En Suisse romande, les «thérapies de conversion» ne disent pas leur nom

Organisée par l’Église protestante de Genève, une table ronde s’est penchée sur la question des thérapies de conversion. Si ce phénomène mondial semble rare en terres romandes, il existerait d’autres genres d’abus liés à l’orientation sexuelle. / IStock
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Organisée par l’Église protestante de Genève, une table ronde s’est penchée sur la question des thérapies de conversion. Si ce phénomène mondial semble rare en terres romandes, il existerait d’autres genres d’abus liés à l’orientation sexuelle.
IStock

En Suisse romande, les «thérapies de conversion» ne disent pas leur nom

9 octobre 2020
Organisée par l’Église protestante de Genève, une table ronde s’est penchée sur la question des thérapies de conversion. Si ce phénomène mondial semble rare en terres romandes, il existerait d’autres genres d’abus liés à l’orientation sexuelle.

«Je n’ai pas besoin d’être guéri.e.x», tel était le titre d’une table ronde organisée le 7 octobre par l’Antenne LGBTI du LAB, espace pour jeunes adultes de l’Église protestante de Genève (EPG) au Temple de Plainpalais. Élaborée par son responsable Adrian Stiefel dans le cadre de la campagne de la Ville de Genève contre l’homophobie et la transphobie, cette soirée a fait appel à plusieurs spécialistes afin de dialoguer sur les dangers que représente ce genre de pratiques.

Mais qu’en est-il exactement en Suisse romande? Ces procédés seraient-ils si répandus? Contactée la veille de la conférence, la psychiatre Franceline James, médecin référent de la Consultation pour victimes de dérives sectaires de l’Association genevoise pour l’ethnopsychiatrie, explique «avoir reçu beaucoup de victimes de mouvements fondamentalistes de manière générale, mais très peu de personnes ayant vécu une expérience de thérapie de réorientation sexuelle à proprement parler».
À part quelques acteurs largement médiatisés, dont ce psychiatre schwytzois qui fait parler de lui en 2019  à cause de son programme de guérison sexuelle, ou encore les stages de l’association évangélique Torrents de vie à Bussigny et à Genève, il est en effet plutôt difficile de trouver des associations ou Églises qui revendiquent clairement l’existence, en leur sein, d’un programme visant à faire revenir des croyants volontaires à l’hétérosexualité. Même Adrian Stiefel, très attentif au problème, ne saurait nommer spécifiquement une autre organisation. 

Abus spirituel

Pour Liliane Rudaz-Kagi, diacre Présence et Solidarité de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), il y a toutefois de quoi s’inquiéter. «Ce que j’ai entendu lors d’accueils de personnes LGBT est bien plus sournois», pointe-t-elle. «On peut certes questionner le consentement de personnes se rendant dans des séminaires prétendant ouvertement guérir l’homosexualité. Mais, d’autres fois, sous la forme d’un pseudo accueil, des personnes se sont retrouvées face à des prédications clairement homophobes ou entourées de fidèles se mettant à prier pour elles et pour leur salut.» Et de mentionner l’«abus spirituel», également évoqué lors de la conférence de l’Antenne LGBTI du LAB par Blaise Menu, modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de l’EPG. «Toute violation des droits fondamentaux, au sein d’une organisation religieuse, a pour base un abus spirituel», rappelle le ministre, qui était d’ailleurs intervenu sur les règlements d’application de la nouvelle loi sur la laïcité genevoise, entrés en vigueur en juin dernier, afin que cette notion y figure.

«Beaucoup de choses se font oralement dans certaines paroisses évangéliques et échappent vraisemblablement aux médias et aux professionnels du milieu ecclésial», assure Andrea Coduri, coordinateur du groupe LGBT A bras ouverts au sein de l’EERV. Selon ce psychologue, «il existe en Suisse romande des pasteurs qui rencontrent individuellement des personnes LGBT pour les guérir de l’homosexualité». À cela s’ajouteraient des prêches et un enseignement religieux prônant une hétéronormativité issue de la doctrine biblique. Une réalité que souhaite combattre Adrian Stiefel, grâce aux actions de son antenne et à la prévention.

Pression communautaire

Mais alors, comment s’emparer du problème du point de vue juridique, si la majorité de ces pratiques restent souterraines? Lors de la table ronde, on rappelle d’ailleurs la motion rejetée par le Conseil fédéral en 2019, visant à interdire de «guérir les mineurs homosexuels». Exposée par Nesa Zimmermann, co-responsable de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de l'Université de Genève, la raison invoquée était celle d’un arsenal juridique déjà suffisamment complet selon Berne. Toutefois, une nouvelle motion invitant le Grand Conseil à définir les thérapies de conversion dans la loi, ainsi qu’à les interdire dans le canton de Genève, a été déposée en mai dernier par le député Vert Yves de Matteis.

Selon Adrian Stiefel, «on va un peu vite en besogne, en voulant absolument légiférer contre des thérapies ou des camps isolés». Lui-même passé par ce genre de séminaire aux États-Unis à la fin des années 90, déclare «qu’on sous-estime toute la pression communautaire qui peut se faire de manière beaucoup plus insidieuse au sein d’institutions religieuses».

Son de cloche identique chez Liliane Rudaz-Kagi: «Les lois donnent un cadre, mais ce qui me paraît très important, c’est d’envoyer des signaux d’aide. Les antennes d’accueil LGBT des Églises nationales se doivent d’être des endroits sûrs où l’on peut être qui l’on est, avec son orientation, son genre et son besoin spirituel.» Un constat auquel Adrian Stiefel veut ajouter son projet de «conscientisation» grâce à l’Antenne LGBTI du LAB, conçue comme un espace de «réconciliation» et de «refuge». «Il est important d’effectuer un travail de fond au sein même des Églises et que l’institution établisse une doctrine mettant sur un pied d’égalité tout individu, indépendamment de l’orientation ou du genre.»