L'anniversaire de l'interdiction du niqab en France passe presque inaperçu

L'interdiction du niqab en France peine à être appliqué / Pixabay
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L'interdiction du niqab en France peine à être appliqué
Pixabay

L'anniversaire de l'interdiction du niqab en France passe presque inaperçu

Tom Heneghan
29 octobre 2015
Depuis cinq ans, le port du niqab est interdit en France. Et alors que certaines femmes musulmanes continuent d’en porter, les politiques ne s’intéressent plus vraiment à cette pratique qui avait fait débat en octobre 2010.

Le cinquième anniversaire, ce mois-ci, de la loi interdisant le port du voile intégral en public est passé presque inaperçu en France, tout comme le sont les quelques niqabs portés par des femmes musulmanes dans les rues de Paris, de Lyon ou de Marseille. Cette interdiction, qui à l'époque était si populaire que le Parlement l'avait adopté à la quasi-unanimité, n'apparaît presque plus dans les débats récurrents de la communauté musulmane, forte de 5 millions de membres, dans un pays qui limite le rôle de la religion dans la sphère publique.

La transformation progressive de la question du niqab d'un débat national à l'équivalent d'une note de bas de page en dit long sur la politique française. Le législateur est prompt à passer des lois, mais pas toujours efficace pour les faire appliquer.

Une marque de défi face à une société intolérante

L'interdiction du niqab, un vêtement considéré comme un symbole de la diffusion de l'islamisme radical, n'a pas empêché certaines femmes musulmanes de le porter comme une marque de défi envers une société qui, selon elles, ne les accepte pas. «C'est ma façon de dire «non» à un gouvernement qui m'a volé ma liberté», a déclaré au quotidien parisien Le Monde Leila, qui a avoué qu'elle n'était pas une musulmane très pratiquante avant que la loi ne soit votée.

Une interdiction critiquée

L'interdiction a été massivement critiquée dans le monde musulman. Selon plusieurs témoignages de certains musulmans militants, aussi bien à l'étranger que des Français recrutés dans des groupes comme l'Etat islamique, elle est considérée comme une raison supplémentaire de placer la France en tête de leur liste noire.

La sociologue Agnès de Féo, qui étudie ce sujet depuis une décennie, a déclaré qu'avant 2010, les femmes voilées étaient essentiellement des traditionalistes pieuses, mais qu'aujourd'hui, beaucoup sont des converties qui se sentent plus autonomes en adoptant un islam radical que la loi est censée combattre. «Nous avons créé le monstre que nous voulions éviter», a constaté Agnès de Féo à propos de l'interdiction, promulguée en octobre 2010 par le président de l'époque, Nicolas Sarkozy.

Il n'est donc probablement pas surprenant que la vaste majorité des politiciens qui soutenaient l'interdiction, il y a cinq ans, n'en parlent plus beaucoup aujourd'hui. Ils débattent toujours pour savoir comment réagir face aux pratiques musulmanes qu'ils pensent ne pas avoir leur place dans la société française, mais leur attention s'est déplacée vers d'autres sujets.

Des femmes en niqab à la mairie

Le mouvement en faveur de l'interdiction a démarré en 2009, lorsque plusieurs maires ont signalé que des femmes musulmanes s'étaient présentées en niqab à la mairie locale pour se marier. Ils considéraient qu'il s'agissait d'une violation de la laïcité, qui est un pilier central de la société pour de nombreux Français. Ce terme, traduit par «sécularisation» ou «séparation de l'Eglise et de l'Etat», implique également la neutralisation de la religion dans la sphère publique, voire son bannissement pur et simple.

Les sondages d'opinion ont montré qu'au moins les deux tiers des citoyens français soutenaient l'interdiction du niqab, qu'on estime porté par seulement 2000 femmes environ, et de la burqa recouvrant tout le corps, que les Français n'ont pu voir que sur les photos venues d'Afghanistan.

