L’ombre de Trump plane sur la réunion annuelle de l’Académie américaine de la religion

© Keystone / EPA / Shawn Thew
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© Keystone / EPA / Shawn Thew

L’ombre de Trump plane sur la réunion annuelle de l’Académie américaine de la religion

4 décembre 2017
Un sentiment d’urgence face à la présidence de Donald Trump a envahi la rencontre annuelle de l’Académie américaine de la religion, fin novembre, à Boston. Par Cathy Lynn Grossman (RNS), traduction Laurence Villoz.

Tandis que près de 10'000 étudiants en théologie et sciences des religions ont participé aux 300 conférences d’une rencontre qui s’est déroulée du 18 au 21 novembre à Boston, l’ombre de Donald Trump a dominé les débats. Un sentiment alarmiste par rapport à la présidence de Trump – ainsi que face aux forces anti-intellectuelles qu’elle a engendrées, selon certains spécialistes – a envahi la rencontre annuelle de l’Académie américaine de la religion (AAR) et de la Société pour la littérature biblique (SLB).

L’année dernière, plusieurs semaines après l’élection du président avec 81% du vote des évangéliques blancs, les universitaires étaient «sous le choc», se rappelle le nouveau président de l’AAR, David Gushee, professeur de l’Université de Mercer. Dans les mois qui ont suivi, les étudiants se sont démenés pour savoir comment réagir face à un président chrétien qui passait peu de temps à l’église et dont les principaux alliés religieux étaient des prédicateurs évangéliques prônant la théologie de la prospérité.

Cette année, le nom de Donald Trump est apparu 27 fois dans le programme de la rencontre. Et c’est l’ouvrage «Foi et résistance à l’ère de Trump» qui a été parmi les meilleures ventes, dans la salle d’exposition des éditeurs religieux. Même si l’AAR accueille officiellement des étudiants de toutes croyances et de tous partis politiques, en réalité, peu d’académiciens religieux conservateurs assistent à la réunion annuelle.

Un danger pour la liberté

Ceux d’entre eux qui étaient présents sont restés pour la plupart silencieux tandis qu’on dénonçait Trump et l’accusait d’être un danger la liberté, la diversité, l'inclusion et le respect. «Le monde académique est menacé», a souligné David Gushee, qui dirige également une Eglise baptiste en Géorgie. Les républicains qui soutiennent Trump sont en train d’écraser financièrement l’éducation supérieure. Il a souligné les coupes budgétaires dans les universités d’Etat et la proposition de loi de réforme de la taxe fédérale qui viendrait à imposer les bourses d’études dont bénéficient des millions d’étudiants.

Sa plus grande crainte concerne ce qu’il appelle «le tribalisme blanc chrétien américain» porté par le président. Les publications et l’enseignement ne suffisent plus à combattre les forces qui déforment les enseignements religieux, qui omettent le message de justice sociale de la religion et qui soutiennent au contraire une vision raciste, sexiste et islamophobe l’Amérique, a-t-il affirmé.

Le programme de David Gushee pour l'année 2018, présenté la semaine dernière, se focalise sur «les responsabilités civiques, les opportunités et les risques auxquels sont confrontés les étudiants en religion». Parallèlement, le conseil de l’AAR a ajouté une seconde dimension à son objectif. Initialement, il était question de «favoriser l’excellence dans l’étude de la religion», mais il a été désormais complété par un engagement pour «améliorer la compréhension publique de la religion».

Militer pour une éducation éclairée

Le président sortant de l’AAR, le professeur de religion à Princeton Eddie S. Glaude Jr., a appelé, dans son discours final, les étudiants à militer pour l’éducation libérale et à devenir les activistes d'une connaissance éclairée de la religion, tant sur les campus qu’en dehors.

«Nous vivons une époque sombre qui requiert un nouveau type d’académiciens. Nous devons entrer dans la mêlée», a déclaré Eddie S. Glaude qui a conclu son intervention par une exhortation: «En choisissant de rester en marge, vous choisissez votre camp». Et des centaines de participants ont effectivement choisi leur camp. Esquivant la fin des sessions officielles, ils ont rejoint le clergé devant l’église historique de Old South, où ils ont revêtu des toiles de sac et se sont couverts de cendres, un acte symbolique religieux de deuil. Ils ont également déposé la "Déclaration de Boston" en opposition au programme du président. Plus tard dans l’après-midi, la révérende Susan Thistlethwaite, ancienne présidente du Séminaire théologique de Chicago, a de nouveau enduit son visage de cendres pour rejoindre les auteurs des essais publiés dans «Foi et résistance à l’ère de Trump».

Des activistes propalestiniens

Mais ce n’était pas que Trump et son programme qui ont été au centre des préoccupations des activistes. Il y a eu un tollé par rapport à une table ronde prévue le dimanche 19 novembre sur le boycott en tant qu’acte religieux. A la base, le débat devait inclure des partisans et des opposants au mouvement «Boycott, désinvestissement et sanctions» (BDS), une organisation qui appelle à exercer des pressions économique, politique et sociale sur Israël pour soutenir les Palestiniens.

Cependant, les deux orateurs opposés au BDS se sont désistés et le conseil de l’AAR, après des heures de discussions, a décidé de reporter le débat formel et de le remplacer par une discussion publique. En réponse à cette décision, la Commission des droits humains islamiques basée à Londres a tweeté, se référant à un professeur de droit activiste palestino-américain: «Les responsables de l’Académie américaine de la religion ont annulé une table ronde sur le BDS, à laquelle le Dr Hatem Bazian était censé participer. La censure de la #Palestine et du #BDS à l’AAR est inacceptable».

Les cris contre la censure des partisans du BDS se sont calmés après quatre présentations propalestiniennes, le dimanche après-midi lors de la discussion publique. Et également grâce à un discours de Linda Sarsour, une activiste musulmane palestino-américaine, pour la justice sociale et les droits des Palestiniens. Eddie S. Glaude l’avait invitée, depuis des mois, pour parler du thème de sa propre présidence: les personnes vulnérables de la société.

Egalement exposée dans les salles de réunion de Boston: une campagne sur des pancartes exhortant les chercheurs titulaires à porter des badges pour soutenir les assistants des recherches temporaires sous-payés afin d’améliorer leurs conditions de travail. Susan Thistlethwaite, encore recouverte de cendres, exposait son badge et incitait le public à se montrer solidaire avec les «serfs» de l’Université. «Si vous voulez changer l’éducation théologique, ce ne sera pas grâce à ce que vous direz en tant qu’enseignants, mais grâce à vos actions», a-t-elle dit. «Ne me dites pas que vous allez résister à Trump, si vous n’arrivez pas à résister à ce système dans vos propres institutions».