«La vie dans la guerre»

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«La vie dans la guerre»

Vincent Volet,
1 décembre 2011
[pas de chapeau]

Bonne Nouvelle

Bonne Nouvelle: Comment êtes-vous devenue reporter de guerre?

Anne Nivat: Cela n’a pas été vraiment un choix. J’ai étudié en Russie, pays dont j’étais spécialiste à mes débuts. Je me suis rendue en Tchétchénie en 1999, pour une enquête sur le terrain. J’étais sur place quand les combats ont commencé. Cela a été ma première guerre. Je ne l’avais pas décidé. En fait, je suis devenue prisonnière de cette guerre, au sens propre et figuré. J’aime les gens, plonger dans leur vie et raconter leur histoire. Un tel événement se produisait sous mes yeux, je l’ai relaté.

BN: Après la Tchétchénie, c’est l’Afghanistan, puis l’Irak. Qu’est-ce qui vous attire dans des lieux que tout le monde fuit?

AN: Ma première expérience a guidé les suivantes. L’hystérie mondiale qui a suivi le 11 septembre 2001 a provoqué en moi la volonté d’élargir mon territoire. J’avais passé du temps en Asie centrale, notamment au Tadjikistan. De là, je suis entrée en Afghanistan, où je suis restée trois mois. Puis trois mois en Irak. J’ai écrit mon premier livre sur ces guerres. Je souhaite donner la parole aux gens qui ne l’ont pas, à ceux qui sont derrière la surface des infos, insuffisantes, que nous recevons sur ces pays.

BN: Vous aimez le danger?

L’image du reporter de guerre qui aime les montées d’adrénaline dans les combats n’est pas pour moi. Bien sûr, il y a une atmosphère particulière dans les situations de guerre. Je m’y suis habituée et, au son, je sais reconnaître les armes.

AN: Pas du tout. Cela ne m’intéresse pas. L’image du reporter de guerre qui aime les montées d’adrénaline dans les combats n’est pas pour moi. Bien sûr, il y a une atmosphère particulière dans les situations de guerre. Je m’y suis habituée et, au son, je sais reconnaître les armes. Ma priorité numéro un est la discrétion, une attitude de curiosité et d’humilité, de respect des personnes qui m’accueillent et dont je partage le quotidien. C’est cela que je peux ensuite transmettre. Je n’ai pas d’autre but.

Je m’intéresse davantage à la vie dans la guerre qu’à la stratégie. Il est difficile de se rendre compte de ce que signifie vivre ces violences sans y être. Là, je vois ce qui anime ces personnes, ce qui leur donne espoir, leur vie. C’est ce que j’écris.

BN: Vous notez que l’armée américaine est maintenant restée plus longtemps en Afghanistan que ne l’avait fait l’armée russe. Avec de meilleurs résultats?

AN: Ah non! Il n’y a pas de bons résultats de la présence occidentale en Afghanistan. Les succès, quand il y en a eu, n’ont été que temporaires. Une addition de ces petits succès ne fait pas un succès général. Qui sont les juges, nous ici, devant notre télévision, à distance, ou ceux qui vivent sur place? Ce que nous avons obtenu là-bas n’est pas clair, la confusion règne.


BN: «D’une main les étrangers nous nourrissent, de l’autre ils nous tuent», résume un Afghan. Votre livre raconte une drôle de guerre, mélange d’humanitaire et de militaire…

AN: Le lecteur doit se rendre compte que c’est la nouvelle manière de faire la guerre. On arrive comme des robocops armés, dans des camps retranchés, avec des convictions qu’on veut imposer à des pays qu’on connaît mal. Les règles d’engagement des armées sont de plus en plus dictées par des avocats. Tout cela provoque des frustrations pour les soldats de base. Ils ont du temps. Ils se posent des questions et ont des doutes, ce qui est tout à leur honneur.

BN: Le président Obama a reçu le Prix Nobel de la paix, or il n’y a jamais eu autant de soldats américains – 98?000 aujourd’hui – en Afghanistan que sous sa présidence. Comment voyez-vous cela?

AN: 
Les Afghans ne comprennent absolument pas la raison de ce prix. Ils y voient une preuve de plus du manque de logique dans la façon de penser des Occidentaux. Comme quand ils disent apporter la démocratie avec pour résultat sur place le chaos, la violence et la corruption. Ce n’est pas la vision que nous avons mais c’est exactement ce qu’ils ont sous les yeux. Dans mes livres, je m’efforce de voir ce que nous provoquons là-bas, de le regarder aussi avec leurs yeux.

BN: Quel rôle joue la religion dans tout cela?

AN: Je n’ai jamais senti que l’islam jouait vraiment un rôle dans le fanatisme des combattants en Afghanistan. Chacun souhaite instrumentaliser la religion, mais cela n’a pas de racines réelles. Les Afghans sont un peuple sunnite qui pratique un islam modéré, avec une forte influence du soufisme. En présence d’une armée étrangère, la religion est un moyen d’affirmer son identité.

Je suis attristée par le mur d’indifférence, la volonté de fermer les yeux face à des guerres lointaines. Avec la crise, cependant, les Européens commencent à se rendre compte que tout est fragile.

Dans les bases de l’armée canadienne ou d’autres forces occidentales, tout le monde est obligé de mener des opérations conjointes avec l’armée afghane. De peur que les militaires afghans oublient leur religion à cause de cette proximité, ils ont un imam, un muezzin, ils font les cinq prières quotidiennes, etc. En compagnie des Occidentaux, les Afghans restent des Afghans, ce qui peut agacer les soldats étrangers. Avec les talibans, la question est plus culturelle que religieuse. Leur mode de vie est régi par un code ultraconservateur.

BN: Vous ennuyez-vous lorsque vous revenez en France ou en Suisse?

AN: Non, ma famille me procure un bonheur immense. Mais j’ai un regard amusé sur les petits soucis que je trouve ridicules de mes concitoyens. Et je suis attristée par le mur d’indifférence, la volonté de fermer les yeux face à des guerres lointaines. Avec la crise, cependant, les Européens commencent à se rendre compte que tout est fragile.

*A lire et à écouter
Un livre: Anne Nivat, Les brouillards de la guerre. Dernière mission en Afghanistan, Ed. Fayard, 2011
Une émission: mercredi 14 décembre, 13h, dans l’émission A première vue, sur RSR1, une heure d’entretien avec Anne Nivat.
Des bonus de l'interview sur sur le site de Bonne Nouvelle.