
Construire avec les conflits, plutôt que vouloir à tout prix les éviter
Bernard André
Professeur honoraire de la Haute école pédagogique (HEP) de Lausanne. Intervenant sur les thématiques relationnelles.
«Le plus important, c’est d’apprivoiser les conflits. C’est de réaliser qu’ils ne sont pas un dysfonctionnement, mais qu’ils font partie de toute vie sociale.» C’est le premier point qu’aborde Bernard André quand il intervient sur la question des conflits dans le cadre de formations continues d’enseignant•es. «Ce qui est à éviter, ce ne sont pas les conflits, mais la violence qui trop souvent les accompagne. Régulièrement, les conflits dérapent vers de la violence, qu’elle soit verbale, psychologique ou physique», poursuit l’ancien chercheur en astrophysique devenu enseignant, puis professeur et chercheur en pédagogie. Parmi ses thèmes de prédilection: les conflits à l’école.
«Accepter les conflits permet de les aborder plus sereinement et un peu moins sur la défensive. Cela ouvre au dialogue et à un cheminement positif», explique-t-il. «Souvent, les protagonistes se sentent coupables ou victimes, voire les deux.» «Et pour Réformés, j’ai envie d’ajouter que c’est la même chose en Eglise: les conflits y sont mal vécus. Souvent, ils y sont vus comme un dysfonctionnement qu’il faut éviter et cela participe, paradoxalement, à l’apparition de comportements tels que l’exclusion, la calomnie ou la médisance.»
Un heurt entre projets
Pour ce formateur, un conflit est d’abord un heurt entre projets. Lorsque ceux-ci s’excluent partiellement ou totalement, il s’agit de trouver le cheminement qui permettra d’avancer. «Mais si l’on en fait un heurt entre personnes, l’obstacle devient difficile à dépasser.»
En éducation, il est important de valoriser les conflits, tout en les différenciant de la violence. «Le plus souvent, les enfants ont malheureusement peu de modèles leur permettant de les traverser dans le respect de soi et des autres. C’est donc matière à apprentissage qui entre dans ce que l’on appelle les capacités transversales dans le Plan d’études romand. Demander à un groupe de travailler ensemble. Valider que c’est un exercice exigeant est important. Ce peut être en disant: ‹ Oui, c’est difficile, et c’est ce que je vous demande.»
Le pardon essentiel
L’humain demeure un être vivant fondamentalement violent, ce qui lui a permis de dominer la planète. Et face à la violence subie, la question du pardon se pose inévitablement. «Je suis surpris par la méconnaissance générale de ce qu’est le pardon», mentionne Bernard André. Le pardon n’est ni oubli de l’offense subie, ni obligation de renouer une relation et surtout pas une forme d’excuse qui minimiserait la violence subie. «Pardonner, c’est d’abord être capable et choisir de renoncer aux sentiments d’hostilité, aux pensées associées (vengeance) et aux comportements destructeurs (violences verbales, physiques ou d’attitude)» définit Bernard André. Et cela peut prendre du temps. «La décision peut être prise et reprise, il peut y avoir des allers-retours. C’est un processus, mais qui est essentiellement avec soi-même et qui permet alors de retrouver sa liberté pour construire en laissant le conflit derrière soi .» «Assez classiquement, on compare le pardon à une facture acquittée; le pardon nécessite de dresser la facture, de lister les offenses subies, sans les minimiser ou en excuser les auteurs. Puis, il s’agit de décider de ce que l’on en fait: l’acquitter gratuitement et se libérer, ou en exiger le remboursement, au risque de s’enfermer dans l’amertume, le ressentiment ou la victimisation», conclut le chercheur.
Pour aller plus loin
Bernard André recommande:
- En anglais: Forgiveness. Theory, Research, and Practice (The Guilford Press, 2000).
- Son livre le plus généraliste Les conflits, c’est la vie – Oser les désaccords et avancer quand même (éditions La Boite A Pandore, 2000) est épuisé. Il se trouve sur les sites de livres d’occasion, en bibliothèque et sur bernardandre.ch.
- Du même auteur, Les conflits à l’école, agir avec justice et justesse (Editions Ouverture, 2024).