Le christianisme social renaît de ses cendres
Né au XIXe siècle, le Christianisme social s’était peu à peu éteint jusqu’à la suspension en 2004 de la revue Autres Temps. Réunie à Paris le 2 octobre, une centaine de personnes a relancé ce mouvement avec la création de « communes théologiques ».
, Paroles Protestantes – Est
C’est à la suite de la Commune de Paris, face à l’industrialisation de la fin du XIXe siècle et aux ravages de ce bouleversement des relations sociales et économiques que quelques pasteurs se sont engagés dans une réflexion théologique sur la justice sociale. Ce mouvement sera à l’origine de nombreuses œuvres dans le protestantisme du XIXe et du XXe siècle.
Un souffle retrouvé
A la fin des années 1990 cependant, le mouvement a perdu de sa vigueur. Comme le rappelait Pierre-Olivier Monteil, ancien rédacteur en chef de la revue Autres Temps, dans l’amphithéâtre de l’Institut Protestant de Théologie (IPT) de Paris : « les dernières années nous nous retrouvions à une quinzaine seulement pour les assemblées générales de la revue. »
Au cours de l’année 2010 cependant, quelques personnes commencent à se retrouver avec en tête l’idée de relancer ce mouvement. Face à la situation économique et aux politiques d’exclusion et de discrimination, face à la crise écologique, il devenait urgent pour ce petit groupe de raviver le Christianisme social pour que tous ceux se retrouvant dans cette appellation puissent prendre la parole et agir.
C’est ainsi que Bertrand Vergniol, ancien président de la Mission populaire, disait au cours des échanges à l’IPT : « il est important que ce mouvement devienne un label, pour qu’ici et là, face à des situations particulières ou à l’actualité, des gens puissent prendre la parole, non en leur nom propre, mais en se réclamant du Christianisme social. »
En juin 2010, le groupe lance donc un appel « Pour la relance du Christianisme social » dans les colonnes du journal Réforme et à travers une pétition sur internet. A ce jour, près de 300 personnes ont signé cet appel, en France, mais aussi en Belgique et en Suisse.
Une journée pour donner forme au mouvementLe groupe avait également convié les signataires à une journée de relance, dans les locaux de l’IPT, samedi dernier, le 2 octobre. Septante personnes étaient inscrites à cette journée, mais c’est finalement plus d’une centaine qui s’était massée dans l’amphithéâtre de la faculté de théologie.
La journée a été l’occasion de rencontres et d’échanges nombreux, de témoignages d’intervenants disant pourquoi ils s’engageaient dans le Christianisme social et d’ateliers autour de thèmes confrontant « la foi chrétienne avec son environnement social, économique, politique, culturel et écologique. » : sur l’économie, le politique, la théologie, l’identité en crise, l’éducation populaire et le travail. Un atelier-surprise s’est également mis en place pour dessiner ce que pourrait être l’avenir de ce mouvement initié par l’appel.
La date du 1er octobre 2011 a déjà été prise pour une deuxième journée de rencontre. En attendant, dans l’année à venir, chacun est invité à former des « communes théologiques », des groupes non institutionnalisés, soit géographiquement soit autour de préoccupations communes, pour écrire et agir en se disant « du Christianisme social », sans qu’un bureau central n’ait besoin de les labelliser.
« Bien sûr, cela donnera certainement des voix discordantes, mais est-ce que c’est si grave ? », demandait le pasteur Stéphane Lavignotte, l’un des initiateurs de l’appel qui se retrouvent désormais au sein du groupe d’animation et de coordination en charge de l’organisation de la prochaine rencontre et de la diffusion de l’information auprès des sympathisants. Sa question faisait écho aux propos du professeur Olivier Abel qui de son côté soulignait, pour notre société et nos Églises, « le manque de lieux-charnières où se regroupent des gens qui ne sont pas d’accord entre eux. »
Le christianisme social a marqué toute une génération de pasteurs et de théologiens en Suisse aussi. Le pasteur Jean-Pierre Thévenaz, retraité engagé à la pastorale oecuménique dans le monde du travail à Lausanne, est l'un d'entre eux.
