Shafique Keshavjee démissionne de la Faculté de théologie de Genève

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Shafique Keshavjee démissionne de la Faculté de théologie de Genève

22 avril 2010
Genève/Lausanne - Shafique Keshavjee démissionne de la chaire de théologie des religions et de dialogue œcuménique de la Faculté de théologie de Genève. Celle-ci reproche à l'auteur du livre, «Le roi, le sage et le bouffon », traduit dans une quinzaine de langues, expert du dialogue interreligieux et pasteur bien connu en Suisse romande, de «n'avoir guère développé de recherche académique» durant son premier mandat.

Par Tania Buri

« Je quitte un cadre de travail que j’ai été amené à considérer comme problématique à plus d’un titre et je refuse de cautionner les dérives que j’y perçois », a expliqué Shafique Keshavjee à ProtestInfo. Dans un livre qui paraît le 27 avril - Une théologie pour temps de crise. Au carrefour de la raison et de la conviction, aux éditions de Labor et Fides, le professeur expose son analyse de la crise actuelle des Facultés de théologie et aussi des pistes pour en sortir. « Ce livre, fruit d’une partie seulement des recherches de mon premier mandat, dément, si besoin est, le reproche infondé qui m’a été adressé ».

« On entend souvent dire que les Facultés de théologie sont en crise parce que les Eglises sont en crise, explique-t-il. Après ces quelques années à l'Université, je puis affirmer que si les Eglises sont en crise, c'est aussi parce que les Facultés de théologie le sont. Je regrette vivement qu’une réelle pluralité dans la manière d’être « professeur de théologie » ne soit pas reconnue et valorisée. »

Une théologie pour temps de crise

Les désaccords de Shafique Keshavjee avec la faculté genevoise sont fondamentaux. Elles portent notamment sur la perte d’une identité chrétienne de la théologie au profit de l’histoire, de la philosophie et des sciences des religions. « Dans une Faculté de théologie il devrait y avoir une pluralité de perspectives respectueuses des unes des autres. A Genève, je me sens à l'étroit. »

« Pour moi, c'est un milieu trop replié sur lui-même, d'abord sur la situation genevoise au détriment de la situation romande, trop crispé sur une façon de faire de la théologie alors que j'espérais plus de créativité». « Il y a des désaccords fondamentaux sur ce que doit être la théologie aujourd'hui», a poursuivi le théologien.

Il regrette aussi le peu d’ouverture réelle des Facultés de théologie aux défis pressants des Eglises et de nos sociétés au profit d’une sauvegarde de champs de recherche hyper spécialisés. « Ces derniers sont nécessaires, mais ne doivent pas évacuer les premiers. »

A son sens, l'apport de la théologie en ce temps de crise a une incidence vitale aussi bien sur le plan personnel que sur celui des collectivités. « Il en va de la pertinence de l'héritage judéo-chrétien », affirme-t-il, « qui depuis deux siècles dépérit en Occident, mais fleurit dans de multiples autres endroits de la planète. »

Constat cruel

Il estime qu'en démissionnant, il préserve une liberté de recherche, de parole et de silence « que le monde universitaire ne valorise guère ». Le constat est cruel. M. Keshavjee explique « avoir découvert un monde universitaire malade de son obsession de la quantité de publications ». Le fameux slogan « Publish or perish », il le résume finalement par « Publish and perish ». L'auteur, publié au Seuil, préférerait le slogan « Live and communicate ».

« La quantité d’articles n'est pas le seul élément, dont on doit tenir compte. La fécondité d'une parole pour la société, pour les Eglises est cruciale, estime-t-il. « Il y a aussi plusieurs manières d'être professeur. Certains sont uniquement doués pour une recherche très pointue. D'autres ont aussi la capacité d'avoir une parole plus ouverte, plus féconde, plus vaste d'une certaine manière. Et j'avais espéré que l'on laisse la place à cette pluralité de paroles. »

Faculté de théologie de Genève:
« Nous ne voulons pas personnaliser les divergences»


A la Faculté de théologie de Genève, le doyen affiche sa volonté de ne pas personnaliser les divergences sur la place de la théologie au sein de l'Université, même si «une démission n'est pas un acte innocent », a dit Andreas Dettwiler à ProtestInfo.

Les nominations de professeurs à l'Université de Genève sont désormais soumises à des renouvellements périodiques. Dans cette optique, le critère de la recherche et de la production scientifique est important. « La théologie doit jouer le jeu, car la recherche constitue la grande spécificité de l'Université. Dans un contexte de concurrence internationale, nous devons jouer la carte de l'excellence dans ce domaine comme les autres facultés », a poursuivi le doyen.

Contrairement à M. Keshavjee, M. Dettwiler considère que les Facultés de théologie ont pris très clairement le virage d'une « romandisation » des études. Et sur la question du rapport aux Eglises, il estime que les facultés sont dans une relation de 'solidarité critique' avec elles. « Nous sommes pour la plupart d'entre nous engagés dans différents organes au service des pasteurs et des Eglises » , a dit M. Dettwiler.
T.B.INFOS

  • M. Keshavjee a donné sa démission le 19 novembre 2009 du poste de professeur ordinaire de théologie œcuménique et de théologie des religions à la Faculté autonome de théologie protestante de l’Université de Genève. Cette démission sera effective le 31 décembre 2010.
  • Voir le communiqué sur le blog www.skblog.ch