle de « crucifixion symbolique » dans des films qui ont recours au christomorphisme : les scènes se situent dans une autre époque que celle du récit évangélique, mais font référence au schéma de la rédemption.

Cette symbolique hante le cinéma hollywoodien. Ainsi le film Matrix met en scène une forme de crucifixion de « l’élu ». Spider Man 2 aussi : après avoir vu l’homme-araignée attaché à un métro les bras en croix, on assiste à une « déposition » de son corps et à une reconnaissance de son identité qui rappellent le récit christique. Un troisième type de narration est celui du récit indirect contemporain : c’est le cas du film Stigmata, qui montre l’apparition des stigmates sur le corps de l’héroïne.

Enfin, le cinéma a connu une mode du rejet « hors champ » de Jésus, suite à une loi anglaise des années 1910 qui interdisait la visualisation du Christ au cinéma. Durant la période 1925- 1960, Jésus sera donc constamment caché dans le cinéma hollywoodien. Nous n’en verrons au mieux que l’ombre ou le reflet. C’est la version de Ben Hur de 1925 qui a lancé cette mode.

Où trouve-t-on actuellement le plus de références à la vie de Jésus, au cinéma ou dans la BD ?

Sans conteste dans la bande-dessinée à très grand tirage, qui connaît une véritable inflation depuis les années 2000 en exploitant le motif du renversement des fondements du christianisme. Celui-ci s’opère sous la forme de révélations plus ou moins scientifiques et sur une dramatisation de complots ourdis dans les coulisses du Vatican. Cette mode a d’ailleurs précédé le célèbre Da Vinci Code de Dan Brown. Peut-être faut-il voir dans ce boum une réflexion « millénariste. ». Ces BD humanisent Jésus et abordent le religieux sur des bases scientifiques. Mais sans diminuer pour autant la part de mystère autour de la véritable histoire du Christ.

Cours public

Cours public de théologie, 30 mars, Anthropole, salle 2024, 18h30-19h30. Entrée libre. Dates des autres cours sur le même thème disponibles dans le mémento.

UNIL

Ce texte a été publié dans Uniscope, le mensuel de l'Université de Lausanne.