En Syrie, l’agonie des derniers chrétiens de Raqqa

En Syrie, l’agonie des derniers chrétiens de Raqqa / © Noé Pignède
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En Syrie, l’agonie des derniers chrétiens de Raqqa
© Noé Pignède

En Syrie, l’agonie des derniers chrétiens de Raqqa

Céline Martelet et Noé Pignède, Raqqa
24 août 2021
Reportage
Dans l’ancienne capitale de Daesh, libérée il y a quatre ans, les chrétiens sombrent dans la misère et l’isolement. Privées de tout dans une ville ravagée par les bombes, les dernières familles arméniennes de Raqqa rêvent d’exil.

Dans une petite maison au milieu des décombres et des impacts de balles, le petit Baher vit ses premières heures. Emmailloté dans les bras de sa grand-mère, le nouveau-né dort paisiblement malgré le chahut de ses frères et sœurs qui jouent dans le salon aux murs défraîchis. «Nous n’avons pas beaucoup de place», explique Najah Alkhouja, le regard triste. «Les maisons de mes enfants ont été détruites par les bombardements. Depuis la fin de la guerre, nous vivons à quinze dans ces trois petites pièces.»

Occupée pendant près de quatre ans par les djihadistes de l’Etat islamique qui en avait fait la capitale de leur califat autoproclamé, Raqqa n’est plus qu’un champ de ruines. Pour chasser les terroristes et libérer la ville, les avions de la coalition internationale l’ont rasée à près de 80% en octobre 2017. Des frappes aveugles qui ont tué 1'600 civils selon Amnesty International. Depuis, les habitants, majoritairement musulmans, mais aussi chrétiens comme Najah et sa famille, sont livrés à eux-mêmes. «Nous n’avons plus d’argent, pas de travail, et aucun soutien des organisations humanitaires», déplore Nour, l’un de ses fils.

Après le départ de l’organisation terroriste qui avait imposé la terreur et persécutait la fragile communauté, les Arméniens catholiques de Raqqa espéraient le retour des jours heureux. Un mirage. «Nous ne pouvons compter que sur Dieu», lance ce père de famille, en levant ses mains vers le ciel.

Les Alkhouja sont l’une des dernières familles chrétiennes de Raqqa. Dans le chaos de la révolution syrienne, l’avènement de Daesh en 2014 a fait fuir la minorité de cette ville millénaire. Seule une cinquantaine sont revenus, faute d’avoir pu quitter ce pays ravagé par dix années de guerre sans répit.

«Presque tous nos amis sont partis à l’étranger», souffle la grand-mère, en berçant son quatorzième petit-enfant. «Il n’y a plus rien pour les chrétiens ici. Nous ne pouvons même pas le faire baptiser.» Une église catholique vient d’être reconstruite par les autorités kurdes qui contrôlent aujourd’hui la ville, mais aucun prêtre n’a pour l’instant été nommé. Les bancs de la nef flambant neuve, sans croix ni icône, restent vides, recouverts de poussière. «Ils ne vont pas envoyer un curé pour si peu de fidèles!» se lamente Marie-Rose, une voisine de Najah. «Et puis, ça serait dangereux pour lui, comme pour nous», prévient cette vieille dame, le regard noir. Toujours menacée par les cellules de Daesh terrées dans la région, la communauté arménienne craint de se réunir pour célébrer la messe, de peur d’être la cible d’un attentat. Quatre ans après la libération, le souvenir des crimes djihadistes est encore vif.

Marie-Rose et son époux Elias, mécanicien, sont parmi les seuls chrétiens à n’avoir jamais quitté la ville, même lors du règne de Daesh. Le vieil homme en a payé le prix: considéré comme un apostat par les extrémistes, il a été jeté sept mois en prison. Le corps meurtri par des années de labeur qu’une décennie de guerre a fini d’abîmer, le septuagénaire parvient à peine à se tenir debout. Entre deux bouffée de Ventoline, il raconte son calvaire dans les geôles de Daesh. «Ils nous pendaient par les bras pendant plusieurs jours, nous affamaient, et menaçaient de nous égorger», confie-t-il d’une voix tremblante.

A Raqqa, la crainte de voir à nouveau flotter la bannière noire du groupe terroriste est sur toutes les lèvres. Alors, ces derniers chrétiens rêvent d’exil. «Il n’y a plus d’avenir ici. Nous sommes seuls, assure Najah, les yeux brillants. Si l’on reste vivre ici, avec qui se marieront nos enfants?»