Tenir la main des mourants: les aumôniers d'hôpitaux découvrent que la peur n'a pas le dernier mot

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Tenir la main des mourants: les aumôniers d'hôpitaux découvrent que la peur n'a pas le dernier mot

30 octobre 2000
Exercer la profession d'aumônier d'hôpital, c'est rendre visite à des malades qui souffrent, guérissent souvent et parfois meurent
Dans ce face à face constant avec la mort, comment parvient-on à survivre? Faut-il développer une attitude d'indifférence à la souffrance d'autrui et se mettre ainsi à l'abri de l'angoisse de la mort? L'aumônier d'hôpital doit-il accepter de brefs mandats pour tenir le coup? Etat des lieux avec Cosette Odier, formatrice en éducation pastorale clinique au CHUV à Lausanne depuis le début de l'année. "Je sais bien que ce n'est pas par hasard que j'ai choisi ce métier, explique Cosette Odier, aumônier au CHUV à Lausanne. Pour moi, c'est une manière d'apprivoiser ma propre mort qui reste, quoi qu'on en dise, quelque chose d'effrayant".

Depuis le début de l'année, cette femme dans la quarantaine a été engagée comme formatrice en éducation pastorale clinique au CHUV, une formation d'un trimestre dispensée à une quinzaine de stagiaires chaque année. Issus des Eglises ou d'institutions laïques de Suisse romande, ces stagiaires découvrent le b-a-ba de l'écoute d'après les techniques mises au point dans les années 30 par un pasteur américain: Anton Boisen.

§Les mourants apprennent à vivreContrairement à ce que l'on pourrait penser, le face à face quotidien avec la souffrance, la maladie et la mort ne plonge pas Cosette Odier dans une morosité constante. "L'accompagnement des malades est une source d'émerveillement. Il est toujours extraordinaire de voir les capacités de l'être humain à affronter la souffrance". Cosette Odier affirme toutefois que les mourants qu'elle accompagne lui apprennent à vivre. Dans l'adversité, le malade découvre une intensité de vie hors du commun. Il réapprend à apprécier un coucher de soleil, une relation de qualité, un regard intense… Et c'est contagieux!

Il n'empêche que "la souffrance ou la détresse d'un patient nous atteint profondément quand elle rejoint notre propre histoire". Pour Cosette Odier, tout le métier de l'aumônier réside dans cette écoute de soi qui permet d'être conscient de ce qui se passe à l'intérieur de soi-même lorsqu'on approche la souffrance d'autrui. "J'aime comparer la visite au face à face de Moïse avec le buisson ardent, explique-t-elle. Quand on voit que le buisson brûle, que la rencontre se fait, il faut ôter ses sandales parce qu'on se trouve sur une terre sainte". La personne à l'écoute doit veiller à ne pas brusquer, à ne pas envahir la discussion avec ses préoccupations, à conserver la distance la plus favorable possible pour permettre à autrui de s'exprimer et de dévoiler ce qui l'habite.

§La voix,indice de la qualité d'écouteLes personnes en contact constant avec les malades développent différents timbres de voix qui permettent de percevoir leur degré d'implication dans la relation, explique la responsable de l'éducation pastorale clinique. Il y a d'abord ce qu'elle appelle la "voix de blouse". Cette manière d'entrer en communication est surtout fonctionnelle. La personne à l'écoute va se contenter d'un dialogue plutôt superficiel. "L'aumônier est toujours menacé d'un certain "fonctionnarisme" de la visite, commente Cosette Odier. On va se présenter, dire bonjour et se réfugier derrière de belles paroles ou de belles prières sans être vraiment présent dans l'entretien". Sur ce point, Cosette Odier est très interventionniste. Pour elle, l'aumônier qui discerne chez lui ce "fonctionnarisme" doit prendre une demi-journée de congé pour respirer. C'est le médicament à consommer pour retrouver une attitude impliquée dans les relations avec les patients.

Il existe aussi deux autres timbres de voix qui rendent compte d'une communication plus intime avec autrui. Tout d'abord la voix du cœur qui témoigne d'une écoute attentive et puis la voix du ventre, plus silencieuse, qui atteste une attention et une implication plus marquées pour ce que le patient exprime. "On ne peut pas toujours communiquer au niveau de la voix du ventre, constate Cosette Odier. Vivre en permanence dans l'intensité peut être extraordinairement épuisant!".

Il existe un outil simple pour permettre aux professionnels de prendre conscience de leur manière de communiquer avec les malades. Avec ses stagiaires, Cosette Odier travaille sur des scripts de visite, des "verbatim", rédigés après coup par les visiteurs. Une analyse fine de ces comptes rendus permet "d'améliorer son écoute et de faire le ménage à l'intérieur de soi dans ses attitudes, dans sa propre histoire… pour être plus libre, mieux à l'écoute d'autrui et pour laisser de l'espace à la dimension spirituelle qui fait la spécificité de l'accompagnement de l'aumônier".

§La foi permet de reprendre souffle"La foi ne m'enlève pas ma peur de la mort, mais elle me donne la confiance que ma peur n'est pas le dernier mot sur ma vie". Pour Cosette Odier, ses convictions chrétiennes ne gomment pas la révolte et la colère contre la souffrance et la mort, mais elles nourrissent la possibilité de reprendre haleine après des face à face chahutés et tragiques. "Face à des morts injustes, la foi me permet de rester vivante dans la confiance que la personne qui s'en est allée va pouvoir reprendre son souffle ailleurs et cela ne m'appartient plus".

Cette immersion constante dans le monde hospitalier ne pousse pas Cosette Odier à rêver d'un monde où la mort et la souffrance seraient absentes. "Je n'ai jamais fait ce rêve! admet-elle. Je préfère assumer mon humanité plutôt que de rêver à quelque chose d'impossible…" Très réaliste dans son propos, l'aumônière du CHUV ajoute que c'est dans la mesure où chaque individu consent à traverser les déserts que sont la souffrance et la maladie qu'il devient "plus vivant".