La théologie protestante s’attaque à l’exorcisme

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La théologie protestante s’attaque à l’exorcisme

Laurence Villoz
8 avril 2013
Délivre-nous du mal, le dernier ouvrage du théologien français Raphaël Picon* aborde des sujets rarement traités dans le protestantisme. L’exorcisme, le diable, les démons, quelle attitude l’église réformée doit-elle avoir face aux demandes de rites de délivrance? (Photo: Détail d'une gravure du Compendium Maleficarum. Guazzo Francesco-Maria, Milan, 1608)«J’ai voulu montrer qu’il n’y avait pas de sujet tabou dans le protestantisme», explique Raphaël Picon, auteur du livre Délivre-nous du mal, Exorcismes et guérisons: une approche protestante. Le doyen de l’Institut protestant de théologie (IPT) de Paris souligne aussi une recrudescence des demandes d’exorcismes auprès des pasteurs.

Une enquête, datant de 2006, auprès de la moitié des pasteurs en France a montré que 80% d’entre eux avaient dû faire face à des demandes de rites de guérison** et 20% à des demandes de rites de délivrance. «Le protestantisme est démuni face à ces requêtes, il y a un vide théologique», constate le rédacteur en chef du mensuel Evangile et liberté.

Son livre propose une réflexion sur le diable, le mal et les démons ainsi qu’une démarche d’accompagnement auprès des personnes qui sollicitent l’église réformée pour des rites de délivrance et de guérison. Cet ouvrage est principalement destiné aux pasteurs. «L’église protestante doit être en mesure d’aider les personnes qui se sentent «possédées par le diable» et qui sont dans une situation de profonde souffrance», explique le théologien. Un cheminement avec le demandeur basé sur l’écoute, la prière et la lecture de la Bible vient ainsi déjouer sa perception d’être victime d’une possession.

Comment définir le diable?

« [Le diabolique] est ce qui, dans le sujet même, lutte contre lui, résiste en lui pour l’empêcher d’accéder à sa pleine vérité et de surmonter ce qui l’empêche de s’épanouir»***, peut-on lire dans Délivre-nous du mal. Pour le théologien, il s’agit de «démythiser le langage du diable», de prendre conscience «des réalités que désigne le mot diable». Rejoignant la pensée du théologien allemand Paul Tillich, Raphaël Picon considère le démoniaque comme ce qui rompt la distance entre le mot et la réalité.

A partir de cette définition du diabolique, l’exorcisme consiste «à faire sortir du mot diable la réalité mauvaise qu’il désigne». Pour la personne qui se croit «possédée», «le rite est fondamental car il offre un cadre légitime qui va permettre la libération». Le théologien a néanmoins renoncé à proposer des rites prédéfinis car il estime que chaque demandeur doit découvrir son propre cheminement de libération accompagné par le pasteur.

Un cheminement libérateur

«Le cheminement est très important tout comme la dimension communautaire», souligne Raphaël Picon. En s’inscrivant dans un cadre religieux défini, cette démarche ne pose pas le pasteur comme un «gourou qui aurait un pouvoir magique». De plus l’accompagnement par la discussion et le partage est un processus qui permet au demandeur de construire sa «libération».

La plupart des personnes qui font des demandes d’exorcismes ou de rites de guérison sont issues de la culture africaine, malgache ou d’Amérique du Sud. «Mais pas seulement, ces demandes viennent d’horizons de plus en plus divers», précise le doyen de l’IPT. Néanmoins «une grande précarité sociale» se retrouve chez la majorité des demandeurs. «Ces personnes n’ont souvent pas accès aux soins physiques et psychiques dont elles auraient besoin et l’Eglise est leur ultime recours».

«Certaines de ces personnes pensent aussi être victimes d’une «punition divine», regrette Raphaël Picon. La cause en serait les images que l’Eglise a pu véhiculer d’un Dieu culpabilisateur, à différents moments de l’histoire. «L’exorcisme doit d’abord être celui que la théologie chrétienne doit subir pour se libérer de toutes ses images oppressantes de Dieu», conclut l’auteur dans son livre.

*Raphaël Picon sera à Lausanne le mardi 23 avril à 18h30 au Sycomore, le café culturel des Terreaux, rue de l'Ale 31, Lausanne, Entrée libre - Renseignements 021/320 00 42. Animation: Virgile Rochat


**Le rite de guérison consiste à aider une personne qui souffre physiquement ou psychiquement contrairement au rite de délivrance qui va «libérer» une personne qui se croit «possédée»

***Le diable menteur

«En revenant à son étymologie, on dira communément du diable qu’il est ce qui divise, ce qui brise l’unité, empêche toute harmonie. Le diabolos s’oppose ici au sumbolos qui, lui, rassemble, associe. Dans cette perspective, et au niveau d’une réflexion sur l’être, sur ce que nous sommes, le diabolique peut renvoyer à la non-coïncidence du sujet avec lui-même. Il est ce qui, dans le sujet même, lutte contre lui, résiste en lui pour l’empêcher d’accéder à sa pleine vérité et de surmonter ce qui l’empêche de s’épanouir.»

«On dira par extension du diabolique qu’il est ce qui divise la vérité avec elle-même. Le diable apparaît alors comme cette grande figure mythologique du menteur, comme celui qui trompe et qui empêche, dans les mots pourtant souvent empruntés à la vérité, de faire éclater cette dernière; la manipulation consistant ici à travestir le faux dans le semblant de la vérité».

  • Extrait de la page 47 du livre de Raphaël Picon, Délivre-nous du mal, Exorcismes et guérisons: une approche protestante. Editions Labor et Fides. Genève, 2013.

Les exorcismes dans la Bible

«Dans la Bible, le diable est associé au menteur». Des récits d’exorcismes se trouvent dans l’Evangile de Marc aux chapitres 5 et 9:14 ainsi que dans l’Evangile de Matthieu au chapitre 4. «Ces récits montrent bien le processus de division de soi et de reprise de soi. Le démoniaque est décrit comme une puissance qui nous empêche d'être nous-mêmes», explique le doyen de l’IPT.