Assistance au suicide - Les malentendus d’un faux libéralisme

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Assistance au suicide - Les malentendus d’un faux libéralisme

3 novembre 2010
La consultation fédérale qui vient de se terminer au sujet de l’assistance au suicide aura au moins eu deux mérites: elle aura montré, d’une part, que la solution extrême, soutenue naguère par Pascal Couchepin et, derrière lui, par une majorité sans doute de catholiques romains et d’évangéliques, n’était pas suivie: revenir en arrière en interdisant les associations d’assistance au suicide est une tentation légitime de l’esprit mais n’a guère de chance de s’imposer à l’opinion.


Chronique par Denis Müller, professeur d'éthique aux Universités de Lausanne et Genève, L'Hebdo

Une opinion qui semble acquise à l’encadrement légal actuel, mais à condition que l’autodétermination de chacun soit garantie; c’est à mes yeux un appel paradoxal à plus de libéralisme et, de fait, à une extension de la médicalisation rampante d’un prétendu «droit» à cette assistance.


Nous allons en effet, de l’aveu même d’Eveline Widmer-Schlumpf, qui l’a formulé clairement à Zurich début septembre lors d’une conférence-débat à la Paulus Akademie, vers une solution plus libérale que celle de la variante 1 soumise antérieurement à la consultation.

Ce qui n’empêche pas la ministre sortante de Justice et Police de souligner la nécessité de durcir la surveillance étatique des organisations d’aide au suicide.

Comment sortir de cette contradiction? L’Office fédéral de la justice, pour mettre en musique ce nouveau libéralisme saura-t-il et pourra-t-il donner la préférence à une régulation juridique stricte plutôt qu’à un laisser-aller libertaire et individualiste? L’arrivée surprise de Simonetta Sommaruga à la tête de Justice et Police changera-t-elle la donne?

Le droit ne saurait résoudre l’entier des dilemmes éthiques

Eveline Widmer-Schlumpf l’a relevé à Zurich: le droit ne saurait résoudre l’entier des dilemmes éthiques. Autrement dit: une éthique de la discussion se doit de mettre en avant les aspérités et les difficultés du débat, plutôt que se satisfaire mollement d’un consensus démagogique.

Quelles sont, dès lors, les questions centrales qui demeurent et qui vont conditionner le travail rédactionnel en cours?

Ceux qui, à gauche notamment, veulent sortir l’assistance au suicide du code pénal semblent admettre qu’une telle pratique devrait désormais être assimilée à l’ensemble des dispositifs médicaux, soignants et même sociaux qu’un Etat de droit libéral a le devoir de mettre en place.

Le suicide assisté deviendrait ainsi une prestation comme les autres, connotée positivement. Ce serait un changement radical de perspective, avec le risque sous-jacent que le suicide lui-même soit pensé fondamentalement comme un acte en toutes circonstances non problématique d’un point de vue éthique.

La médicalisation rampante du suicide assisé va donc bel et bien dans le sens de sa banalisation. C'est inacceptable.

Comme l’atteste par ailleurs le résultat de la consultation, la tentation existe de faire sauter le verrou pourtant essentiel qui limitait jusqu’ici l’assistance au suicide aux malades incurables. La médicalisation rampante du suicide assisté va donc bel et bien dans le sens de sa banalisation. C’est inacceptable.

En proposant sa variante 1, le Conseil fédéral, s’était engagé en faveur d’une vigilance plus grande dans le contrôle et la surveillance des organisations existantes ou à venir; l’intention, fort louable, était de parer aux dérives de différentes natures qui menacent en la matière: le danger de commercialisation et de tourisme de la mort, mais aussi le manque de professionnalisme et de mesures crédibles de supervision (interne et externe) qui affecte déjà ces organisations (Exit pas moins que Dignitas sur ce dernier point).

Il n’est pas sûr, cependant, qu’une réglementation même sévère ne revienne pas à délivrer à ces associations un certificat de reconnaissance et donc de justification éthique. Dignitas et Exit auraient en fait atteint leur but véritable: être reconnues comme des pièces incontournables du système suisse de santé.

On est dès lors en droit de se demander s’il ne vaudrait pas mieux ne rien changer au statu quo. Pour une fois, Christoph Blocher aurait eu raison.

Le débat en cours confirme ce que nous pouvions craindre depuis plusieurs années: l’assistance au suicide est utilisée par Dignitas et par Exit comme le cheval de Troie d’une légalisation pure et simple de l’euthanasie active directe, sans que la discussion éthique ait pu vraiment avoir lieu à ce propos. Des sondages et des études statistiques ne sauraient tenir compte d’un débat éthique sérieux.

L’attention portée aux soins palliatifs ne doit pas être un simple prétexte rhétorique, mais se traduire en développements beaucoup plus intenses et systématiques. On est encore loin du compte!

*Cette chronique a été publiée dans l'Hebdo.