Brésil: L'Eglise évangélique étend sa toile

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Brésil: L'Eglise évangélique étend sa toile

Nicolas Boursier
22 avril 2013
Combien de temps tiendra-t-il? Jusqu'au bout, affirment ses fidèles. Et comment fait-il pour résister à ce vent de protestation qui souffle depuis des semaines? Avec la foi, répètent-ils d'une même flamme, d'une même certitude inébranlable. L'élection, début mars, à la tête de la commission parlementaire des droits de l'homme du pasteur évangélique Marco Feliciano (photo) connu pour ses propos racistes, homophobes et misogynes, ne finit pas de faire couler beaucoup d'encre et de provoquer de vifs débats sur l'influence chaque jour un peu plus grandissante de Eglises au Brésil.

, Lettre d'Amérique du Sud, Le Monde


Quarante ans, cravate rouge bordeaux et complet droit, chevalière dorée et sourire carnassier, l'homme est membre du petit Parti social-chrétien (PSC, droite), au soutien à la coalition gouvernementale formée autour du Parti des travailleurs (PT, gauche) de la présidente Dilma Rousseff. Elu député fédéral à Sao Paulo avec 212 000 voix, en 2010, il participe à cette vague électorale qui fait progresser le groupe évangélique au Congrès de 50%, atteignant 63 députés sur 513 et 3 sénateurs sur 81. La même année, les chiffres du recensement indiquent que les protestants évangéliques représentent 22,2 % de la population, contre 6,6% il y a trente ans.

«L'ancien cireur de chaussures devenu député » fait alors la «Une» des journaux locaux. Mais, très vite, Marco Feliciano se fait remarquer bien au-delà de sa circonscription. Président du mouvement Catedral do Avivamento, lié à l'Assemblée de Dieu, une Eglise évangélique forte de 20 millions de fidèles au Brésil, il multiplie les déclarations polémiques. Il affirme que «le sida est un cancer gay» et que «les Africains sont maudits de par leur ascendance».

A l'hebdomadaire Veja, il déclare: «Je ne veux pas voir dans la rue un homme en embrasser un autre ». Ailleurs, il précise que la société n'est pas prête à croiser «deux hommes avec des barbes et les jambes épilées» se donner un baiser. D'un même ton, il ajoute: «Quand on donne aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes, elles annulent leur côté maternel, elles ne se marient plus ou développent une relation avec une personne du même sexe.»

Dans son discours d'investiture à la commission, l'intéressé a nié être homophobe ou raciste. Loin de calmer ses adversaires, il a même réitéré certains de ses propos dans les médias, toujours plus nombreux à l'interviewer.

Les critiques se sont d'abord fait entendre sur les réseaux sociaux avant d'atteindre la rue. Des manifestations se sont multipliées avec de nombreux intellectuels et artistes à leur tête, notamment le chanteur Caetano Veloso ou l'acteur Wagner Moura du film Troupe d'élite (2007). Tous réunis pour montrer que la société brésilienne ne peut tolérer de tels comportements. Rappelant que le pasteur Feliciano fait lui-même l'objet d'une enquête pour détournement de fonds et, surtout, à quel point son accession obéit à une vaste stratégie d'occupation du terrain des évangéliques au sein du pouvoir législatif.

Comme l'a illustré de façon saisissante le quotidien O Estado de Sao Paulo, le Front parlementaire évangélique, comme on le désigne, qui compte à ce stade 68 députés au Congrès – soit un député sur sept -, cherche délibérément à placer ses hommes dans «les commissions ayant le pouvoir de s'opposer à certains thèmes sensibles des Eglises». En d'autres termes, les grands sujets de société.

Dans un inventaire à la Prévert, le journal détaille que «le front occupe, depuis le début de l'année, 18 des 72 sièges de la commission de la sécurité sociale et de la famille». Celle-ci s'intéresse de près aux dossiers de santé publique «comme la consommation de drogues ou d'alcool, ou encore l'avortement». A la commission des droits de l'homme, 14 des 36 postes sont occupés par des évangéliques. Ses attributions couvrent les questions liées « à l'homophobe, au racisme et à la défense des droits fondamentalement».

Le pasteur Marco Feliciano connu pour ses propos racistes, homophobes et misogynes, a été nommé à la tête de la commission des droits de l'homme brésilienne.


A la commission constitution et justice, le front a réussi à placer sept des leurs sur 16 places. Autre cible, la commission science, technologie et communication, où les évangéliques occupent un tiers des 42 sièges. Cette dernière a un rôle-clé dans l'obtention des concession de radio et télévision. Un enjeu de taille quand on sait l'étendue de l'empire médiatique et financier de l'Eglise universelle du royaume de Dieu avec notamment Rede Record, deuxième chaîne de télévision du pays.

De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les négociations en coulisses entre les différents partis de la coalition gouvernementale ayant permis l'élection du pasteur. Le piège s'est refermé sur la classe politique révélant une fois de plus la faiblesse du système électoral.

Les règles parlementaires empêchent toute destitution, même par le président de l'Assemblée. Des négociations ont lieu pour remplacer le pasteur, jusque-là sans résultat. Mardi 9 avril, il aurait évoqué une éventuelle démission à condition de voir des élus du PT quitter la commission justice. «Il ne renoncera pas, affirme Eduardo Cunha, député du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) et membre du front évangélique. S'il se retire, il ne sera plus jamais élu. S'il reste, il le sera avec un million de voix sans sortir de chez lui». Il se dit que la vente de DVD du pasteur a doublé depuis le début de l'affaire.

La semaine dernière, la réunion de la commission s'est tenue à huis clos afin d'éviter la présence des manifestants. Une première. Marco Feliciano en a profité pour rappeler que ses prédécesseurs à la tête de l'institution avaient été sous l'influence du diable. Ceci explique cela.

  • Contact: boucier@lemonde.fr





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