Anne Guillard: «Ma foi se nourrit et s’ancre dans l’engagement»

Anne Guillard / © Alain Grosclaude
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Anne Guillard
© Alain Grosclaude

Anne Guillard: «Ma foi se nourrit et s’ancre dans l’engagement»

Candidature
Sa thèse, qu’elle soutiendra en septembre, associe théologie chrétienne libérale et théorie politique. Son parcours étonnant l’a menée d’un milieu catholique conservateur au militantisme pour une libéralisation de l’Eglise.

Le 22 juillet 2021, plusieurs femmes candidateront à des postes de responsabilité dans l’Eglise catholique romaine, traditionnellement réservés à des hommes. L’action vous dit quelque chose? La Française Anne Soupa, avait publiquement brigué le titre d’archevêque de Lyon en mai 2020. Son initiative a été soutenue par un collectif féministe, Toutes Apôtres, qui la prolonge aujourd’hui. Leur guide Osons candidater (traduit en six langues) indique que «la discrimination faite aux femmes aujourd’hui dans l’institution catholique constitue un scandale», et que l’accès des femmes à la gouvernance est une condition indispensable pour permettre à l’institution de se renouveler.

Parmi l’équipe de Toutes Apôtres, une autre Anne: Guillard, 29 ans, et déjà une série d’engagements. Plutôt décoiffant, pour cette Franco-Hongroise qui grandit au sein de la très conservatrice bourgeoisie versaillaise catholique romaine. «En Hongrie, ma mère vivait dans un catholicisme de méfiance face au pouvoir communiste, qui s’est fossilisé dans un conservatisme ecclésial.» Attablée à une terrasse baignée de soleil, en départ pour trois jours de randonnée, maxi sac à dos à proximité, chaussures de randonnées aux pieds, la jeune doctorante n’a pas son pareil pour déconstruire les nombreux courants du catholicisme, qu’elle a explorés avant de trouver sa voie.

La vie «roots» et en plein air, elle y a plongé chez les scouts unitaires de France «non mixtes et en uniforme, mais pas aussi tradi que les scouts d’Europe»: moment fondateur où elle découvre entre autres «la sororité». «Cela a été fondateur pour ma foi, a ancré en moi un sentiment de pleine confiance en la vie». Mais à l’adolescence, le «système pyramidal» de l’organisation ne lui convient plus. Direction le Mouvement eucharistique des jeunes, plus axé sur la spiritualité: «J’y ai appris, entre autres, à relier mon expérience vécue à la présence de Dieu dans ma vie. Cette spiritualité a donné du relief et de la signification à mon existence, c’était fort».

En démarrant ses études de sciences politiques, Anne Guillard questionne son milieu d’origine: «Je trouvais incroyable que tous ces grands PDG d’entreprise dissocient si aisément leur foi du reste de leur existence! J’ai compris ce qu’était la droite patrimoniale et son association avec la religion.»

A 19 ans, elle lit un manuel de théologie: «Je ne comprenais pas grand-chose, mais une flamme s’est allumée.» Ses parents n’ont pas très envie de la voir «devenir religieuse», elle se débrouille pour financer l’étude de sa passion. Au même moment, la France s’embrase contre le mariage pour tous, et ses collègues étudiant·e·s aussi. «Politiquement je ne savais pas où me situer en tant que chrétienne. On m’a inculqué l’idée qu’il fallait se méfier du progrès social; que la foi c’était une force de résistance à la société et pourtant je sentais bien que quelque chose clochait.» Un cours d’anthropologie lui offre un déclic. «J’ai compris que c’est dans la pâte humaine et ses expériences infiniment plurielles qu’on vit notre foi et que Dieu vient nous rencontrer. Cela se passe là où sont les évolutions de sociétés, il faut aller au-devant d’elles plutôt que de les freiner. Ma foi se nourrit et s’ancre dans l’engagement. Même si cela suscite des craintes, des peurs, c’est ici que je suis altérée, métamorphosée et que je grandis. C’est dans cette diversité et cette liberté que Dieu vit. Et non dans un christianisme de citadelle.»

La théologie libérale est précieuse pour le débat démocratique

Après cette pacification intérieure, Anne Guillard multiplie les initiatives militantes (voire encadré). En année d’échange à Yale, elle découvre une paroisse épiscopalienne, devenue sa «famille spirituelle» et des théologies libérales, féministes, queer. Le doctorat qu’elle soutiendra en septembre ouvre des passages pionniers entre théologie et politique. «La théologie chrétienne libérale a fait un travail critique sur ses propres fondements qui valorise le pluralisme, le subjectivisme et l’expérience. Parce qu’elle ne dogmatise pas un ensemble de valeurs, mais qu’elle accompagne leur évolution au gré des expériences des individus et des sociétés, cette pensée peut apporter des contributions précieuses au débat démocratique.»

Bio express

2013-2016 Master en sciences politiques, Sciences Po Paris et Bachelor en théologie, Centre Sèvres (facultés jésuites de Paris).

2017 Année d’études en sciences politiques et théologie, Université Yale (Etats-Unis).

2018 Co-fonde Oh My Goddess!, collective catholique féministe intersectionnelle (www.ohmygoddess.fr), rattachée à l’Association du témoignage chrétien (ATC ) dont elle est co-présidente.

2020 Co-fonde Toutes Apôtres, collectif pour l’Egalité dans les communautés religieuses (www. toutesapotres.fr).

2021 Double doctorat en théologie et théorie politique (Université de Genève et Sciences Po Paris).

Publications

Une autre Eglise est possible (coauteur: Laurent Grzybowski), Temps présent, 2019.

Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien (coauteurs: PierreLouis Choquet, Jean-Victor Elie), Editions de l’Atelier, 2017.