Pour un retour aux fondamentaux du protestantisme? Oui, mais lesquels?

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Pour un retour aux fondamentaux du protestantisme? Oui, mais lesquels?

Pierre-Olivier Léchot
21 août 2013
Début juillet se réunissait pour la première fois à Paris le Conseil des ex-musulmans de France dont l’objectif est de revendiquer le droit à l’athéisme dans les pays musulmans et, ce faisant, de réclamer qu’enfin l’Islam soit soumis à la critique des Lumières.

Naturellement, un public protestant ne peut que se réjouir de pareil travail et se féliciter de voir des intellectuels d’origine musulmane entreprendre ce que le protestantisme aura accompli depuis maintenant près de trois siècles. Mais une telle posture de surplomb et d’autosatisfaction est-elle bien justifiée?

Certes, le protestantisme peut tabler sur des acquis et sur son rôle, même modeste, au sein du développement de la pensée des Lumières, de la liberté de conscience ou sa participation active à l’émergence de la laïcité sous la Troisième République française.

Mais justement, ce sont là des acquis et, comme tels, des réalités tellement acquises qu’il se pourrait bien que plus personne ne veuille les défendre au moment où certains entendent les critiquer (ce qui est légitime) voire même les renverser. La question mérite en effet d’être posée, dans toute son acuité: quelle voie le protestantisme historique est-il en train de prendre, eu égard aux conquêtes atteintes grâce à la critique exercée par les Lumières dans le domaine religieux?

La réponse, à cette question paraît, elle, bien moins évidente; en particulier si l’on songe au fameux retour aux fondamentaux, réclamé par un nombre croissant de voix au sein du protestantisme luthéro-réformé. Des voix qui n’hésitent pas à plaider aujourd’hui pour un changement de cap et une réaffirmation des anciennes conceptions qui ont fait, pense-t-on, le succès du protestantisme: proclamation sans faille de l’autorité de l’Ecriture, préoccupation pour une conception du salut proche, sinon identique, à celle des Réformateurs, réaffirmation du dogme du péché originel ou encore défense de la double prédestination de frappe calvinienne.

Non, assurément, la nouvelle orthodoxie qui gagne les vieilles Eglises protestantes d’Europe n’a pas dit son dernier mot. Mais il y a également fort à parier que la raison critique n’ait pas fini, elle non plus, de jouer à la mouche venant titiller le vieux cheval de trait des croyances faciles et des discours convenus.

Pas étonnant, dans pareil contexte, que de plus en plus de personnes entendent clairement entamer le procès des Lumières et du libéralisme théologique pour tourner une page, longue pourtant de deux siècles, et retrouver la tranquille certitude des doctrines d’autrefois en les mâtinant d’un peu de batterie lors du culte ou de témoignages de conversions fracassantes.

Assurément, une forme de néo-orthodoxie protestante est en train de voir le jour qui, c’est un fait, n’a pas dit son dernier mot. Car derrière cet appel à un retour aux sources se cache un éloge plus ou moins avoué des courants évangéliques et de leur succès démographique, basé, estime-t-on, sur la croyance en un Dieu plus structurant et définissable objectivement.

Si cette admiration est aujourd’hui largement partagée au sein du protestantisme historique, il faut aussi reconnaître qu’il n’est pas jusqu’aux sociologues qui n’entament à leur tours ce panégyrique d’une mouvance conservatrice qui a su s’attirer les faveurs des jeunes et d’un grand nombre de déçus des confessions chrétiennes historiques.

Sans nous appesantir par trop sur cette vision des choses qui pourrait, elle aussi, être critiquée (après tout, le dynamisme ne se mesure-t-il qu’au nombre des adhérents et à leur âge?), il faut par contre se poser la question de savoir si pareil retour est aujourd’hui possible et souhaitable. Or, s’il faut envisager ce retour aux sources comme une réitération non-critique des anciennes doctrines protestantes telles que le péché, la conception du salut ou la prédestination, la réponse se doit d’être claire: un tel retour ne saurait être entamé qu’au prix d’un double manquement.

