L’organiste de Notre-Dame de Paris

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L’organiste de Notre-Dame de Paris

16 juillet 2013
Paris (epd - ProtestInter) Quand Philippe Lefebvre répète, il veut avoir Notre-Dame pour lui seul: il arrive le matin à cinq heures dans la célèbre cathédrale de Paris. «Il y a des moments où je me sens presque importun», raconte l’organiste de 64 ans. Même quand il joue doucement, le son de l’orgue inonde l’immense cathédrale de toute sa puissance.

«L’orgue est un instrument mystérieux», explique l’artiste aux cheveux blancs en rajustant ses lunettes. Né à Roubaix, dans le nord de la France, il a commencé à jouer du piano dès l’enfance. À l’âge de 15 ans, il va visiter Paris avec ses parents.

Au programme de la visite figure naturellement aussi Notre-Dame. «Soudain, l’orgue a commencé à jouer, se souvient-il. J’ai été si profondément ému que je n’ai rien pu manger pendant une journée entière.» Il dit aussitôt à ses parents qu’il veut, lui aussi, jouer de cet instrument: «Ce fut l’amour au premier regard.»

Philippe Lefebvre, connu en particulier pour ses improvisations, est aujourd’hui l’un des trois organistes titulaires du grand orgue de Notre-Dame. Quand ses doigts glissent sur les cinq claviers, qu’il actionne l’un des plus de 100 tirants de registre et fait sonner l’un des quelque 7500 tuyaux, il est heureux.

Notre-Dame, qui fête cette année ses 850 ans, est la plus importante église gothique du pays. Pour les Parisiens, elle est liée à tous les événements importants de l’histoire de France: c’est là qu’on annonça la libération de Paris et la fin de la Deuxième guerre mondiale, c’est là qu’on célébrait les baptêmes, les mariages et les enterrements des rois, c’est là aussi que Napoléon Bonaparte se fit couronner empereur, et que des services commémoratifs eurent lieu après la mort du général de Gaulle et celle de François Mitterand.

Notre-Dame reçut son premier orgue dix ans après la fin de la construction en 1345. L’instrument fut restauré en permanence, et rénové à plusieurs reprises. Depuis la dernière rénovation l’année dernière, les sons de l’orgue sont lancés par ordinateur avec une précision au quart de seconde. Mais il reste encore beaucoup de tuyaux datant du Moyen Âge.

«L’instrument est fait précisément pour cette église, avec sa résonance», juge l’organiste Lefebvre. Il nourrit une admiration sans bornes pour les facteurs d’orgues qui ont transmis leur art, dans la plupart des cas, de génération en génération: «Ils savent pourquoi un tuyau sonne bien ou non, il y a des années d’expérience derrière ce savoir.»

Il s’en fallut d’un cheveu que le précieux instrument ne soit fondu

Pendant la Révolution française, toutefois, il s’en fallut d’un cheveu que le précieux instrument ne soit fondu: les révolutionnaires s’attaquaient aux églises, et naturellement aussi à Notre-Dame. Ils se mirent en tête de fabriquer des balles et des canons avec les tuyaux d’orgue. L’organiste de l’époque, Claude Balbastre, réussit à les en empêcher. Il avait composé des variations sur la «Marseillaise» et sur le chant révolutionnaire «Ah! ça ira, ça ira, ça ira».

«Lorsque les révolutionnaires entrèrent, il commença à jouer la Marseillaise. C’est ce qui a sauvé l’orgue», raconte Philippe Lefebvre. Montrant un zone endommagée dans la cloison de bois surmontant l’orgue, il explique que seul le symbole royal, le lys, a été détruit. «Nous avons laissé la cloison telle quelle, sans le lys, parce que cet événement fait partie de l’histoire de l’orgue.»

De la console de l’orgue, Philippe Lefebvre voit la plus grande rosace d’Europe en vitrail; il aperçoit aussi, d’une hauteur de 30 mètres, le chœur et la nef centrale avec les piliers, les chapiteaux, les voûtes et les autels splendidement décorés. La cathédrale peut accueillir environ 10 000 personnes. Toutes les trois semaines, le musicien joue le samedi et le dimanche pour un total de neuf messes.

Quand il n’est pas de service à Notre-Dame, Philippe Lefebvre donne des concerts et des cours d’interprétation dans le monde entier. Dans la cathédrale Notre-Dame, où il a découvert l’amour de l’orgue, Lefebvre est organiste titulaire depuis 1985. Soliste déjà renommé à l’époque, il fut choisi parmi les dix meilleurs candidats.

L’organiste considère comme un moment marquant la visite du pape Benoît XVI en septembre 2008 à Notre-Dame – mais aussi le 3 juin 2009, lorsqu’il joua pour les victimes de l’accident d’un avion d’Air France qui s’était abîmé en mer entre Rio et Paris. Ce fut un moment fort, se souvient-il: «Émouvant – non parce que le président était là, mais parce que nous étions tous là, les petits et les grands.» Jamais encore il n’avait vu autant de gens allumer des cierges dans la cathédrale. (FNA-67)