Interreligieux: du dialogue au débat

Unis dans la prière. Le 19 juin dernier, à Lausanne, célébration interreligieuse pour les personnes de toutes les religions décédées sur le chemin de l’exil. / © D. Voinçon
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Unis dans la prière. Le 19 juin dernier, à Lausanne, célébration interreligieuse pour les personnes de toutes les religions décédées sur le chemin de l’exil.
© D. Voinçon

Interreligieux: du dialogue au débat

Entre soi
Du pragmatisme, une écoute plus profonde, la levée de quelques illusions: en vingt ans, le dialogue islamo-chrétien s’est transformé.

Une activité «marginale, bénévole», mais des «rencontres très riches»: voilà comment le pasteur Jean-Claude Basset se souvient des débuts de la Plateforme interreligieuse de Genève, qu’il a cofondée en 1992. Après 2001, «j’ai perçu une bascule. Tout à coup, il a fallu surmonter un rideau de méfiance avant d’arriver à un échange substantiel». Le sujet s’est aussi politisé, institutionnalisé. «Faire du dialogue», pour une communauté, est désormais aussi une manière d’être bien perçue par les autorités politiques. Les rencontres en deviennent-elles plus consensuelles? Pour Jean-Claude Basset, c’est une dimension supplémentaire qui s’est ajoutée: «Le but du politique, c’est d’organiser et de coordonner le vivre-ensemble. Le pluralisme est très déstabilisant pour nos sociétés en voie de sécularisation: comment tenir compte de cette diversité que l’on ne maîtrise plus?»

D’autres rencontres sont nées par ailleurs: actions de terrain entre communautés, portes ouvertes de lieux religieux, actions d’insertion sociale, discussions en profondeur, échanges spirituels inter-monastiques… «Le terme ‹dialogue› recouvre des réalités très différentes: les échanges sont devenus plus diversifiés, réalistes et conscients», constate Jean-Claude Basset. 

Dialogue en vérité

Une diversification qui n’empêche pas le dialogue «en vérité», démarche qui a donné lieu à de vraies avancées à Berne, par exemple, où l’aumônier protestant Pascal Mösli a coordonné la seconde édition d’un manuel concernant les deuils islamo-chrétiens, en 2017. «Lors de la première édition, en 2009, nous imaginions des cérémonies de deuil interreligieuses avec des éléments des deux traditions, musulmane et chrétienne. En discutant avec les interlocuteurs musulmans, nous avons compris que cette approche ne fonctionnait pas: mieux vaut qu’une des deux communautés prenne la chose en main, et que l’autre soit invitée. Au fil des échanges, j’ai vraiment pris conscience que j’avais une perception biaisée: on imagine être si ouvert, compréhensif et neutre… Sans avoir conscience qu’avec cette approche, c’est notre culture qu’on privilégie». L’élément qui l’a fait avancer, explique-t-il, est d’accepter «que l’on n’a pas besoin de tout comprendre de l’autre pour le côtoyer. La rencontre doit permettre de s’ouvrir à ‹l’étrangeté› de l’autre, de nous remettre en question. Vouloir tout savoir et comprendre pour se sécuriser peut conduire à des incompréhensions profondes».

Clashs et ruptures

L’autre élément constructif, c’est – paradoxalement – la possibilité de ruptures, de clashs. Ainsi, le comité de l’Arzillier, maison du dialogue interreligieux à Lausanne, a désavoué l’un de ses membres fondateurs à la suite de la parution d’un pamphlet contre l’islam politique en 2019. Comment surmonter la dissension? «On peut avancer et continuer à être positifs parce qu’il y a une histoire commune, des liens humains, on se connaît», détaille le catholique Dominique Voinçon, coprésident de l’Arzillier. «Dialoguer, c’est échanger aussi sur nos difficultés. Côté catholique, nous avons traversé une série de passes délicates sur les questions de pédophilie. Nous sommes en discussion là-dessus, comme les musulmans peuvent l’être entre eux sur d’autres sujets.»

Si le dialogue s’est approfondi, sa relève s’annonce parfois compliquée. «Les jeunes d’aujourd’hui se retrouvent dans un monde structuré différemment et sont très hostiles au dialogue, car ils recherchent de l’identitaire», conclut Dominique Voinçon.