Pourquoi les évangéliques américains soutiennent-ils le décret anti-immigration?

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Pourquoi les évangéliques américains soutiennent-ils le décret anti-immigration?

8 mars 2017
Spécialiste du fait religieux dans la vie publique et directeur de la communication à la Divinity school de l’Université Yale aux Etats-Unis, Tom Krattenmaker revient sur le soutien des évangéliques à la politique anti-immigration de Donald Trump

Photo: La pasteure et télévangéliste, Paula White, lors de l’investiture de Donald Trump RNS/Jerome Socolovsky

(RNS) Quand il s’agit d’accepter les autres, Jésus élargit le cercle. Aimez-vous les uns les autres, enseignait-il. Il est encourageant de constater que cette valeur morale s’est maintenue jusqu’à un certain point dans un pays où la culture de l’accueil a été l’une de nos plus fières marques de fabrique, mais où actuellement la peur des migrants, des réfugiés et des musulmans entre en concurrence avec nos tendances inclusives.

Malgré les avertissements effrayants du nouveau président, une majorité importante d’Américains s’opposent tout de même à interdire aux musulmans d’entrer dans les Etats-Unis, comme Donald Trump cherche à le faire. Un sondage réalisé par l’Institut public de recherches sur la religion (Public Religion Research Institute) révèle que 59% des Américains s’opposent à une telle interdiction contre 35% qui la soutiennent.

Mais certains résultats sont aberrants. Les personnes qui disent prendre le plus au sérieux Jésus et la Bible nagent contre la marée. Non seulement une large majorité d’évangéliques blancs soutiennent une interdiction temporaire des musulmans, mais en plus, la proportion de soutiens dans cette communauté ne cesse d’augmenter.

L’enquête montre que 61% des évangéliques blancs sont en faveur de l’interdiction, un chiffre en hausse par rapport au 55% de l’année dernière alors que le candidat à la présidentielle Donald Trump avait appelé à interdire les musulmans aux Etats-Unis. En revanche, 44% des catholiques blancs soutiennent ce décret et seulement 39% des blancs appartenant aux courants historiques du protestantisme. Tant du côté des catholiques que des protestants mainline, les niveaux de soutien sont sensiblement en baisse par rapport à l’an dernier.

Et parlant de dynamiques qui semblent difficiles à comprendre, le groupe le moins influencé par Jésus et le christianisme est le moins propice à soutenir le décret anti-immigration. Parmi les Américains affiliés à aucune religion, seulement 21% d’entre eux appuient l’interdiction.

Avant de tirer des conclusions simplistes et de déclarer que les laïcs sont plus chrétiens que les évangéliques blancs, il est instructif de considérer les façons, dont l’identité culturelle, alias le tribalisme, l’esprit de communauté — la question même que Jésus a abordée avec son enseignement «aime ton prochain» — influence cette dynamique inversée.

Comme on l’a largement signalé, les évangéliques blancs sont les principaux électeurs de Trump. Toutefois, le fait que 81% des évangéliques ont voté pour ce candidat signifie qu’environ un cinquième d’entre eux ne l’a pas soutenu. Un bon nombre de dirigeants et d’écrivains évangéliques de haut niveau se sont puissamment opposés à Donald Trump, dont Russell Moore de la Convention baptiste du Sud et Michael Gerson, chroniqueur au Washington Post.

Mais pourquoi un tel appui à l’interdiction des musulmans et à son principal défenseur de la part de ceux qui nous disent depuis des années qu’ils fondent tout sur la Bible? L’espoir d’un climat politique plus favorable pour leur groupe et leurs pratiques religieuses peut être une réponse.

Si un candidat présidentiel promet des limites plus strictes par rapport à l’avortement, une Cour suprême plus en phase avec les idées chrétiennes conservatrices, et une plus grande marge de manœuvre dans la résistance à la normalisation des relations homosexuelles, alors ce sera Trump.

Aussi troublant que cela soit, ce qui est plus difficile à comprendre, ce sont les protestations de certains éminents chrétiens conservateurs dont les positions politiques pragmatiques ne sont pas contraires à Jésus et pas dictées par la Bible. Cela, dans le contexte d’une culture évangélique qui a longtemps souligné que les réponses à toutes les grandes questions de la vie se trouvent dans la Bible.

Ce n’est «pas une question biblique», a déclaré Franklin Graham au sujet du décret anti-immigration — une position qui depuis a été complètement démolie, entre autres, par le bibliste Joel Baden de la Yale Divinity School. En s’appuyant sur certains enseignements intimidants de Jésus, certains chrétiens conservateurs ont émis l’idée que la Bible s’applique seulement à nos vies individuelles, et pas à ce que nous faisons en tant que nation.

Le côté douteux de cette sortie de secours est particulièrement clair à la lumière des prophètes de l’Ancien Testament, qui ont souvent formé leurs opinions par rapport à Israël — et, en passant, font du bon traitement réservé aux étrangers un élément constitutif de cette nation.

Donc, la vérité est révélée, et ce n’est pas si choquant.

En dépit de leur image soigneusement cultivée en tant que personnes qui sont les plus engagées à suivre la Bible et qui se trouvent donc sur un plan moral supérieur, les évangéliques blancs sont fortement influencés par des facteurs non bibliques. Il s’agit notamment de vouloir être à l’abri du terrorisme, de vouloir maintenir un paysage culturel et politique plus à leur goût, ainsi que d’une méfiance à l’égard des personnes qui sont différentes d’eux, que ce soit à cause de l’ethnie, de la religion ou de l’orientation sexuelle. Parallèlement vient l’inclination naturelle à s’unir dans les combats politiques et culturels et à suivre le dirigeant qu’ils ont choisi.

Que tirer de ses observations? Une tendance à vivre leur religion non pas principalement ou seulement en tant que peuple de Jésus — qui est, après tout, une chose très difficile à faire — mais comme une tribu, comme une communauté. Est-ce que cela fait des évangéliques qui adorent Trump et rejettent les musulmans des hypocrites? Peut-être que ça ne fait que d’eux des humains, avec tout ce que ça implique de mauvais et de bon.