L’essor des évangéliques ne menace pas les Eglises officielles

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L’essor des évangéliques ne menace pas les Eglises officielles

Gilles Bourquin
19 mars 2013
Une étude qui vient de paraître* analyse l’essor du phénomène évangélique en Suisse. Même si le poids relatif des évangéliques augmente au sein des protestants, leur croissance ne menace pas les Eglises historiques. Le point avec deux de ses auteurs, Jörg Stolz, professeur de sociologie des religions à l’Université de Lausanne et Olivier Favre, docteur en sciences sociales et pasteur d’une Eglise évangélique à Neuchâtel.
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, la VP Neuchâtel / Berne / Jura



Le triplement du nombre d’évangéliques en trente ans


Ce chiffre, qui a souvent été publié dans la presse, doit être interprété avec précaution, reconnaissent les deux auteurs, car il est possible que moins d’évangéliques déclaraient leur identité par le passé qu’aujourd’hui. Néanmoins, précisent-ils, il est surprenant que ce mouvement se porte bien et soit en croissance, alors que les églises historiques voient leur fréquentation décliner.



Un essor qui empiète peu sur les autres églises


Jörg Stolz et Olivier Favre se veulent rassurants: il n’y a pas à imaginer, dans les décennies à venir en Europe, de renversement religieux qui verrait la mouvance évangélique prendre la place des Eglises officielles multitudinistes. La croissance des évangéliques est trop faible pour cela, les deux formes d’Eglises vont continuer de se côtoyer. 



Le secret de la compétitivité des Eglises évangéliques


Elle tient, selon Olivier Favre, à deux facteurs: la capacité des évangéliques à transmettre à leurs enfants la foi chrétienne et le travail missionnaire d’évangélisation. La compétition n’est pas dirigée contre les autres Eglises, mais face à la société en général: «Les Eglises évangéliques réussissent à créer un sous-milieu dans lequel l’individu se sent bien. Elles produisent une offre attractive au niveau des loisirs proposés, des relations qui se créent, des mariages et des cultes qui se vivent.»

«Ce milieu est compétitif, renchérit son collègue, parce que ses frontières sont très fortes.» «Si un groupe religieux est trop strict et trop fermé, analyse Olivier Favre, il repousse l’extérieur et ne peut progresser, mais s’il est trop ouvert, il perd son identité et ne progresse plus.»



Origine et raisons d’un succès


«L’évangélisme n’est pas un phénomène américain, rappelle Jörg Stolz. Ses origines sont européennes! Les évangéliques sont à la fois très conservateurs sur le plan de la foi, des mœurs et de la morale sexuelle, et très modernes et libres en ce qui concerne les formes du culte et la manière d’évangéliser. C’est ce mélange qui fonctionne très bien, non seulement en Europe mais partout dans le monde.»

Pour Olivier Favre, il est certain que «les célébrations vivantes et dynamiques font concurrence aux célébrations classiques et tranquilles. Ce souci d’être en phase avec les aspirations culturelles et musicales du moment engendre aussi des tensions au sein du mouvement évangélique.»



Individualité, piété évangélique et contrôle social


«La foi évangélique est fortement individualiste, puisqu’elle part de la conversion individuelle, du témoignage, de la relation personnelle à Dieu et des émotions vécues, affirme en préambule Jörg Stolz. D’un autre côté, l’individu qui s’intègre dans une communauté évangélique doit suivre des normes.»

«Puisque ses amis et partenaires sont convertis, il s’ensuit un contrôle social. Lorsque l’individu ne correspond plus aux normes, s’il ne vit plus en couple, s’il divorce, s’il vit une relation extraconjugale, ça se sait et il aura des problèmes avec son Eglise.»



La pression du groupe face à l’individu


Le pasteur Olivier Favre précise que les contraintes peuvent paraître plus rigides qu’elles ne le sont en réalité. Lors d’une soirée de louange, si le prédicateur invite l’assemblée à lever les mains pour adorer Dieu, ceux qui ne l’imitent pas ne se sentent pas mal à l’aise. Le pasteur reconnaît cependant qu’une pression peut être ressentie par certains individus. Jörg Stolz confirme que «ce sont surtout les désaffiliés qui disent qu’il y a des contraintes.»



L’image des évangéliques en Suisse


Elle est plutôt négative, selon les deux chercheurs, ce qui rend le succès du milieu évangélique encore plus étonnant. «En fait, dit Jörg Stolz, toute religiosité forte et convaincue est vue comme potentiellement douteuse dans la société moderne et peut engendrer la crainte du sectarisme.» «Cette image peut changer au travers d’une rencontre avec un croyant évangélique, indique Olivier Favre. La force des évangéliques est d’être capables de convaincre, même en insistant, car ils sont convaincus de leur foi.»



L’évolution de l’évangélisme


Si «en trente ans, la doctrine évangélique n’a pas beaucoup évolué, les jeunes évangéliques acceptent plus volontiers l’égalité des sexes, constate Jörg Stolz. C’est une évolution très importante.» Olivier Favre reconnaît que «la croissance des évangéliques ne compense pas la déchristianisation de l’Europe.»

Plus globalement, observe Jörg Stolz, «les évangéliques européens ressemblent à leurs homologues américains, bien que ces derniers soient politiquement plus à droite, alors que les réformés européens sont plus libéraux que leurs homologues américains.» Cette complexité interne du protestantisme, qui remonte à la Réforme du XVIe siècle, est donc appelée à durer. Des courants plus conservateurs et d’autres plus libéraux continueront de stimuler le débat intraprotestant, en laissant à chaque croyant le soin d’affiner ses convictions personnelles.



*«Le phénomène évangélique. Analyses d’un milieu compétitif», Jörg Stolz, Olivier Favre, Caroline Gachet et Emmanuelle Buchard, Ed. Labor et Fides, janvier 2013, 344 p.

**Après un débat mercredi dernier à la Fusterie de Genève, un nouveau débat est agendé ce soir mardi 19 mars au Sycomore (derrière l'Espace des Terreaux) à 18h30 avec l'un des auteurs Jörg Stolz, également doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Lausanne.