« En Suisse romande, dans les années 60-70, nous étions un certain nombre d'étudiants en théologie et de pasteurs qui disions « il faut une parole dans la société ». Outre l'influence alémanique de Leonhard Ragaz et de Karl Barth, l'influence française a aussi été forte avec des figures comme Georges Casalis, professeur à la Faculté de théologie de Paris.
Très vite, dans le canton de Vaud, les pasteurs et les étudiants qui parlaient d'une voix critique ont pris des responsabilités au sein de l'Eglise. « Ceci explique pourquoi, en Suisse romande en tout cas, nous avons eu une influence par nos actions dans l'Eglise, mais nous n'avons pas été un mouvement à proprement parler », a poursuivi M. Thévenaz.
Sortir du repli
Maintenant, c'est au tour de la jeune génération en France de relancer le christianisme social. « C'est très bien s'ils disent 'nous voulons renouer avec un héritage de réflexion sur la société, qui dépasse le purement spirituel '», s'enthousiasme le pasteur.
Beaucoup de personnes engagées dans l'Eglise ont opéré un repli et considèrent le spirituel comme le créneau spécifique de l'Eglise. « Or, le créneau spécifique de l'Eglise n'est pas le spirituel, mais le sens, estime M. Thévenaz. Et les questions de sens se posent dans l'économie comme dans la politique. »
EERV : ministères de solidarité
Si la génération des théologiens critiques a assumé des responsabilités dans l'Eglise, quels ont été les fruits de leurs engagements? « L'Eglise vaudoise est la seule Eglise européenne qui a créé des ministères de solidarité en l'an 2000. A un moment où toutes les Eglises ferment ce type de ministères en Suisse comme en Europe. »
Cela vient aussi du fait que l'EERV est une des grandes Eglises subventionnées en Suisse. Mais si l'on regarde en Suisse alémanique, des Eglises similaires comme Berne et Zurich ont elles aussi fermé ce genre de ministères. A Zurich, « un service initialement destiné aux travailleurs a par exemple été orienté vers le monde bancaire », relève le pasteur romand.
L’appel à un renouveau du christianisme social est important à ses yeux. « Nous avons besoin de ce mouvement pour dépasser l'utilisation exclusive de l'Eglise comme un fournisseur de services caritatifs. C'est une chose excellente d'avoir le Centre social protestant (CSP), qui offre des services caritatifs professionnels. Mais la présence de l'Eglise dans la société n'est pas seulement de faire, mais aussi de dire. Pour que les gens qui ne sont pas encore victimes au point de devoir aller solliciter l'aide du CSP se sentent aussi concernés. »
Etre orienté sur le sens
« Une personne qui est mobbée, mise au chômage ou qui rencontre un autre type de difficultés dans son travail, n'ira pas au CSP. Car elle n'a pas besoin d'aide technique, juridique ou administrative, à ce stade, mais de sens. Elle a besoin d'être écoutée et orientée sur le sens de ce qu'elle est en train de vivre», insiste le théologien.
« Celui qui se sent impardonnable (ndlr: le mobbing est une stratégie visant à pousser les personnes à se sentir coupables) est pardonné: c'est une parole de foi. Si l'Eglise ne s’occupe pas de questions sociales, elle passe à côté de l'endroit où elle doit dire sa foi. Et c'est ça qui moi me fait mal. On croit dire sa foi quand on la dit dans un endroit comme le culte. Mais aux endroits où il y a conflit, l'Eglise n'est pas présente. »
Tania BuriINFOS
- Appel « Pour la relance du Christianisme social » : www.christianismesocial.org
- Lire Le christianisme social, une approche théologique et historique, Klauspeter Blaser (1939-2002), professeur de théologie systématique à l'Université de Lausanne en 1972, Van Dieren Editeur, "Débats"
- Pastorale oecuménique dans le monde du travail à Lausanne