Le mariage pour tous pourrait contraindre les Églises

Refuse de célébrer un mariage homosexuel? «Les ministres du culte de droit public se voient exposés à un risque de responsabilité pénale» / IStock
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Refuse de célébrer un mariage homosexuel? «Les ministres du culte de droit public se voient exposés à un risque de responsabilité pénale»
IStock

Le mariage pour tous pourrait contraindre les Églises

17 septembre 2021
Si la loi sur le mariage pour tous était acceptée par le peuple le 26 septembre prochain, les Églises historiques et leurs ministres qui refuseraient de célébrer de telles unions pourraient se voir sanctionnés pénalement. C’est en tout cas ce qu’affirment trois juristes dans une étude.

Sera-t-il encore possible pour les Églises historiques et leurs ministres de refuser de célébrer des mariages de couples homosexuels, si le mariage pour tous est accepté par le peuple le 26 septembre prochain? Rien n’est moins sûr, selon une étude* publiée en 2019 par trois juristes de l’Université de Bâle. Selon leur analyse, ceux-ci pourraient de fait s’exposer à des poursuites pénales, en raison de l’extension de la norme pénale antiraciste (CP. art. 261 bis) à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, acceptée dans les urnes le 9 février 2020.

«Les communautés religieuses organisées selon le droit privé ne peuvent en principe pas être obligées de marier ou de bénir des couples homosexuels», écrivent les juristes Felix Hafner, Martin Reimann et Nadine Zurkinder. Et d’ajouter: «La situation est plus complexe en ce qui concerne les Églises et les communautés religieuses reconnues par le droit public.»

Des droits et des devoirs

Dans la plupart des cantons, les Églises catholiques et réformées bénéficient en effet d’un statut privilégié leur donnant des droits, mais également des devoirs. Ces derniers comprennent l’obligation de respecter le droit constitutionnel, dont fait partie l’interdiction de la discrimination (Constitution fédérale art. 8 al. 2), alors que, sur le même point, les «communautés religieuses organisées selon le droit privé peuvent invoquer la liberté religieuse en tant que droit des entreprises contre l’État», précisent les experts.

En cas d’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe, pour les communautés religieuses de droit public, «la question se pose donc de savoir si et dans quelle mesure le refus de marier ou bénir les couples homosexuels peut résister à l’interdiction constitutionnelle de la discrimination et à d’autres dispositions de la loi, en particulier le délit révisé de la discrimination raciale (CP. art. 261 bis)», posent ces trois spécialistes, qui pointent alors la contradiction entre d’un côté le droit à l'autodétermination des communautés religieuses (régi par les Cantons), de l’autre l'interdiction de toute pratique discriminatoire.

Pour les juristes, il est cependant une évidence: «Les Églises et les communautés religieuses reconnues de droit public doivent tolérer un empiètement sur leur droit à l’autodétermination plus facilement que les communautés religieuses organisées selon le droit privé (à l’instar des Églises évangéliques ou des communautés musulmanes par exemple, ndlr.)»

Poursuite pénale et responsabilité

Partant de là, l’étude conclut qu’il «n’est pas possible d’exclure totalement les conséquences pénales d’un refus» de célébrer une union entre deux personnes du même sexe. «Les ministres du culte de droit public se voient exposés à un risque de responsabilité pénale», formulent-ils clairement. En cas de dépôt de plainte, les magistrats se retrouveront donc face à une pesée des intérêts complexe. 

Si le refus de célébrer un mariage de couples homosexuels est punissable par l’article 261 bis révisé du Code pénal, reste à savoir qui en porterait la responsabilité, et serait donc considéré par la justice comme «l’auteur de l’infraction». Plusieurs cas de figures se présentent alors.  Si, dans le cadre d’une Église qui autorise la célébration de telles unions, un ministre du culte s’y refuse, seule sa responsabilité individuelle serait examinée.

Qu’en est-il dès lors de la clause de conscience garantie par certaines Églises réformées cantonales à leurs ministres? «Si le refus est fondé sur une conviction de foi ou de conscience, les intérêts du pasteur qui refuse le mariage ou la bénédiction, en tant qu’auteur de l’infraction, et ceux des couples homosexuels, en tant que victimes, devront être mis en balance» pour déterminer son éventuelle culpabilité ou son exclusion, peut-on lire dans le document. Dans ce cadre, le mis en cause pourrait alors évoquer sa liberté de croyance et conscience également assurée par la Constitution (art.15), mais sans garantie.

Interrogée sur les résultats de cette étude, l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS), qui recommande à ses Églises cantonales d’offrir des célébrations de mariage pour les couples de même sexe, reste confiante. Pour Felix Frey, juriste de l’institution, «la liberté de conscience devrait l'emporter sur le principe de discrimination, à étudier évidemment selon chaque cas individuel».

Refus personnel ou institutionnel

Il existe également des situations où le ministre n’agit pas de sa propre conviction, mais sur la base d’exigences institutionnelles. C’est le cas pour les Églises catholiques romaines, soumises au droit canonique, mais également pour les Églises évangéliques réformées qui en décideront ainsi, étant donné que du côté réformé cette disposition relève de la compétence des Églises cantonales.

Dans les cas où le refus de célébrer un mariage de couple homosexuel dépend d’un choix institutionnel, «la responsabilité pénale des Églises concernées pourrait également être envisagée», écrivent les trois juristes, en notant toutefois que «le droit pénal est principalement adapté aux personnes individuelles». Contacté, le Conseil des Évêques suisses indique que ses commissions de «Bioéthique» et «Justice & Paix» sont en train d’étudier la question.