D’abord un manquement aux acquis qui sont ceux de l’histoire européenne depuis trois siècles. Certes, le droit de la raison à exercer un regard critique à l’endroit de toute croyance, qui prend ses racines au cœur des Lumières, a connu bien des excès et bien des dérives qui ne plaident pas forcément en sa faveur. Il n’empêche que c’est toujours lorsqu’elle se trouvée couplée à une idéologie totalisante, comme celle du progrès ou de la croissance, que cette dernière a été à l’origine des pires calamités.

Mais la raison critique, cette «légère teinture de pyrrhonisme» si nécessaire, comme l’écrivait Hume, a permis bien des avancées qui, pour être aujourd’hui devenues des acquis, sont justement remises en cause par certains. Car c’est bien grâce à cette liberté de conscience qui fut la grande conquête de la raison critique au Siècle des Lumières que certains protestants peuvent, aujourd’hui, s’exprimer en faveur d’un retour à une religion plus structurante parce que, estime-t-on, plus structurée. C’est bien grâce à Voltaire cherchant à «écraser l’infâme», que les néo-orthodoxes réformés peuvent défendre leur point de vue au sein de la République.

Vers un protestantisme plus fondamental?

Or, il faut se demander, de ce point de vue, ce que peuvent bien penser ceux qui ont à vivre dans des régimes religieux totalitaires à travers le monde de ceux qui, chez nous, chrétiens ou fidèles d’une autre religion, entendent proclamer le retour à une religion plus fondamentale pour ne pas dire fondamentaliste. Ne serait-ce pas, justement, en défendant envers et contre tout le droit à l’exercice de la raison critique au sein même des religions (et au nom même de celles-ci !) que nous leur rendrions le plus grand des services?

Ensuite, et plus fondamentalement peut-être, il est aussi nécessaire de se demander si un tel discours favorisant une néo-orthodoxie protestante ne ferait pas fi du procès de l’histoire, à l’issue duquel il apparaît que toute affirmation doctrinale est finalement le produit de son siècle? Et de ce point de vue, le retour aux sources demandé par certain, ne serait-il pas finalement, lui aussi, le signe des temps, le symptôme du mal qui ronge aujourd’hui nos sociétés occidentales embourgeoisées?

Ce que ces appels du pied vers une critique des Lumières révèlent de manière moins évidente mais plus profonde, c’est en tout cas la nécessité qui est celle aujourd’hui du protestantisme de clarifier son rapport aux Lumières. Mais cette clarification se doit justement de se fonder sur ce que les Lumières nous ont inculqué, à savoir la capacité «de l’intelligence critique à se mesurer avec la pluralité et la différence», comme l’écrivent Vincenzo Ferrone et Daniel Roche dans la conclusion de leur étude des notions clés des Lumières. Toute autre voie ne saurait en effet aboutir qu’à une mise en cause de la diversité d’opinion et à la réitération des vieux poncifs de la pensée unique en matière religieuse.

Or, un tel choix se révélerait d’autant plus mortifère qu’il ne nous permettra jamais de faire l’impasse sur les questions qui se posèrent autrefois aux croyants et qui se poseront toujours à nouveaux frais. En effet, l’affirmation sans faille de l’autorité de l’Ecriture n’est-elle justement pas à l’origine de la critique historique? N’est-ce pas en réaffirmant l’autorité de la Bible que nous nous trouverons amenés à redéfinir ce qu’est la juste compréhension de celle-ci, sa valeur au cœur de la société et son impact éthique? N’est-ce pas justement en réaffirmant l’importance des anciennes confessions de foi, que nous serons amenés à repenser cette foi et ce qu’elle peut bien dire à nos contemporains?

Certes, il se peut que ces derniers ne souhaitent entendre qu’une affirmation claire et facile de ce qu’est la religion. Mais leur offrir cette affirmation sans autre forme de procès, alors que nous savons que les choses ne sont pas si simples, que la réalité n’accepte jamais d’interprétation noire ou blanche, n’est-ce pas là, finalement, leur mentir? Non, assurément, la nouvelle orthodoxie qui gagne les vieilles Eglises protestantes d’Europe n’a pas dit son dernier mot. Mais il y a également fort à parier que la raison critique n’ait pas fini, elle non plus, de jouer à la mouche venant titiller le vieux cheval de trait des croyances faciles et des discours convenus.