Après des mois de débat pour déterminer comment une interdiction protégerait les femmes contre les prédicateurs radicaux et contre les hommes sévères qui les contraignent à se couvrir, une loi interdisant «la dissimulation du visage dans l'espace public» a remporté l'adhésion de l'Assemblée nationale à 335 voix contre 1, et du Sénat à 246 voix contre 1. L'amende pour port du niqab en public a été fixée à 150 euros. Rapidement, des doutes ont été exprimés quant à l'applicabilité de la loi. «Nous avons d'autres tâches bien plus importantes que - excusez le terme - la «chasse à la burqa», a déclaré le représentant d'un syndicat de police.

Difficile de verbaliser

Par ailleurs, dans les zones plus défavorisées où la population musulmane est élevée, la police s'est aperçue qu'il était difficile de verbaliser les contrevenants sur place. Lorsque des policiers ont demandé à une femme portant le voile intégral sa pièce d'identité en 2013 à Trappes, une banlieue parisienne connue pour être le centre d'un groupe musulman restreint, mais radical, cela a déclenché trois jours d'émeutes, au cours desquels le commissariat de police local a notamment été attaqué.

A Paris, on peut voir de temps à autre des niqabs, vraisemblablement portés par des touristes en provenance des Etats du golfe Persique, dans des lieux touristiques comme la Tour Eiffel ou les Champs-Elysées. Cela n'a pas aidé ce couple venu du Golfe qui, l'année dernière, a dû quitter l'opéra Bastille pendant une représentation de «La Traviata» de Verdi lorsque les acteurs, après avoir aperçu la femme assise au premier rang, ont menacé d'interrompre le spectacle si elle ne retirait pas son voile ou ne quittait pas la salle.

Cependant, peu de touristes voilées ont subi ce genre de traitement. Au lieu de cela, la police distribue des amendes de manière sporadique, mais régulièrement, surtout dans les quartiers désavantagés, et les tendances qui émergent semblent confirmer la conclusion de la sociologue Agnès de Féo.

1546 amendes distribuées

Les chiffres récents du ministère de l'Intérieur montrent qu'au 1er septembre, 1546 amendes ont été distribuées: 234 en 2011, 332 en 2012, 383 en 2013, 397 en 2014 et 200 dans les neuf premiers mois de 2015. Aucun rapport ne fait état d'hommes ayant payé les 15000 euros d'amende pour avoir forcé une femme à porter le voile. Le ministre a déclaré que beaucoup de femmes interpelées par la police étaient des récidivistes, et que l'une d'entre elles avait été verbalisée à 33 reprises. La plupart avaient moins de 30 ans et étaient nées en France.

Rachid Nekkaz, un homme d'affaires franco-algérien qui a promis de payer l'amende de toute femme verbalisée pour port du niqab, a affirmé qu'au début du mois d'octobre, il avait déjà payé 973 contraventions pour 683 femmes. Il a également payé 251 amendes similaires en Belgique et deux aux Pays-Bas. Rachid Nekkaz, qui prétend être «contre le port du voile en Europe», mais pense que les femmes ont le droit de le porter, estime que deux tiers des femmes qu'il a aidées étaient des Françaises converties à l'islam. Seulement 118 des femmes verbalisées ont arrêté de porter le voile intégral, a-t-il dit, tandis que 213 de celles qui ont été verbalisées ont commencé à porter le niqab après que la loi a été votée.

La loi anti-niqab n'a pas vraiment été à la hauteur des attentes suscitées par ses partisans, mais cela n'a pas discrédité l'idée d'imaginer de nouvelles règles pour essayer d'imposer une plus grande conformité au mode de vie français. Les élections législatives et présidentielles sont prévues pour 2017, et le parti d'extrême droite Front National est désormais un adversaire sérieux pour les républicains, parti conservateur de Sarkozy, et pour les socialistes du président François Hollande.

Plus tôt cette année, plusieurs politiciens ont commencé à se demander si les jupes longues que certaines filles musulmanes portent peuvent être considérées comme un signe distinctif religieux n'ayant pas sa place à l'école. D'autres affirment que les cantines des écoles publiques devraient supprimer l'option de menu végétarien pour les élèves musulmans et juifs qui ne mangent pas de porc ou de viande qui n'ait pas été abattue rituellement.