«Là où est l’Esprit…»: François Bovon nous a devancés

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«Là où est l’Esprit…»: François Bovon nous a devancés

Claire Clivaz
6 novembre 2013
Dix-sept heures, un jour d’automne 2003: le séminaire des doctorants en Nouveau Testament et histoire du christianisme ancien se termine à Harvard. Le ton un peu pressé, le professeur François Bovon clôt la séance. C’est que nous devons le retrouver chez lui, dans moins de deux heures, pour le repas qui marque la rentrée.
(photo@Karen King)

, professeur assistante en Nouveau Testament et littérature chrétienne ancienne, Université de Lausanne, Faculté de théologie et de sciences des religions

Sans sourciller, à 19h, il reçoit une quarantaine de personnes, pour nous faire inaugurer la nouvelle année académique, avec un repas délicieux, fait pour la plupart de ses mains, et seul pour nous servir.

Autonome, polyvalent, il s’était organisé en sorte, capable d’exceller et de surprendre sur tous les plans. Nommé professeur de Nouveau Testament à l’Université de Genève en 1967, il deviendra en 1993 Frothingham Professor d’histoire des religions à l’Université de Harvard, dont il prendra congé en 2010, à sa retraite.

Après une licence en théologie à l’Université de Lausanne, il sort déjà du lot en obtenant en 1965 une thèse avec mention summa cum laude à l’Université de Bâle, sous la direction d’Oscar Cullmann, portant sur l’histoire de l’interprétation d’un passage du Nouveau Testament, le livre des Actes 10-11.

C’est ainsi qu’il abordera le corpus important pour les chrétiens, tout au long de sa carrière de chercheur: comme des textes lus, relus, réécrits et mis en jeu au travers des siècles. L’auteur des Actes l’accompagnera tout au long de sa vie, puisqu’il terminera de publier en 2009 les quatre volumes d’un commentaire important sur l’Evangile selon Luc.

Dans une conférence donnée à l’Université de Lausanne en 2011, François Bovon expliquera que de ce Nouveau Testament, il n’a toutefois pas cherché à connaître le goût et l’odeur de ses manuscrits, alors même que ses heures les plus passionnées le conduiront à quêter de nouveaux manuscrits de la littérature chrétienne ancienne, notamment dite «apocryphe», non retenue dans le canon de la Bible.

«Un manuscrit, naturellement», comme dit Umberto Eco

«Un manuscrit, naturellement», comme dit Umberto Eco: rien de tel en effet que la perspective de découvrir un nouveau fragment de parchemin grec chrétien, retenu dans le ventre du Mont Athos ou du monastère Sainte-Catherine pour le mettre en joie! Quoique si: j’ai vu briller ses yeux de la même impatience heureuse lorsqu’il parlait de ses petits-enfants, la visite de l’aîné pour bientôt à Boston, ou l’affection des trois cadets.

Savoir livresque dans les manuscrits, savoir de la vie dans les êtres de chair et de sang: il était attaché aux deux, discrètement. La retenue a ses vertus, car elle laisse l’espace à la recherche des autres.

L'aventure apocryphe

A jour sur ses propres forces et faiblesses, il accueillait la différence avec sérénité, générosité, ouvrant les via ferrata sur les parois les plus abruptes. N’a-t-il pas dû s’imprégner de l’adage paulinien «là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté» (2 Co 3,17) pour emmener ses collègues et amis genevois dans la découverte du «continent apocryphe», dirigeant la publication du premier volume des Ecrits apocryphes chrétiens dans la collection de la Pléiade. L’aventure apocryphe lui donnera même l’occasion d’une rencontre en personne avec Jean-Paul II.

Liberté intérieure

Formé à la spiritualité chrétienne au sein de l’Eglise Evangélique Réformée du Canton de Vaud, François Bovon ne cessera de chercher à en élargir les contours à la communion des saints, par toutes ses activités de recherche, incarnant l’utopie d’un chercheur de pointe qui sait les racines qui le portent. François Bovon nous a devancés, dans la recherche en Nouveau Testament et littérature apocryphe chrétienne, et dans la communion des saints, où il est entré le 1er novembre dernier.

  • Cet hommage de Claire Clivaz à François Bovon a été publié mardi 5 novembre dans les colonnes du journal Le Temps. La photo a été prise par Karen Leigh King, spécialiste de littérature gnostique à Harvard Divinity School, en mai 2012 à Lincoln MA.

  • François Bovon, né le 13 mars 1938, est décédé vendredi 1er novembre 2013 aux soins palliatifs de l'hôpital d'Aubonne à la suite d'une longue maladie. Le service funèbre aura lieu jeudi 7 à 14h00 à l'Auditoire Calvin, qui se trouve en face de la Cathédrale de Genève. Il sera présidé par le professeur honoraire et théologien Henry Mottu et sera suivi de l’ensevelissement au cimetière de Chêne-Bougeries.